Contribution aux réactions relatives à la loi du 17 août 2015 modifiant certains articles du Code du travail (deuxième partie), Professeur Alain Dômont

Abstraction 2Nous avons déjà publié sur notre site divers textes du Professeur Alain Dômont (NDLR : les liens permettant d’y accéder sont reproduits à la fin de cet article), incontestablement l’un des meilleurs spécialistes de la Médecine de Prévention dans les fonctions publiques.

Compte tenu sa parfaite connaissance du sujet, sa contribution aux travaux de la Mission Issindou, dont nous poursuivons aujourd’hui la publication in extenso, est d’un intérêt majeur pour mieux comprendre, grâce à la comparaison entre Médecine du travail et Médecine de Prévention, différentes notions aujourd’hui très discutées.

Contribution aux réactions relatives à la loi du 17 août 2015 modifiant certains articles du Code du travail (deuxième partie), Professeur Alain Domont

NB : Les notes (numérotées de 1 à 14) annoncées dans le texte sont regroupées en fin d’article.

  1. Aptitude médicale au poste ou « compatibilité[1]de l’état de santé… avec les conditions de travail…» ? 

La question de la place relative des médecins agréés, des médecins du travail et des médecins de prévention dans l’évaluation de l’aptitude médicale sécuritaire se pose donc dans le secteur public, comme ailleurs en médecine du travail. En traiter par une approche comparative privé/public permettra d’améliorer la compréhension des enjeux qui interagissent sur la formulation de ce type d’avis médical.

Nous le ferons en mettant en parallèle ce qui s’impose aux médecins du travail depuis près de soixante-dix ans avec ce qui est proposé aux agents et aux médecins de prévention depuis trente ans.

Entre (1) non contre-indication médicale, (2) aptitude médicale au poste de travail, ou (3) avis médical sur la compatibilité du travail, que préconiser ?

Quelle que soit la formulation des conclusions médicales en fin d’examen, la nature clinique de la responsabilité des différents praticiens impliqués est comparable. L’enjeu sanitaire concerne tous les travailleurs : salariés ou agents, l’Administration, les chefs de service, les employeurs privés, les médecins,…et tous les professionnels de la santé au travail.

La clinique du travail, dans le secteur privé et dans le secteur public, au-delà des diverses façons d’aborder le problème (scientifique, technique, juridique, social et médical), oriente et détermine la forme et la validité de ce type d’avis, donc le partage des responsabilités « sanitaires » des uns et des autres.

Une fois prononcé, l’avis médical est censé garantir « temporairement » la santé, même s’il n’est que « photographique », c’est-à-dire à valeur instantanée. En outre, en cas d’inaptitude médicale, l’emploi peut être impacté. Entre promotion de la santé et dépression consécutive à la perte du travail, même juridiquement très bornée, la marge de manœuvre clinique est étroite. En conséquence, les avis devront être médicalement validés. Si cette marge est faible dans le secteur privé, elle est un peu plus importante dans le secteur public, particulièrement pour les emplois statutaires. Ceux-ci sont mieux protégés.

Quoiqu’il en soit, la peur de l’inaptitude pèsera toujours sur la relation clinique avec les médecins (agréés, du travail ou de prévention), même si celle-ci est fondée sur une confiance réciproque et le respect de la déontologie et du secret professionnel.

Comment cet enjeu important pour l’accès et le maintien au travail doit-il ou peut-il être compris et modulé en fonction de la nature de l’activité professionnelle ? Quelle formulation pourrait être la mieux acceptable ?

Nous proposerons des réponses à ces différentes questions à partir de l’analyse de la problématique médicale de sécurité ferroviaire et de sécurité routière. Elles posent toutes deux la question de l’équilibre entre droit au travail, droit individuel à la santé, sans ignorer le droit des personnes transportées « à l’être en toute sécurité », ni celui des tiers usagers de l’espace public partagé « à ne pas être renversés ».

L’impact de la sécurité et du sur-risque médical d’accident sur les avis médicaux est aujourd’hui assez confusément compris. Reconsidérer sa place dans la promotion de la santé des travailleurs au travail aidera à mieux faire comprendre la « subtile » différence de nature entre les trois formulations listées ci-dessus.

Nous conclurons en proposant notre point de vue sur l’avis médical retenu dans les fonctions publiques, de l’Etat en 1982, et Territoriales en 1985, avec, rappelons-le, l’aval majoritaire des partenaires sociaux.

2.1 Comprendre la diversité des avis médicaux « d’aptitude »

Les médecins de prévention, comme les médecins du travail, doivent assurer une vigilance médicale et ergonomique en ciblant conjointement l’impact sur la santé des risques professionnels et la prévention/protection des agents, titulaires ou non titulaires, et des salariés qui sont exposés. Ce faisant, ils contribuent médicalement à la prévention des sur-risques médicaux d’accident du travail.

Dans la fonction publique de l’Etat et dans la fonction publique Territoriale, l’avis médical s’inscrit dans la perspective d’un contrôle de la « compatibilité du travail et de la santé ». Dans la fonction publique hospitalière, les médecins du travail du personnel hospitalier émettent des avis d’aptitude au décours de chaque visite médicale. Ils procèdent ainsi comme les médecins du travail des entreprises privées. Ce caractère systématique, discutable pour l’Etat et la Territoriale, est par contre justifié à l’hôpital. La sécurité des agents et la sûreté des soins concernent en effet la quasi-totalité des postes de travail à l’hôpital, ce qui n’est pas le cas pour les 15 millions de salariés du secteur privé.

2.2 Interrelations médecine statutaire, médecine du travail du personnel hospitalier et médecine de prévention

Les médecins du travail du personnel hospitalier, ceux de prévention (FPE, FPT) et les médecins généralistes agréés interviennent tous, conjointement ou non, à un titre ou un autre, dans le champ de l’aptitude médicale. Tous ces médecins n’ont pas tous les mêmes obligations fonctionnelles. Certains sont impliqués dans le contrôle du droit médico-social des agents travaillant dans le secteur public, d’autres exercent en sécurité routière, validant l’absence de contre-indication médicale à la conduite… Autant d’éclairages distincts mais complémentaires, dont il faudra tenir compte, notamment pour comprendre la logique de l’intervention médicale en médecine de prévention, particulièrement au moment de la rédaction de la fiche de visite en fin d’examen.

Les médecins généralistes agréés par l’Administration [1] pour l’examen médical des agents interviennent comme « médecin conseil de Sécurité sociale ». Ils sont en charge, pour les trois fonctions publiques, de deux catégories d’actes médicaux :

  • La validation de l’aptitude médicale à l’exercice des fonctions, à travers une connaissance théorique des missions des agents titulaires et non titulaires, relevant exclusivement ou en partie du statut de la fonction publique,
  • … et/ou le contrôle des droits médico-sociaux des agents, en cas de maladie ou d’accident.

D’autres médecins généralistes agréés interviennent pour le contrôle professionnel et privé des conditions médicales de la conduite automobile. Bien qu’ils ne soient pas directement concernés par la fonction publique, les conséquences administratives de leurs avis interfèrent cependant avec les conditions d’emploi des agents, notamment à travers la prorogation des permis de conduire.

Ces médecins examinent les conducteurs, soit dans leur cabinet libéral, soit en préfecture, en commission médicale d’examen des permis de conduire. Les avis médicaux de non-contre-indication à la conduite ainsi émis subordonnent tous les types de conduite, privée et professionnelle. Les préfets s’appuient sur ces avis médicaux, régulièrement révisés pour la conduite dite du groupe lourd, avant la délivrance ou le renouvellement administratif des permis de conduire…

Même si les conditions d’utilisation professionnelle des permis concernent les médecins généralistes agréés pour les contrôles médicaux « sécuritaires », l’adaptation des conditions de la conduite professionnelle relève avant tout de leurs collègues médecins, qu’ils soient du travail ou de prévention.

Une pathologie intercurrente peut survenir entre deux visites de médecine agréée et remettre en cause l’aptitude médicale à la conduite. L’ignorer dans le contexte d’une visite de médecine du travail ou de prévention pourrait engager, en cas d’accident, la responsabilité du médecin.

À distance d’un contrôle médical préfectoral, la détention d’un permis de conduire en cours de validité ne signifie pas en effet que son détenteur soit toujours médicalement apte à la conduite, lorsqu’il est examiné en médecine du travail, quel que soit le secteur dans lequel ce conducteur travaille. Les médecins du travail ou de prévention devront, au moment de statuer sur l’aptitude au poste, pour les premiers, ou lorsqu’ils statuent sur la compatibilité du travail avec la santé, pour les seconds, s’inspirer, autant que de besoin, du référentiel clinique listant les contre-indications médicales opposables à la poursuite de ces activités [2], que ces avis valident l’aptitude au poste de travail comme c’est le cas pour les salariés, ou l’affectation des agents à des activités professionnelles comportant, en totalité ou en partie, de la conduite [3].

2.3. Santé au travail et activités de sécurité dans les entreprises de transport ferroviaire

2.3.1- Sécurité et santé au travail : un objectif médical similaire, mais une séparation des activités médicales.

Depuis longtemps, pour les transports aérien et routier, des médecins agréés « spécifiquement formés » interviennent pour le contrôle de l’aptitude médicale des pilotes et des conducteurs, dans le contexte sécuritaire de la certification des premiers, ou lors de la délivrance ou lors du renouvellement des permis de conduire, pour les seconds.

Dans les entreprises en charge du transport ferroviaire, les agents affectés à des activités de sécurité doivent être certifiés depuis 2003, l’Europe l’a prévu. L’article 12 de l’arrêté partiellement abrogé du 30 juillet 2003 [4] et remplacé par l’article L1323-1 du code des transports [5] précise :

« En vue d’assurer leur sécurité et celle des tiers, l’autorité compétente contrôle ou fait contrôler l’aptitude physique [6] des personnes chargées de la conduite ou du pilotage et favorise la prévention de l’inaptitude.» Sont concernés les agents de conduite, les aiguilleurs,…, les agents d’accompagnement…

Depuis 2012 [7], ces personnels doivent être examinés à échéances régulières par des médecins généralistes agréés, distincts des médecins du travail des entreprises de transport ferroviaire. Ces derniers médecins gardent cependant, contrairement à ceux des entreprises de transport aérien pour les pilotes d’aéronefs, mais comme leurs collègues des entreprises de transport routier, la responsabilité des surveillances biennales de santé au travail de ces catégories de travailleurs, surveillances médicales systématiquement conclues par un avis médical d’aptitude au poste, conformément à ce que prévoit le code du travail.

Cette nouvelle procédure imposée aux entreprises de transport ferroviaire s’inscrit dans le contexte de l’ouverture à la concurrence des réseaux ferroviaires européens.

Au décours de la promulgation de l’arrêté de 2003, certains médecins du travail des entreprises ferroviaires ont levé la question des modalités d’application clinique du rôle sécuritaire qui leur était explicitement attribué. D’implicite autrefois, la question de la problématique médicale sécuritaire en médecine du travail est devenue explicite.

La prévention des addictions, notamment le contrôle clinique de l’usage du cannabis, cristallisa la contestation de certains médecins du travail, qui réalisaient ces contrôles depuis des années. Ils ont refusé, à juste titre, le changement des modalités cliniques de leur mise en œuvre, arguant du fait qu’elles étaient peu respectueuses de l’intimité des personnes.

S’en est suivie une action judiciaire près du tribunal administratif de Melun [8], interpellant la justice sur le rôle des médecins du travail dans le contrôle de l’aptitude médicale sécuritaire. Le Conseil d’Etat, suite à cette requête syndicale, a invalidé la circulaire interne réorganisant la gestion clinique de ces contrôles, en demandant qu’une séparation de ces deux types d’activités médicales soit faite.

La SNCF a donc dû réformer l’organisation de ses services médicaux du travail, en séparant visites d’aptitude sécuritaire et visites de médecine du travail. Depuis janvier 2012, la distinction fonctionnelle entre médecine d’aptitude sécuritaire et médecine du travail est ainsi devenue effective à travers la création de deux services médicaux distincts, respectivement en charge, l’un de l’aptitude sécuritaire, l’autre de la santé au travail.

2.3.2- Une responsabilité médicale malgré tout comparable pour deux services aujourd’hui séparés

Antérieurement à cette réforme, l’avis sécuritaire et l’avis de santé/travail, à travers le contrôle de l’aptitude médicale au poste, relevaient de la seule responsabilité des médecins du travail, en application d’une dérogation à l’organisation de la médecine du travail. Le code du travail validait ainsi à l’époque un mode d’exercice dérogatoire de la médecine du travail, sans différencier pour autant ce qui relevait de l’évaluation médicale sécuritaire de ce qui relevait de la santé au travail, au sens européen du terme.

Si cette réforme a permis de rappeler que les contrôles biologiques doivent se faire, quelle que soit leur justification, dans le respect des personnes, la séparation en deux services n’a cependant rien changé en matière de responsabilité médicale. Le décalage entre ce que la directive européenne prévoit (des surveillances de santé) et ce que le droit interne français impose (un contrôle de l’aptitude médicale au poste), reste, au moment où nous écrivons ces lignes, inchangé depuis 1979.

La séparation entre visites d’aptitude sécuritaire et visites de médecine du travail ne modifie en rien la responsabilité « sécuritaire » des médecins du travail. S’il y a bien une différence de nature réglementaire entre « contrôle médical de l’aptitude au travail » et « surveillances de santé », il n’y a pas de différence clinique entre avis d’aptitude médicale et avis statuant sur la compatibilité santé/travail, dès lors que l’agent examiné a des activités de sécurité, et même si deux services séparés ont respectivement la charge d’évaluer, pour le premier, les capacités médicales à la conduite de train…, et, pour les seconds, l’adéquation entre l’état de santé évalué et les conditions d’activité.

La médecine d’aptitude sécuritaire procède à la certification médio-psychologique des conducteurs de train et des agents affectés à des activités de sécurité ferroviaire, lesquels doivent être aptes. Ils doivent passer à échéance régulière (tous les 3 ans) des contrôles distincts de ceux de médecine du travail (tous les 2 ans). En cas de problème de santé intercurrent, l’agent, sur les conseils de son médecin de soins ou du travail, sollicitera le médecin agréé pour réévaluation de son aptitude sécuritaire.

Parallèlement, la médecine du travail garde dans cette entreprise les objectifs réglementaires que fixe le code du travail à tous les médecins du travail. Elle a pour mission, comme tous les services de même nature, d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, en surveillant leur état de santé. Les avis médicaux ainsi émis tiendront compte des caractéristiques du poste : environnement sociotechnique et organisation du travail et des tâches… Les médecins du travail pourront demander, si besoin, à ce que les conditions de travail individuelles soient aménagées, par exemple que la conduite de train soit suspendue…

2.3.3- Une responsabilité de fait, partagée entre médecins agréés et du travail des entreprises ferroviaires

Généralistes agréés d’un côté et spécialistes de santé au travail de l’autre ont une responsabilité partagée dans l’évaluation des sur-risques médicaux d’accident, du fait de la non convergence des échéanciers de visites de médecine sécuritaire et de médecine du travail. Leurs périodicités respectives n’étant pas coordonnées, une coresponsabilité médicale apparaît du fait de l’intrication des calendriers de visites sécuritaires et du travail.

En sécurité ferroviaire, les médecins agréés valident l’aptitude médicale des conducteurs, initialement, puis régulièrement, tous les trois ans d’abord, et tous les ans après 55 ans. Le même principe vaut pour les activités de sécurité « hors conduite de train », mais l’échéancier reste ici triennal, sans distinction d’âge. Ils peuvent également intervenir à l’initiative de ces agents, si un problème de « santé intercurrent » modifie l’aptitude de ceux-ci. Le déclenchement de cette dernière visite relève de la « responsabilité médicale » de l’agent, qui doit se signaler auprès du médecin agréé, particulièrement si son médecin de soins et/ou le médecin du travail ont attiré son attention sur cette « difficulté »…

Entre les visites sécuritaires triennales, les médecins du travail vont intervenir au titre des visites biennales prévues par le code du travail, au minimum une fois, sans qu’en cours de carrière il y ait une coïncidence des échéanciers autre qu’aléatoire. Les médecins du travail employés dans ces entreprises ne peuvent dès lors considérer qu’ils ne sont pas concernés par la sécurité ferroviaire. La séparation entre santé-sécurité et santé au travail n’exclut pas l’implication clinique sécuritaire des médecins du travail. Ils restent ainsi dans la même situation de responsabilité clinique que leurs collègues examinant des conducteurs professionnels ou des salariés qui conduisent au « titre du travail ». Seule la formulation de leur avis médical change.

2.4 Impact de la problématique sécuritaire sur l’exercice de la médecine de prévention

Ce que nous venons de voir dans le paragraphe précédent vaut pour la sécurité routière, comme pour toutes les autres activités professionnelles « de sécurité ».

Rappelons encore que pour la conduite, indépendamment de la gestion médicale de certaines infractions au code de la route, les médecins agréés interviennent tous les cinq ans avant soixante ans, pour les conducteurs professionnels, tels que le code de la route les définit, puis tous les deux ans après 60 ans, sauf pour ceux en charge de certains types de transport des personnes [9] : le contrôle passe pour ces derniers à un an après 60 ans.

De leur côté, les médecins du travail interviennent tous les deux ans dans le secteur privé, comme dans la médecine de prévention dans les collectivités territoriales. Par contre, dans la FPE, les médecins de prévention sont sollicités tous les ans pour les activités « à risques ». Cette échéance annuelle peut valoir pour ceux qui conduisent au titre du travail, dans la mesure où l’Administration considère celle-ci comme un risque professionnel spécifique. Si ce n’est pas le cas, elle reste tenue «…d’organiser des visites médicales annuelles pour les agents qui souhaitent en bénéficier… ». Après 4 refus, la visite devient obligatoire. Les agents de la FPE, s’ils ne sont pas considérés comme exposés à un risque professionnel, doivent être vus tous les cinq ans [10].

Les médecins de prévention, comme tous les médecins du travail, ne pourront donc eux non plus se désintéresser des problèmes de sécurité au travail sans risquer d’engager leur responsabilité professionnelle, notamment en cas de pathologies intercurrentes survenant entre deux visites de médecine agréée. Au moment de la conclusion des examens cliniques qu’ils feront à échéances régulières, ils ne pourront s’abstraire de l’impact de cette problématique médicale sécuritaire sur les avis qu’ils formulent. Intervenant entre deux visites de médecine  « préfectorale », leur responsabilité médicale « de santé au travail » sera de facto engagée, indépendamment de la formulation réglementaire de leurs avis.

Tout le monde sait que ces avis ne peuvent être considérés comme prédictifs. Ce qui vaut pour les personnes en situation de handicap au travail vaut également pour les activités de sécurité. Il a été vu plus haut qu’un éventuel problème de santé intercurrent, survenu plus ou moins longtemps après une visite médicale sécuritaire, peut en effet remettre en cause l’aptitude au poste, alors que la validité administrative du permis court toujours… Les médecins du travail comme ceux de prévention ne devront pas l’oublier. Ils le rappelleront aux agents concernés. La poursuite de toute activité suppose qu’aucun fait médical la remettant en cause ne survienne postérieurement à la dernière visite de médecine agréée ou de santé au travail. Ceci permet de comprendre la portée limitée, mais indispensable, de tels avis…

Même si la scission entre médecine sécuritaire, médecine du travail et médecine de prévention est bien réelle, les médecins engagent donc, quels que soient les exercices considérés, leur responsabilité, notamment de moyens. Si l’avis des médecins agréés subordonne la délivrance administrative des habilitations « sécuritaires » ou des permis de conduire, les médecins de prévention, comme du travail, ne sauraient ignorer l’impact sécuritaire des pathologies intercurrentes, lors de la formulation des avis qui leur incombent au décours des « surveillances de santé » prévues par les textes.

Cette affirmation vaut, que le médecin « émette un avis médical sur la compatibilité de travail » ou qu’il prononce une « aptitude médicale au poste de travail. »

2.5 Privilégier la formulation d’un avis portant sur le travail

Que les médecins du travail aient à statuer formellement en termes d’aptitude, ou que les médecins de prévention s’expriment en validant la compatibilité entre santé « constatée », conditions de travail et travail « prescrit », la formulation choisie pour les avis médicaux ne change pas fondamentalement la nature clinique de la responsabilité médicale. Par contre, elle influe directement sur la compréhension sociale de la hiérarchie des actions à mener pour « promouvoir la santé des travailleurs au travail ».

La maîtrise de la surdité professionnelle l’illustre. Ce n’est pas l’audiogramme qui permet de l’éviter, mais la maîtrise des niveaux d’exposition aux bruits. Ce qui vaut pour le bruit vaut pour toutes les activités professionnelles, y compris sécuritaires. Une formulation « ergonomique » des avis médicaux offrira par contre des garanties sanitaires plus importantes que celles découlant de simples avis d’aptitude médicale au poste, tout en laissant à chacun sa responsabilité pour les actions à mettre en œuvre. Les médecins émettent des avis, les employeurs décident ensuite de ce qu’ils font en matière d’organisation et de réorganisation du travail. La formulation, plus ergonomique que médicale, attendue du médecin de prévention, a l’avantage de recentrer le débat sur la dimension sociotechnique des relations santé/travail, et sur les responsabilités de l’employeur.

Statuer sur la compatibilité du travail permet donc, à un même niveau de sécurité sanitaire, de répondre de manière plus claire à l’objectif de promotion de la santé, en mettant l’accent non exclusivement sur l’état de santé, mais conjointement sur le travail et sa conformité « HSCT ». L’opérateur n’est pas dans la fonction publique une variable d’ajustement, comme c’est le cas dans le secteur privé.

La loi de 1946 fixait pourtant aux services médicaux des entreprises le même objectif de santé au travail que la directive cadre européenne de 1989. Elle ouvrait toute possibilité à l’instauration d’une réglementation introduisant ce type de modulation dans la formulation des avis médicaux. Malgré cela, les décrets d’application de cette loi ont très tôt orienté l’action des médecins vers le contrôle médical des aptitudes au poste, sans plus de considération pour le volet environnemental de la santé. Les prémisses de l’implication du médecin du travail dans la maîtrise des risques techniques, apparue en 1969, ne démarrera vraiment, et encore, qu’à partir de 1979 [11], moment où la réglementation spécifique relative au tiers temps sera, malgré de nombreuses résistances, introduite dans le code du travail.

Au départ limité à l’embauche pour les peintres [12], ce contrôle médical d’aptitude au poste a ainsi été étendu en 1979 à toutes les visites de médecine du travail, sans plus de considération pour la différence fonctionnelle entre participation médicale à la protection individuelle et participation médicale à la maîtrise des risques professionnels.

2.6 Du contrôle de l’aptitude médicale au poste à la promotion de la santé

S’il est fondé de contrôler l’aptitude médicale requise pour certaines activités professionnelles, comme les activités de sécurité, il est par contre illusoire de penser protéger la santé des travailleurs exposés à des risques environnementaux de cette manière.

C’est le poste qui doit être compatible avec les exigences de promotion de la santé, conformément à ce que prévoit la directive-cadre européenne de 1989.

Le tiers temps introduit par le décret 79-231 du 20 mars 1979 n’a malheureusement pas vraiment modifié la compréhension du rôle « ergonomique » des médecins du travail dans la santé environnementale au travail.

En médecine du travail, la confusion originelle entre le volet individuel et le volet environnemental [13] de la santé au travail est tracée dans la réécriture de la loi du 28 juillet 1942. Cette dernière loi prescrivait au médecin du travail une action essentiellement préventive, devenue en 1946 exclusivement préventive, ce qui a contribué à la croyance erronée que la prévention en entreprise pouvait être exclusivement médicale, ce qui est faux, dès lors que la santé au travail implique une convergence d’actions préventives individuelles, de nature médicale, et environnementales, de nature sociotechnique.

Au-delà de la formulation spécifique de leurs avis, les médecins de prévention sont à même de contribuer, tout aussi valablement que leurs collègues du privé, à l’amélioration des conditions de travail des agents. Le fait de signer, en fin de visite, des avis d’aptitude médicale au poste, ne donne ni plus ni moins de poids à un avis médical statuant sur l’employabilité.

Il faut cependant rappeler que la réalisation des objectifs fixés par les textes ne dépend que pour partie de la qualité de l’évaluation clinique. Les avis médicaux ainsi émis sont qualitativement subordonnés aux moyens biocliniques validés et disponibles pour la pratique quotidienne, ainsi qu’aux décisions d’aménagement du travail prises par les employeurs en prévention et/ou en cas de problème de santé. La maîtrise technique des risques « a priori » doit rester la règle et la maîtrise médicale des sur-risques par l’inaptitude l’exception, si l’on vise la promotion optimale de la santé « pour tous ».

Si, pour les activités sécuritaires, la formulation de l’aptitude médicale au poste peut à la rigueur être recevable, elle peut également se justifier pour la fonction publique hospitalière, au titre de la qualité/sûreté des soins aux malades.

En dehors du secteur hospitalier, elle n’a par contre pas vocation à être, comme c’est le cas dans le secteur privé depuis 1979, « obligatoire et systématique pour tous les postes ».

En matière de pathologie environnementale, c’est la recherche de la compatibilité de l’environnement avec la santé qui doit primer, sans qu’il soit nécessaire d’appeler un médecin pour valider ce qui ne serait pas techniquement réalisable. Les ingénieurs, organisateurs du travail, et les techniciens ont toutes les compétences pour évaluer les impossibilités techniques et organisationnelles qu’ils peuvent rencontrer dans la gestion préventive des risques professionnels. De nombreuses formations sont d’ailleurs proposées pour ceux qui en auraient encore besoin.

Prévention médicale, protection contre des risques « que la technique ne maîtrise qu’incomplètement », et dépistage des pathologies ne sont pas des actions sanitaires équivalentes. La société attend des médecins du travail et de prévention qu’ils participent à la lutte contre les maladies liées ou imputables au travail, et qu’ils interviennent comme conseillers, notamment pour les actions ergonomiques de correction justifiées par l’état de santé, l’âge…; les employeurs ayant ensuite à valider ces dernières et à les mettre en œuvre [14].

Même si la médecine de soins souligne que les dépistages doivent être le plus précoces possible, ceux de santé au travail seront toujours trop tardifs. Il convient en effet de ne pas attendre la maladie pour anticiper les conséquences sanitaires des risques professionnels. C’est ce que recouvre la notion de prévention primaire définie par l’OMS.

Fin de la partie 2/3.

A suivre (partie 3/3) dans les prochains jours.

Alain Dômont
Copyright epHYGIE/Alain Dômont 27 septembre 2015
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[1] Par le ministère de la santé, Direction départementale de la cohésion sociale.

[2] Annexe de l’arrêté modifié du 21 12 2005.

[3] Médecine du travail et postes de travail avec conduite de véhicules immatriculés. Proposition d’un protocole de classement des surveillances médicales en santé au travail (renforcées, particulières, biennales). A DOMONT, V. WEHBI Arch. Mal. Prof. Env. 2006 p 889-898

[4] Relatif aux conditions d’aptitude physique et professionnelle et à la formation du personnel habilité à l’exercice de fonctions de sécurité sur le réseau ferré national

[5] Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 – art. (V)

[6] Entendre par physique : somatique et psychique

[7] Décret du 19 octobre 2006 relatif à la sécurité des circulations ferroviaires et à l’interopérabilité du système ferroviaire. Arrêté du 19 mars 2012 fixant les objectifs, les méthodes, les indicateurs de sécurité et la réglementation technique de sécurité et d’interopérabilité applicables sur le réseau ferré national renvoie aux arrêtés du 6 août 2010, qui fixe les exigences relatives à la licence et à l’attestation de conducteur, et du 30 juillet 2003 qui fixe, parmi les tâches de sécurité, celles qui revêtent un caractère essentiel pour la sécurité.

[8] TA de Melun : Délibéré du 13 mars 2008, suite à une requête du 20 octobre 2004.

[9] Permis D

[10] Articles 22, 24 et 24-1 décret 82 453.

[11] Décret n°79-231 du 20 mars 1979 modifiant le code du travail et relatif à l’organisation et au fonctionnement des services médicaux du travail

[12] Décret n° 47-1619 du 23 août 1947 portant règlement d’administration publique… listant les mesures particulières relatives à la protection des ouvriers qui exécutent des travaux de peinture ou de vernissage par pulvérisation (article 7 abrogé en 2012).

[13] 6-Les grands défis de la politique de santé en France et en Europe. Ecologie et santé. Coauteur Coordination Dômont-Belpomme Librairie de Médicis 2003 ; Chap. IV Le concept de santé environnementale. Définition 33 pages Dômont-Belpomme ; Chap. V Le concept de santé environnementale. Implications et conséquences 43 pages Dômont-Belpomme.

[14] Cf Circulaire du 18 mai 2010 B9 n°MTSF1013277C relative au rappel des obligations des administrations d’Etat en matière d’évaluation des risques professionnels.

Liens vers les divers articles d’Alain Dômont publiés sur notre site depuis février 2012

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