Cotisations de Santé au travail : le Conseil d’Etat à contre-courant ?

La question des cotisations versées par les Entreprises au titre de la Santé au travail est en débat depuis toujours. Elle est simplement devenue plus aigüe avec la réforme intervenue en 2002 fixant la périodicité des examens médicaux à deux ans au lieu d’un.

Plus près de nous, c’est le Rapport de la Cour des Comptes de novembre 2012 qui a remis le sujet sur le devant de la scène en prônant le retour à la « pureté » du système originel, fondé sur des cotisations per capita. Or, nous le savons et nous le vivons depuis des lustres, de nombreux Services ont opté, il y a parfois plusieurs dizaines d’années, pour un système fondé sur des cotisations en pourcentage de la masse salariale.

C’est en particulier le cas des Services professionnels du Bâtiment. Rien d’étonnant donc à ce que la Fédération Française du Bâtiment et une Entreprise du secteur aient été les premières à saisir le Conseil d’Etat afin de faire annuler, pour excès de pouvoir, la Circulaire du Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle du 9 novembre 2012, « calée » sur la position de la Cour des Comptes, « en tant qu’elle impose aux services de santé au travail interentreprises de facturer un coût d’adhésion à leurs services calculé « per capita » ».

Nous avions ici même, dans deux articles successifs, exprimé notre position sur la question en termes très critiques vis-à-vis de l’Administration (et de la Cour des Comptes, même si, pour l’essentiel, le Rapport de cette dernière était remarquable ; j’estime, aujourd’hui encore, que son analyse de cette question particulière est le point faible de ce Rapport). On pourra tout à loisir, à partir des liens rappelés plus bas, relire ces deux articles et les commentaires qu’il avait suscités à l’époque : ils n’ont pas pris une ride.

Ceci étant dit, la position du Conseil d’Etat ne manque pas d’étonner à plusieurs titres : d’abord, elle relève d’une lecture passéiste de la loi de 1946, balayant sans égard une autre lecture, dépoussiérée, du principe posé à l’origine, cette dernière ayant été partagée sans équivoque pendant des dizaines d’années par l’Administration elle-même, particulièrement dans ses décisions d’agrément ; ensuite, quoi qu’en dise le Conseil d’Etat, sa lecture relève bel et bien d’une interprétation ; enfin, elle donne à la Circulaire une force excessive en conférant à ses dispositions un caractère « impératif ».

Je croyais savoir que, justement, une Circulaire n’avait pas ce caractère « impératif ». Mais il est vrai que si, dès le début du raisonnement, on pose pour principes :

  • que la loi fait que les dispositions visées sont d’ordre public (ce qu’on admet sans difficulté),
  • et qu’elles ne peuvent se traduire que sous la forme de cotisations per capita, identiques pour tous les salariés (ce qui, en revanche, est des plus discutables),

la conclusion coule évidemment de source : la Circulaire ne crée pas de Droit, elle ne fait que rappeler la Loi ; elle n’a de caractère impératif que parce que la Loi a ce caractère.

Une démonstration du style « circulez, y a rien à voir ».

On pouvait espérer mieux en termes d’arguments juridiques de la part du Conseil d’Etat, mais à y regarder de plus près, on constate qu’il n’en est pas à son « coup d’essai » dans le domaine de la Médecine du travail/Santé au travail.

Il est possible d’en donner au moins deux exemples :

Le premier concerne le statut même des Services de Santé au travail, obligatoirement organisés sous la forme d’Associations sans but lucratif. Ce qui n’avait pas empêché le Conseil d’Etat, au milieu des années 90, à l’issue d’un recours que j’avais suivi personnellement en qualité de représentant des Services interentreprises, de considérer qu’ils exerçaient une activité lucrative en raison du caractère lucratif de l’activité de leurs adhérents, et qu’ils devaient de ce seul fait être assujettis à la TVA et aux impôts de droit commun dont sont redevables les Entreprises du secteur marchand.

Tous les arguments contraires que nous avions pu développer alors, parmi lesquels le fait que les Services interentreprises avaient (et ont toujours) de nombreux adhérents organisés sous la forme d’Organismes à caractère non lucratif, non assujettis de ce fait à la TVA, étaient restés lettre morte.

Le cœur du problème était que l’assujettissement des Services à la TVA sans assujettissement corrélatif aux impôts de droit commun aurait eu pour conséquence une perte de recettes substantielle pour les caisses de l’Etat, ce qui était inacceptable pour nos grands argentiers. C’est bien d’ailleurs ce qui, à l’époque, avait justifié l’inaction avérée des deux Ministres que nous avions approchés pour faire valoir notre point de vue, pas n’importe lesquels puisqu’il s’était agi successivement de Michel Sapin et de Nicolas Sarkozy !

Le second concerne la composition du Conseil d’Administration des Services interentreprises prévue par la loi de Modernisation sociale de janvier 2002 et le décret de juillet 2004. Lorsque, dans le cadre des travaux de la Commission spécialisée « Médecine du travail » du Conseil Supérieur de la Prévention des Risques des Risques Professionnels, avait été évoquée l’entrée au CA de membres salariés issus de la Commission de Contrôle, je m’étais évidemment « étonné » que fût posé le principe de faire entrer au CA des représentants nécessairement dotés de la double qualité de juge et de partie.

N’y avait-il pas là une anomalie ? Ne pouvait-on l’éviter, sans remettre pour autant en cause la « marche » vers le paritarisme, en posant le principe que les membres du CA et ceux de la Commission de Contrôle ne pouvaient être les mêmes. Simple question de bon sens ? Que nenni ! Le Conseil d’Etat donna son aval, et, depuis lors, dans la plupart des Services, ce sont les mêmes personnes qui siègent dans les deux instances.

Le principe de réalité initial (lié notamment au manque de représentants salariés susceptibles de siéger dans les instances des Services) s’est transformé en principe d’efficacité : on gagne indiscutablement du temps. Au point que certains se demandent s’il est vraiment pertinent, avec la généralisation du paritarisme, de maintenir à la fois le CA et la Commission de Contrôle. La question est importante et la réponse à lui donner n’est pas aussi évidente qu’il y paraît. J’y reviendrai dans un prochain article.

Ce qui semble ressortir des exemples donnés, c’est la capacité du Conseil d’Etat, non à dire le Droit mais à l’« arranger », au gré des circonstances et des besoins de l’Etat…

Ayant à l’esprit de nombreux autres arrêts, je me garderai évidemment d’offenser ses membres éminents en en faisant une règle générale. Disons simplement qu’en Santé au travail, nous avons apparemment moins de chance ou que le sujet est tel que l’approximation y est moins inacceptable qu’ailleurs…

Pour revenir à nos cotisations, j’ignore quel sort leur sera réservé à l’avenir mais je ne doute pas un instant que la position du Conseil d’Etat ait du mal à entrer dans le faits.

Ne serait-ce que parce que notre système n’a pas achevé sa mue et qu’il est parfaitement concevable, à moyen terme, que le mode de financement de la Santé au travail (comme d’ailleurs son mode de gouvernance) soit revu de fond en comble, comme l’avait prévu en son temps Gérard Larcher dans le premier Plan Santé au travail couvrant la période 2005-2009. Et comme y songent, sans forcément l’avouer, certains des Partenaires sociaux…

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 23 juillet 2014
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