Du Congrès à l’Assemblée nationale en passant par le Sénat, le feuilleton de la réforme se poursuit : Amour, mensonges et vidéo (deuxième épisode)

Avis de tempêteJ’avais conclu le précédent article publié sur notre site, consacré à l’intervention vidéo de Myriam El Khomri projetée à la fin de la séance d’ouverture du 34ème Congrès national de Médecine et Santé au travail, en annonçant un commentaire sur l’intervention de Sophie Fantoni-Quinton, co-auteur, avec Michel Issindou, Hervé Gosselin et quelques autres, du Rapport servant de support à la réforme en cours de la Médecine du travail.

Je le fais aujourd’hui, avec un peu de retard, en raison de déplacements dans plusieurs Services mis en grande difficulté par la pénurie de Médecins du travail.

Le temps et… les surprises du 34ème Congrès national de Médecine et Santé au travail

Sans doute échaudée par l’accueil réservé à notre Ministre, Sophie Fantoni-Quinton a pris soin, pour ne pas subir le même sort, d’enjoliver habilement son propos à destination des nombreux Médecins du travail présents, se démarquant du Rapport Issindou au point de faire oublier qu’elle en avait été l’une des chevilles ouvrières…

Le résultat obtenu a été à la hauteur de ses attentes puisque, contrairement à Madame El Khomri, on l’a chaleureusement applaudie…

Et pourtant, c’est bien à propos du même texte, avec les mêmes projets en tête, que l’une et l’autre se sont exprimées. Huées pour la première, applaudissements pour la seconde, qu’importe en réalité : la « vérité » se trouve désormais dans le texte examiné et approuvé par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, puisque, comme prévu, après le vote solennel du projet de loi par le Sénat, la Commission mixte paritaire n’a pu se mettre d’accord sur un texte commun.

Plus que les propos de circonstance, un (très gros) brin démagogiques, tenus devant les Professionnels de la Santé au travail réunis Porte Maillot pour leur « grand-messe » bisannuelle, ce sont bien désormais les choix que vont faire les responsables politiques, et eux seuls, sous la pression de leurs opposants et alliés, qui vont conditionner l’évolution de notre système de Santé au travail.

Ce qui nous renvoie bien évidemment, d’une part, aux débats qui viennent de s’achever au Sénat, dans la mesure où ils n’ont pas été exempts de surprises, d’autre part, à ceux qui se sont déroulés dans le cadre de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et qui vont se poursuivre en séance publique à partir de demain mardi 5 juillet.

Le temps et… les surprises du Sénat

Dans le document officiel du Sénat intitulé Les principales modifications apportées par le Sénat en première lecture sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actif-ve-s, on peut lire, s’agissant de la Médecine du travail que « le Sénat a voulu réaffirmer les missions de la médecine du travail. Il a notamment maintenu la visite d’aptitude à l’embauche comme principe général, la visite d’information et de prévention ne devant être possible qu’à titre dérogatoire ».

Un changement important, comme on le voit, qui n’avait selon moi aucune chance de passer le cap de l’examen du texte par l’Assemblée nationale dans la mesure où le Gouvernement fait de la suppression de la visite d’aptitude sous sa forme actuelle une question de principe, en s’appuyant précisément sur le Rapport Issindou dont Sophie Fantoni-Quinton a fait mine de se désolidariser…

Autre changement, pour le moins surprenant : c’est en effet avec l’accord de Mme Clotilde Valter, Secrétaire d’État, que l’amendement n°357, présenté par Mme Bricq et les membres du groupe socialiste et républicain, dont l’objet était de rétablir la présidence alternée des Services introduite par le Gouvernement grâce au 49-3, supprimée par la Commission des Affaires sociales du Sénat, a été rejeté, sur la base d’un argument stupéfiant : « La situation actuelle est équilibrée, et les partenaires sociaux n’ont pas été consultés. » 

Une Ministre désavouant à la fois les membres de sa famille politique et le contenu d’un texte imposé par le Gouvernement au mépris du dialogue social et du dialogue politique, en prenant prétexte du fait que « les partenaires sociaux n’ont pas été consultés », voilà qui  est cocasse !

Ce qu’on appelle un virage à 180 degrés ?

Quoique… Comme on le verra plus bas.

Dernier changement notable, totalement inattendu celui-là, dans le texte adopté par le Sénat. Alors que le Rapporteur du texte avait rejeté, en Commission des Affaires sociales, comme je l’avais souligné alors, le changement de mode de calcul des cotisations proposé par M. Vanlerenberghe, il l’a appuyé en séance, contre l’avis de notre Ministre…

Dans l’article publié le 7 juin, Les Sénateurs en panne de questions devant la Commission des Affaires sociales du Sénat mais… les Rapporteurs en veine de réponses., j’avais écrit :

« On notera également que, contrairement à ce que l’on pouvait penser, l’amendement relatif aux cotisations des Services a été rejeté en des termes tels que l’on voit mal désormais comment l’Assemblée nationale pourrait revenir sur sa position :

« M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. – Les amendements identiques nos 97 et 259 prévoient que la détermination de l’assiette de financement des services interentreprises de santé au travail peut se fonder sur le nombre de salariés, la masse salariale ou une combinaison de ces deux éléments. Cette proposition soulève un enjeu d’équité et n’a pas fait l’objet d’une concertation : avis défavorable. Il faudrait interroger le Gouvernement.

Les amendements identiques nos 97 et 259 ne sont pas adoptés. »

C’est là un échec patent et inattendu du lobbying intense autour de cette question, particulièrement chère aux Services de Santé au travail dont les cotisations sont calculées, souvent depuis des dizaines d’années, en pourcentage des salaires plafonnés déclarés à l’URSSAF. »

Très curieusement, dans le compte rendu analytique de la discussion générale sur l’article 44 tenue le 24 juin, on peut lire :

« ARTICLE ADDITIONNEL

Le président.– Amendement n° 910 rectifié, présenté par MM. Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.

Après l’article 44

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le second alinéa de l’article L. 4622-6 du code du travail est complété par les mots : « ou proportionnellement à la masse salariale plafonnée ou proportionnellement au nombre des salariés et à la masse salariale plafonnée ».

Guillaume Arnell. – Afin de s’acquitter de leurs dépenses de santé au travail, les entreprises de moins de 500 salariés et celles sans service autonome sont contraintes d’adhérer à un organisme de santé au travail interentreprises (SSTI) sous statut associatif, dont le coût est déterminé par le nombre de salariés.

Certes, chaque SSTI peut définir son propre taux de cotisation par salarié, ou différencier les taux des cotisations selon la nature des expositions des salariés et selon le degré de surveillance médicale des différents salariés. Toutefois, dans la réalité, comme le souligne le rapport de la Cour des comptes, à peine la moitié des services interentreprises de santé au travail établissent la cotisation per capita, les autres retenant pour assiette la masse salariale plafonnée ou un système mixte, et sont donc dans l’illégalité.

Cet amendement propose de laisser plusieurs possibilités : une cotisation fixée par salarié, une cotisation exprimée en pourcentage de la masse salariale et un mode mixte des deux modes précédents.

Jean-Marc Gabouty, rapporteur. – Avis favorable à cet amendement qui élargit les possibilités de fait, sans contraindre.

Mme Myriam El Khomri, ministre. – Avis défavorable. Le Gouvernement s’efforce de promouvoir le principe de cotisation per capita. En outre, il n’y a pas eu concertation des partenaires sociaux. »

De « Cette proposition soulève un enjeu d’équité et n’a pas fait l’objet d’une concertation : avis défavorable. Il faudrait interroger le Gouvernement », la position du Rapporteur est donc devenue « Avis favorable à cet amendement qui élargit les possibilités de fait, sans contraindre ».

Quant au Gouvernement, dont il disait qu’il faudrait l’interroger, il n’a pu, par la voix de Myriam El Khomri, que s’opposer pour la forme à cet amendement, portant le n° 910, finalement adopté et devenant un « article additionnel ».

Jusqu’à quand ?

Normalement pour peu de temps puisque le Gouvernement semble tenir mordicus aux cotisations per capita imposées dans la foulée de la réforme de juillet 2011, qui constituent pourtant un des choix les plus stupides et les plus rétrogrades de l’Administration, à la suite du Rapport de la Cour des Comptes de novembre 2012.

J’avais à l’époque largement commenté cette décision, confirmée depuis par le Conseil d’Etat…

Jean-Denis Combrexelle, alors Directeur Général du Travail, signataire de la (simple) Circulaire dans laquelle cette obligation est inscrite, est aujourd’hui Président de la Chambre sociale du Conseil d’Etat… C’est dire la probabilité que l’on revienne sur ce choix, si aberrant soit-il !

Mais sait-on jamais ! Les revirements ont déjà été si nombreux…

Je ne pensais pas si bien dire…

Les lignes qui précèdent ont en effet été rédigées juste après le vote du Sénat et juste avant que je ne suive avec grande attention l’examen des amendements par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Le temps et… les surprises de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale

Présidée par Catherine Lemorton, la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a examiné « à la hussarde » les amendements présentés par les Députés (on trouvera en bas de page le lien vers la liste exhaustive des amendements à l’article 44), en présence de Madame El Khomri en personne lors de la première des trois séances qui leur ont été consacrées, dans une ambiance plutôt tendue, devant un auditoire de plus en plus clairsemé (il suffit de regarder les vidéos pour le vérifier).

L’occasion de vérifier une nouvelle fois le degré d’impréparation de certaines dispositions, proposées in extremis par le Gouvernement pour essayer de recoller les morceaux d’une majorité éclatée et d’éviter un nouveau recours au 49-3.

La preuve en a été donnée avec l’extension du rôle du Haut Conseil du dialogue social, instance créée par la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail et rattachée aux services du Ministre chargé du Travail. Ce Haut Conseil a pour mission d’arrêter tous les quatre ans la liste des organisations syndicales reconnues représentatives par branche professionnelle et des organisations syndicales reconnues représentatives au niveau national et interprofessionnel.

Manifestement proposée sans qu’on en ait mesuré toute la portée, l’extension de ses compétences a suscité des échanges aigres-doux mettant une nouvelle fois en lumière l’improvisation des solutions envisagées, en dépit de l’autorité du Rapporteur, Christophe Sirugue, peu enclin à faire la moindre concession aux nombreux opposants au projet de loi…

Si cette proposition a surpris, que dire alors de celles concernant la Médecine du travail ?

La saga de la gouvernance des Services de Santé au travail interentreprises

J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer à de nombreuses occasions sur la Gouvernance des Services. Il était évident que les dispositions la concernant, introduites en catimini, juste avant le vote du projet de loi par l’Assemblée nationale grâce à l’article 49-3 de la Constitution, seraient supprimées par le Sénat.

Elles l’ont été comme prévu, le Sénat revenant au mode de Gouvernance actuellement en vigueur.

La surprise, car surprise il y a malgré tout, en apparence au moins, est que la Commission des Affaires sociales n’a pas remis en cause le choix des Sénateurs… Ce qui mérite quelques explications.

Il faut savoir que c’est par rapport à la dernière mouture du projet de loi, donc celle émanant du Sénat que les Députés ont été conduits à présenter des amendements. C’est donc tout naturellement que Gérard Sébaoun, dont l’amendement relatif à la présidence alternée avait été refusé (sèchement) par la Commission des Affaires sociales puis intégré, sans qu’il en ait été averti, au texte adopté sans vote grâce au 49-3, l’a proposé à nouveau :

Amendement n° 102, présenté par M. Sebaoun, M. Robiliard, M. Germain, Mme Filippetti, M. Blazy, Mme Guittet, M. Juanico, M. Galut, Mme Tallard, M. Cherki, Mme Romagnan, M. Noguès, Mme Carrey-Conte, Mme Bruneau, M. Gille, M. Paul, M. Aylagas, Mme Troallic, M. Féron, M. Léonard, Mme Chabanne, Mme Bouziane-Laroussi, M. Amirshahi, Mme Lepetit et M. William Dumas

ARTICLE 44

Après l’alinéa 62, insérer les trois alinéas suivants :

« 1° ter A (nouveau) Les quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 4622‑11 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Le président et le trésorier sont élus en alternance parmi les représentants mentionnés aux 1° et 2°.

« En cas de partage des voix lors de la première élection, le président est élu au bénéfice de l’âge. Le président dispose d’une voix prépondérante. Il doit être en activité. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Un organisme paritaire est une institution constituée d’un nombre égal de représentants de chaque partie. C’est le cas des services de santé au travail interentreprises. Les employeurs relevant du présent titre organisent des services de santé au travail au titre de l’article L4622‑1.

L’article L4622‑2 nous rappelle les missions de ces services afin d’éviter toute altération de la santé physique et mentale des travailleurs du fait de leur travail. Ils conduisent les actions de santé au travail, ils conseillent les employeurs, les travailleurs et leurs représentants sur la prévention des risques professionnels, l’amélioration des conditions de travail, la prévention des addictions milieu de travail, celle du harcèlement sexuel ou moral, de la pénibilité au travail et la désinsertion professionnelle afin de contribuer au maintien dans l’emploi des travailleurs. Ils contribuent à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.

Dès lors, au service exclusif de l’ensemble des acteurs des entreprises adhérentes, les employeurs et les salariés étant également représentés, rien ne justifie que le le Président soit toujours élu parmi les employeurs et le trésorier toujours parmi les représentants des salariés.

Cet amendement, adopté par le Gouvernement lors de la première lecture du présent projet de loi en séance à l’Assemblée nationale, propose de modifier l’article L 4622‑11 et de revenir à la règle commune des organismes paritaires afin que ces fonctions puissent être exercées par un membre du conseil d’administration indépendamment de son statut de représentant employeur ou de représentant salarié.

On notera que ce n’est pas sans une certaine ironie que Gérard Sebaoun l’a « remis sur la table » : 

Gérard Sebaoun. 

« Cet amendement important, dont nous avons longuement débattu en première lecture et qui est soutenu de longue date par les socialistes, prévoit que, dans les services de santé au travail qui ont une gouvernance paritaire, le poste de président puisse être attribué alternativement à un représentant des salariés et à un représentant des employeurs. J’ai été surpris de constater que cette disposition avait été intégrée au texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité, puis qu’elle avait été supprimée par le Sénat avec l’accord du Gouvernement. Aussi, je m’interroge : soit une erreur s’est glissée dans le texte issu de la première lecture, soit – mais cela m’étonnerait – le Gouvernement a reculé devant le MEDEF. Quoi qu’il en soit, cet amendement, auquel les médecins du travail sont favorables, répond à une demande très ancienne, émanant de la CFE-CGC notamment. Je propose donc que nous rétablissions l’erreur du Gouvernement… »

A suivi un échange « surréaliste » qui m’a donné envie de me pincer pour m’assurer que je ne rêvais pas… Je ne résiste pas au plaisir de vous le livrer tel qu’il est reproduit dans le Rapport de Christiophe Sirugue :

M. le Rapporteur. 

« Je confirme que des erreurs se sont glissées dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité, ce qui a pu créer une certaine confusion.

Le paritarisme dans la gestion des services de santé est récent, puisqu’il date de 2011. Un équilibre a été trouvé, approuvé par les organisations syndicales et patronales. Même si l’on peut considérer que la modification proposée est pertinente, il semblerait utile de pouvoir consulter ces organisations avant de l’adopter. Je demande donc à M. Sebaoun de bien vouloir retirer cet amendement.

M. Gérard Cherpion. 

Tout d’abord, je précise qu’en l’espèce il s’agit d’un faux paritarisme, puisque les financements proviennent des employeurs. Il paraît donc logique que leurs représentants assument la présidence de ces organismes. Ensuite, je puis vous dire, pour avoir consulté plusieurs associations de médecins du travail, que cet amendement ne correspond ni à une demande de ces associations ni à une demande des représentants des salariés. Le dispositif fonctionne bien, il est stable. J’ajoute que le problème réside moins dans la gouvernance de ces services que dans la difficulté de recruter des médecins du travail. Je crois donc préférable que nous en restions au texte du Sénat.

M. Michel Issindou. 

Je confirme à mon tour qu’il s’agit d’une erreur. Je ne nie pas que quelques organisations syndicales réclament cette mesure, mais cette demande n’a pas été exprimée lors des auditions que j’ai réalisées dans le cadre de la mission d’information que j’ai présidée. Je rappelle par ailleurs que le poste de trésorier des associations est occupé par les représentants des salariés, de sorte que les organisations syndicales ont un véritable droit de regard sur leur fonctionnement. Il me paraît donc urgent de ne rien faire.

M. Arnaud Richard. 

Je n’ai pas le sentiment que les représentants du Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME), que nous avons reçus dans le cadre de la mission d’information sur le paritarisme, réclament une telle mesure. Nous auraient-ils caché quelque chose ?

M. Gérard Sebaoun. 

Non. Le CISME est vent debout contre cette modification, qui est demandée par la CFE-CGC depuis longtemps. Ce combat me paraît légitime, notamment dans le cadre du paritarisme. Je maintiens donc cet amendement.

La Commission rejette l’amendement. »

Pour faire court, Christophe Sirugue s’est donc permis d’affirmer, sans rire, que la Gouvernance alternante avait été introduite par erreur dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité, « ce qui a pu créer une certaine confusion » …(sic)

Il a bien évidemment été conforté dans cette position par l’incontournable Michel Issindou…

Rien à voir avec une quelconque reculade devant le MEDEF, pour reprendre les propos de Gérard Sebaoun !

Comment peut-on imaginer qu’il puisse s’agir d’une « erreur » ? Si tel est le cas, je trouve personnellement très grave que l’on ait pu introduire pareille « erreur »… Si ce n’est pas le cas, c’est plus grave encore car cela signifie qu’on nous mène en bateau… Dans les deux cas, la crédibilité de l’Etat est sérieusement remise en cause, ce qui, par les temps qui courent, n’est pas ce que l’on peut faire de mieux.

Et si, tout simplement, comme je l’avais envisagé dans un article précédent,  l’introduction de la présidence alternante n’avait été qu’un simple « coup de bluff » ?

« Dans la mesure où Michel Issindou est manifestement très écouté depuis que son Rapport a été rendu public et a servi de support aux dispositions relatives à la Santé au travail contenues dans la loi Rebsamen, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que, sollicité pour imaginer des gages d’ouverture à destination des Députés de la gauche du PS, il soit parvenu sans difficulté à convaincre le Gouvernement d’intégrer cette disposition au projet de loi, donnant ainsi l’illusion de risquer de déplaire aux Organisations patronales, tout en sachant que, si elle devait être retirée par la suite, au cours de la deuxième lecture par l’Assemblée nationale, cette « pseudo-reculade » ne risquerait pas d’être considérée comme un cadeau aux Patrons et ne constituerait donc pas un « casus belli » pour les plus remuants de ses soutiens, politiques et syndicaux…

En clair, donner le sentiment de « faire une fleur » à ses alliés en durcissant en apparence le ton vis-à-vis des Organisations patronales, tout en ayant pour objectif non avoué, dans un second temps, de faire une fleur à ces dernières en renonçant à la disposition en question, sans avoir à redouter d’effet boomerang de la part des premiers…

Politique fiction ou non ? C’est en tout cas selon moi ce qui pourrait expliquer l’assurance affichée par certains représentants des Employeurs, qui semblent considérer la Présidence alternante comme étant déjà mort-née…

Son introduction dans le projet de loi issu du 49-3 ne serait-il donc qu’un coup de bluff… ?

En revanche, le discrédit qui en résulterait serait, lui, une bien triste réalité. »

Nous y voilà !

Cotisations per capita ou sur la masse salariale : la saga se poursuit

Le désordre règne à ce niveau aussi. Refusée dans un premier temps par la Commission des Affaires sociales du Sénat, la coexistence des deux modes de fixation des cotisations avait finalement été acceptée par le Sénat, comme on l’a vu plus haut, contre l’avis de Madame la Ministre en personne, dont je rappelle les termes :

Mme Myriam El Khomri, ministre. – Avis défavorable. Le Gouvernement s’efforce de promouvoir le principe de cotisation per capita. En outre, il n’y a pas eu concertation des partenaires sociaux. »

Il apparaissait pratiquement impossible, dans ces conditions, pour les raisons présentées plus haut, que cette disposition survive à son passage à la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. C’était sous-estimer la capacité du Gouvernement à se contredire.

Quitte à désavouer sa Ministre… Et désaveu il y a bien eu, comme le révèle le Rapport de Christophe Sirugue, dont j’ai extrait les lignes qui suivent :

« Article 44 bis A (Art. L 4622-6 du code du travail

Modalités de calcul des dépenses des services de santé au travail

Adopté par le Sénat en séance publique à l’initiative de M. Michel Amiel (RDSE), cet article vise à modifier les modalités de calcul des dépenses relatives aux services de santé au travail.

L’article L. 4622-6 fixe les conditions de répartition des frais lorsqu’est institué un service commun à plusieurs entreprises. Il dispose que « ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés ».

Prenant acte du fait que nombre d’entreprises ne respectent pas ce principe de calcul, le Sénat entend modifier l’état du droit en vigueur pour l’adapter à la pratique. Il autorise ainsi une répartition des frais selon la masse salariale ou une répartition combinant masse salariale et nombre de salariés, faisant prévaloir ainsi une liberté de choix aux entreprises.

La Commission adopte l’article 44 bis A sans modification. »

Vous avez bien lu. Ce qui était réputé inacceptable par la Ministre, justifiant un avis défavorable de sa part devant le Sénat, il y a quelques jours seulement, a été accepté sans coup férir par la Commission des Affaires sociales.

A toute vitesse et sans aucun débat, dans la précipitation et même avec une hâte suspecte, comme le prouve la vidéo visible sur le site du Sénat.

Je reviendrai naturellement plus tard sur d’autres modifications, liées notamment à l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation sur l’obligation de sécurité de résultat ou aux effets du travail de nuit sur la santé, que vient d’éclairer un tout récent rapport de l’ANSES, rendu public pendant le Congrès de Médecine et Santé au travail.

Mais, pour l’heure, je ne pouvais passer sous silence des « surprises », comme je les ai appelées, tellement grossières qu’elles me rappellent le titre d’un article déjà consacré à la réforme de la Médecine du travail, publié au début du mois de janvier : Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages.

Aujourd’hui, reprenant une formule célèbre de Coluche, je serais plutôt tenté d’écrire : faut pas nous prendre que pour des C…

En attendant une nouvelle fois le 49-3, si tous les reniements et contorsions auxquels nos dirigeants se sont livrés ne leur permettent pas de dégager une majorité ?

Ce sera la « surprise » du jour…

Ou pas !

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 4 juillet 2016
Dessin d’Arthur (avis de tempête)
Tous droits réservés

Pour accéder aux textes cités dans le corps de l’article permettant (d’essayer) de s’y retrouver dans ce dossier, cliquer sur les liens suivants :

A l’Assemblée nationale

Projet de loi El Khomri : texte adopté après passage devant la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale

Amendements à l’article 44 du Projet de loi El Khomri

Rapport Sirugue Assemblée nationale

Rapport Sirugue : extraits relatifs à l’article 44

Au Sénat

Texte adopté par le Sénat

Compte rendu analytique officiel du 24 juin 2016

Amendements Titre V Lecture Sénat

Principaux apports du Sénat en première lecture

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