Harcèlement au travail : Xavier, Yvette ou Zoë, tous menacés

Il y a des situations, des attitudes, des mots qui trouvent naturellement un écho au plus profond de soi. C’est exactement ce qui s’est passé quand j’ai pris connaissance de l’article de l’Express, « Delphine, harcelée moralement au travail, ressuscitée », non parce que l’avocat cité est mon ami Michel Ledoux, mais parce que l’exemple pris reflète crûment une réalité que beaucoup préférent ignorer.

Loin d’être un cas isolé, ce qu’a vécu Delphine est hélas le lot passé, actuel et futur de nombreux salariés, à tous les niveaux hiérarchiques et dans des entreprises de tous types et de toutes tailles, y compris celles qui, en en faisant un argument quasi publicitaire, se targuent d’œuvrer en faveur de la Santé au travail, du Bien-être au travail, ou, puisque c’est désormais l’expression à la mode, de la Qualité de Vie au Travail, et, ce qui est pire encore, celles dont c’est le cœur de métier !

Est-il possible de dresser une typologie des victimes ou, tout au moins, d’établir une liste des critères qui font que l’on peut, à un moment donné, en devenir une ? Ce serait évidemment commode mais, hormis une proportion limitée de personnes considérées comme « fragiles », c’est-à-dire ayant déjà dû bénéficier d’un suivi médical en raison précisément de problèmes d’ordre psychologique ou mental indépendants de leur activité professionnelle, nul n’est vraiment à l’abri.

Si certaines personnes apparaissent plus menacées que d’autres, les femmes plus que les hommes, les personnes souffrant d’un handicap plus que les personnes valides, les travailleurs âgés plus que les jeunes, etc., le risque existe pour tous. Et qu’on ne s’imagine surtout pas que le fait de bien faire son travail ou d’être bien noté par sa hiérarchie suffise pour y échapper. Il n’est pas rare en effet que des qualités trop grandes ou jugées trop voyantes, celles en tout cas qui font la différence avec ses collègues ou ses supérieurs hiérarchiques, soient à l’origine de problèmes sérieux.

La jalousie, l’envie, la frustration sont des leviers extrêmement puissants.

Les phrases citées dans l’article de l’Express, tirées du journal de Delphine, « T’as vu, elle s’aime bien, elle est toujours tirée à quatre épingles, elle n’a vraiment que ça à faire » ou « Elle se la pète, comme toujours ! De toute façon, moi j’aime pas les bourges ; pour qui elle se prend celle-là ? » sont révélatrices d’une triste réalité : le refus d’accepter l’autre pour ce qu’il est, avec ses qualités et ses défauts, étant entendu que des qualités avérées peuvent, dans l’esprit de certaines personnes, être des défauts insupportables…

Tout dépend en fait, entre autres, du degré de gêne ou de menace que représente le collègue, le collaborateur, le subordonné…

Tel « chef » peut ainsi, s’adressant à un salarié qui lui « résiste » en ayant le seul tort de faire consciencieusement son travail, lui annoncer, en l’absence de témoin, cela va de soi, avec toute la haine dont il est capable : « nous aurons votre mort professionnelle ». Tel autre, jaloux des qualités d’un collaborateur qui lui fait de l’ombre, peut se permettre de lui reprocher, contre toute évidence, de n’être jamais disponible, alors que chacun sait qu’il est « joignable » 7 jours sur 7 et se dépense sans compter au service de sa « boîte ».

La volonté de nuire, l’arbitraire, l’injustice règnent…

Les « harceleurs » peuvent évidemment appartenir à la catégorie des pervers narcissiques mais, comme le dit Michel Ledoux, « ces salariés toxiques jouissant de la destruction de l’autre ne sont au fond pas si nombreux ». Cela signifie que, dans de la plupart des cas, on est confronté à la violence « ordinaire » de gens « ordinaires ». Individuellement ou en groupe, consciemment ou non, ils se livrent (ou ils participent) à un travail de sape qui, en quelques semaines ou quelques mois, peut ruiner la santé mentale de la personne la plus solide et la conduire à commettre l’irréparable.

L’issue de la « guerre » entre harceleur(s) et harcelé(e)s dépend de nombreux facteurs, au premier rang desquels figurent la capacité de résistance de la personne « ciblée » et celle qu’il peut puiser dans son environnement familial, amical, professionnel, les deux étant étroitement liés.

Le fait qu’un médecin du travail ait pu affirmer, dans le cas de Delphine, que le niveau de trouble psychosomatique constaté dans son administration pouvait être comparé à celui que l’on observe en situation de guerre en dit long sur la réalité à laquelle sont confrontés quotidiennement un nombre croissant de Femmes et d’Hommes.

S’il n’y a qu’une seule leçon à tirer de l’exemple de Delphine, c’est bien celle-là : nous sommes en situation de guerre ; or, qu’on se prénomme X, Y ou Z, Xavier, Yvette ou Zoé, chacun de nous est menacé dans cette « guerre » qui s’avoue d’autant moins que de nombreuses personnes peuvent devenir complices voire coupables, pour peu que les circonstances s’y prêtent ou que leurs intérêts les y conduisent.

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE janvier 2013

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2 Comments

JHL

Je trouve cet article intéressant et je ne manquerai pas de consulter l’Express ce week-end pour enrichir ma culture personnelle sur le harcèlement. Je pense que Xavier (Bertrand) est davantage menacé qu’Yvette (Roudy) mais moins que l’actrice Zoê (Saldana). Compte tenu de sa plastique avantageuse, cette dernière doit sans doute craindre une autre forme de harcèlement… Enfin il y a des gens très difficiles à harceler (voir le personnage joué par le regretté Jean Yanne dans le célèbre sketch « Le permis de conduire » où c’est le candidat qui terrorise l’examinateur).

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g.paillereau

No comment sur les « avantages » comparés de Xavier, Yvette ou Zoé… A chacun de se faire une opinion.
Quant au sketch de Jean Yanne, il montre effectivement que personne n’est à l’abri du « terrorisme » d’un excité, et ce d’autant moins que, comme le disait mon regretté père, quand on est C.., c’est pour la vie. Et comme la C…….. est la « qualité » la plus répandue dans le genre humain, il faut beaucoup d’efforts pour parvenir à s’en tenir éloigné.

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