L’allègement des SMR : une « mise à jour » nécessaire, excessive et… incomplète (GP : chronique actuEL-HSE)

On trouvera ci-dessous le texte de la deuxième chronique que j’ai rédigée pour les Editions Législatives, publiée sur le site actuEL-HSE le 19 juin 2012.

Elle complète plusieurs articles mis en ligne sur le site ces derniers mois, auxquels il est possible d’accéder à partir des liens suivants :

Santé au travail : les égoutiers se battent pour préserver leur santé

Abrogation de diverses dispositions relatives à la surveillance médicale renforcée des travailleurs : arrêté du 2 mai 2012 (JO du 8 mai)

Surveillance médicale renforcée : la grande évasion

GP

Le « toilettage » dont viennent de faire l’objet les SMR était attendu mais on doit s’interroger sur ses conséquences, en termes de santé pour les Salariés et de responsabilité pour les Employeurs, tant la nouvelle liste apparaît limitée.

La genèse du classement en SMR

Depuis l’avènement de la Médecine du travail « moderne », avec le décret du 20 mars 1979, l’activité des Services de Médecine du travail (devenus Services de Santé au travail) a été très largement dépendante du « classement » des salariés en fonction de la nature de leur Surveillance médicale.

Jusqu’à la réforme intervenue avec la Loi de Modernisation sociale du 17 janvier 2002 et le décret du 28 juillet 2004, le calcul du « temps médical », c’est-à-dire du temps alloué aux Médecins du travail pour mener à bien leur mission, était fondé sur les catégories E (Employés), O (Ouvriers) et S (Salariés soumis à une Surveillance médicale Spéciale).

Le classement des Salariés dans cette dernière catégorie reposait sur les textes, arrêtés et décrets « spéciaux », énumérés à l’article R. 241-51 du Code du travail. Il prenait en compte, soit leur situation « personnelle », soit les risques auxquels ils étaient exposés, conduisant à ce qu’ils bénéficient, selon le cas, d’une surveillance médicale Particulière ou d’une surveillance médicale Spéciale, ce qui était globalement sans incidence sur la périodicité des examens médicaux puisque tout salarié, E, O ou S, bénéficiait au moins d’une (ou plutôt de LA) « visite annuelle » obligatoire.

Une évolution indispensable manquée à deux occasions

Déjà considérés comme « obsolètes » et/ou « inadaptés », certains de ces textes, dont l’arrêté du 11 juillet 1977, auraient dû être remis en cause dans le cadre de la réforme intervenue en 1988 (décret du 28 décembre 1988 et arrêtés du 1er avril et du 29 mai 1989 fixant respectivement les modèles de « Document » et de « Fiche d’entreprise »).

Il n’en fut rien. Première occasion manquée.

Deuxième occasion manquée avec la loi du 17 janvier 2002 et le décret du 28 juillet 2004. Pour ne pas ouvrir la « Boîte de Pandore », on fit le choix, contre toute logique, de supprimer le calcul du temps médical, de substituer la Surveillance médicale Renforcée à la Surveillance médicale Particulière ou Spéciale, et de rendre bisannuelle la périodicité des examens médicaux systématiques pour les salariés non SMR, sans modifier des dispositions pourtant dépassées depuis longtemps …

Le virage engagé par la loi du 20 juillet 2011

L’occasion donnée par la Loi du 20 juillet 2011 aura donc été la bonne, puisque le décret 2012-135 du 30 janvier 2012 a (enfin) mis à jour la liste des situations, travaux et risques justifiant le classement en SMR. L’arrêté du 2 mai 2012 (JO du 8 mai) a confirmé cette « modernisation » du cadre réglementaire avec l’abrogation d’une douzaine de textes, dont le très emblématique et décrié arrêté de juillet 1977, hors d’âge depuis… près de 25 ans.

Il est évidemment hors de question de contester le bien-fondé d’un « dépoussiérage » attendu d’aussi longue date. Pour autant, les choix effectués dans le cadre de la récente réforme, qui hésitent entre le trop et le trop peu, ne sont pas dépourvus de risques juridiques à la fois pour les Entreprises et pour les Salariés.

Des risques sanitaires et juridiques non négligeables

Quels seront les effets de la « suppression » de nombreux risques professionnels justifiant hier un classement en SMR, de son corollaire en termes d’espacement (désormais très largement ouvert) des examens périodiques obligatoires pour les salariés concernés (cette suppression et cet espacement étant fondés pour l’essentiel, non sur des considérations « sanitaires » au sens large mais bel et bien sur une adaptation à la pénurie de médecins du travail spécialistes), et de la substitution (pour les mêmes raisons) d’« entretiens » réalisés par des Infirmiers aux examens médicaux réalisés par les Médecins du travail ?

Ne risque-t-on pas d’assister, en dépit de l’ouverture à la pluridisciplinarité, à une dégradation de la prise en compte de la Santé/Sécurité au travail dans de nombreuses Entreprises, accompagnée d’une « explosion » de contentieux que l’« obligation de sécurité de résultat » née des « arrêts amiante » de février 2002 rend pratiquement inéluctable ?

Qui est concerné ?

La question qui vient naturellement à l’esprit est de savoir combien de salariés sont concernés par l’allègement des SMR.

Cette question est d’autant plus fondée que, dans le Rapport d’Information présenté le 7 mars par Guy Lefrand, Rapporteur de la Loi du 20 juillet 2011, devant la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale, il est précisé (page 46 du Rapport) que « selon la Direction Générale du Travail, la refonte de cette liste s’est appuyée sur les recommandations de bonnes pratiques existantes ainsi que sur l’état des connaissances scientifiques et médicales, et a permis d’en retrancher certains risques, pour lesquels une telle surveillance ne serait pas nécessaire. »

On est donc en droit de s’attendre à trouver facilement des informations précises sur le sujet.

Une évaluation de l’impact réalisée a posteriori

Le problème est que, renseignement pris auprès des nombreux Professionnels approchés, particulièrement lors du 32ème Congrès de Médecine et Santé au travail qui s’est tenu du 5 au 8 juin à Clermont-Ferrand, d’une part, « les recommandations de bonnes pratiques existantes » sont en fait à inventer pour l’immense majorité des situations de travail, d’autre part, « l’état des connaissances scientifiques et médicales » est insuffisant pour asseoir « scientifiquement » les coupes sombres qui ont été faites.

En réalité, aucun Organisme à caractère scientifique, qu’il s’agisse de l’INRS, de l’ANSES ou de l’INVS, pas plus d’ailleurs que la CNAM, n’apparaît en mesure de donner un chiffrage précis et statistiquement fiable du « ménage » qui a été opéré dans les SMR, et, dans certaines Régions, des études sont actuellement conduites par les DIRECCTE auprès des Services de Santé au travail pour disposer, a posteriori, de données chiffrées sur l’impact des décisions prises…

En clair, on a décidé avant de savoir tout en prétendant avoir su avant de décider !

Il est temps de recenser, sans préjugé ni arrière-pensée, les risques professionnels existants, ce qui suppose évidemment de prendre pleinement en compte les risques émergents, parmi lesquels les risques dits « psychosociaux ». La réalisation d’un tel recensement est la condition sine qua non de la mise en œuvre d’une politique de Santé/Sécurité au travail et de Prévention des risques professionnels efficace répondant aux besoins réels des Entreprises et des Salariés.

Gabriel Paillereau

Copyright actuEL HSE/epHYGIE juin 2012

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7 Comments

Michel Blaizot

Ainsi donc, à en croire Mr Guy Lefrand, cette quasi disparition de la SMR reposerait sur des études scientifiques et sur les recommandations de bonne pratique en matière de surveillance des salariés exposés. En ce qui concerne les études scientifiques, nous sommes nombreux à devoir confesser notre ignorance. Honte sur nous ! Quant aux recommandations de bonne pratique, j’engage les lecteurs à consulter le site de la HAS pour prendre connaissance de la liste très réduite de ces recommandations. A moins qu’il n’en existe d’autres mais où sont-elles ?
Quel expert pourra nous expliquer le bien fondé de la suppression de la SMR pour les agents chimiques dangereux (très toxiques, toxiques, nocifs, allergisants) à l’exception des CMR, et le maintien de la SMR pour les agents biologiques pathogènes ? Sachant que les premiers sont très souvent responsables de pathologies à effets différés, alors que les seconds sont le plus souvent la cause de pathologies aiguës ressemblant davantage à des AT ! Dans quel cas une surveillance médicale clinique est-elle la plus justifiée ?
De qui se moque-t-on ?
Il fallait, bien sûr, revisiter en profondeur le contenu de la SMR en se posant la seule question qui vaille : quels risques et quelles circonstances de la vie professionnelle justifient une surveillance clinique ? Quitte à voir s’élargir le périmètre de la SMR, et, compte tenu de la pénurie de médecins, à limiter la surveillance clinique aux salariés concernés par cette SMR. On a fait l’inverse. Le maintien de la surveillance clinique de tous les salariés, en vigueur depuis 1946, n’est plus adapté à la situation démographique.

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g.paillereau

Je ne peux que remercier Michel Blaizot pour sa contribution, qui conforte la position que j’ai défendue. La consultation du site de la HAS confirme que les « recommandations de bonne pratique » sont aujourd’hui très limitées. Le travail à réaliser pour couvrir scientifiquement le champ des risques professionnels est donc immense et nécessitera des années…

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poquet

Il est bien regrettable et affligeant pour la Santé au travail de constater que l’actualisation des risques professionnels classés en SMR n’a fait l’objet, en dehors de toute transparence, que d’un simple « marchandage » entre partenaires sociaux derrière le paravent de la haute fonction publique… ( circulez, il n’ y a rien à voir !)
En dépit de bien des désastres, la prévention de la Santé au travail a décidément bien du mal a faire valoir ses arguments scientifiques, médicaux voire économiques, qui, pourtant, ne manquent pas pour un authentique et large débat.
Les contentieux qui devraient s’ensuivre viendront assurément engorger un peu plus les tribunaux et donner du grain à moudre aux avocats à travers des actions individuelles ou d’éventuelles actions de groupe.
Il est encore heureux que le droit à la santé au travail demeure dans les textes.

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g.paillereau

Je suis heureux de constater que des Professionnels de haut niveau partagent mon analyse. Il est parfois rassurant de ne pas se sentir seul…

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Michel Blaizot

La gravité des nouvelle dispositions relatives à la SMR m’oblige à revenir, après réexamen et réflexion, sur epHYGIE, pour exprimer ma stupéfaction et mon indignation.

Ces dispositions sont scientifiquement infondées, éthiquement inacceptables et juridiquement dangereuses pour les entreprises et les médecins du travail.

On a déjà dit que ces dispositions ne reposaient sur aucune étude scientifique sérieuse, contrairement aux affirmations de l’administration, reprises par Guy Lefrand.

On n’a pas assez souligné que ces dispositions, non seulement réduisent à la portion congrue la liste des SMR, mais laissent au médecin du travail la totale liberté du mode de surveillance sous réserve de tenir compte (?) des recommandations de bonne pratique existantes. On a déjà dit que ces recommandations étaient à ce jour très peu nombreuses (poussières de bois, CMR, amiante), qu’il faudrait des années pour couvrir le champ, même restreint, des SMR, et que ces recommandations n’avaient aucune valeur contraignante. Résultat : chaque médecin élaborera ses propres protocoles dont la diversité n’aura d’égal que celle, bien connue, des déclarations en SMR (de 2 à 60 % dans des populations comparables en fonction des médecins dans un même SST). On verra donc des salariés exposés aux agents chimiques dangereux par exemple (qui figureront donc dans les fiches d’entreprise au titre des salariés exposés et pour lesquels l’employeur devra remplir et transmettre au médecin une fiche de prévention au titre des travaux pénibles) surveillés en fait comme des employés de bureau. On verra aussi se multiplier les contentieux liés à la variabilité des modes de surveillance, qui compromet l’obligation de sécurité de résultat portée par les entreprises (et le MEDEF reste muet !).

Oui, décidément scientifiquement infondé, éthiquement inacceptable et juridiquement dangereux.

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g.paillereau

Je partage entièrement cette analyse. On reste pantois face à l’inconséquence des responsables politiques, patronaux et syndicaux (ou du moins de certains d’entre eux). J’enfoncerai d’ailleurs le clou dans quelques jours en donnant des précisions complémentaires sur les recommandations de bonne pratique censées aider les médecins du travail…

Jamais, en près de 30 ans de pratique de la Santé au travail, je n’avais vu un texte de loi commencer à s’appliquer sous de si mauvais auspices !

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paillereau

Le Professeur François Guillon nous a adressé par courriel le message suivant, que nous reproduisons ci-dessous dans les Commentaires avec son aimable autorisation.
Une chose est certaine : le débat relatif aux conséquences du « nettoyage » des SMR ne fait que commencer.
GP

Concernant les échanges entre Messieurs Blaizot, Poquet, etc., à propos du toilettage des SMR, deux questions stupides :
Question 1°) : les recommandations de bonne pratique sont opposables aux médecins. Mais en quoi s’imposent-elles aux employeurs, notamment dans leur aspect financier. Je parle ici des anciens examens obligatoirement financés par les entreprises.
Question 2°) : à la lumière des Recommandations de bonne pratique pour la surveillance médico-professionnelle des travailleurs exposés à l’effet cancérigène des poussières de bois, accessibles à partir du lien suivant, https://www.ephygie.com/wp-content/uploads/2012/07/SYNTHESE-DES-RECOMMANDATIONS-DE-BONNE-PRATIQUE.pdf, et comme la nasofibroscopie ne « voit pas dans l’ethmoïde », combien de cancers des sinus liés au bois ou au formol seront-ils « loupés » par les dépisteurs de cancers professionnels ?

François GUILLON
Professeur des Universités – Praticien Hospitalier

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