La Santé au travail : non négociable et pourtant objet de négociation depuis longtemps

Lune Nuit d'éclipseCela fait plusieurs années déjà que je ne cesse de dénoncer les atteintes portées au système de Santé au travail, et, partant, à la Santé des salariés. Sans grande illusion ! D’abord parce que, j’en suis pleinement conscient, ma voix n’est que celle d’un observateur parmi tant d’autres. Ensuite et surtout parce que les arguments que je présente, pour autant qu’ils soient fondés, ne sont rien à côté du rouleau compresseur du « tout économique » qui gouverne notre Société.

C’est probablement parce que j’ai trouvé dans leurs travaux un écho à mes valeurs et à mon inquiétude que j’ai apprécié, il y a deux semaines, le contenu du Colloque de l’association TSST, « Santé et travail : Repenser les liens », et que j’ai globalement approuvé, il y a quelques jours, sans en partager tous les termes, la tribune publiée sur le site de Médiapart, « La santé au travail n’est pas négociable ! ».

Oui, il faut repenser les liens entre Travail et Santé !

Non, la Santé au travail n’est pas négociable ! Ou, tout au moins, elle ne devrait pas l’être.

Et pourtant elle se négocie.

Elle donne même parfois l’impression d’être un objet de « marchandage ».

Officiellement, notre système de Santé au travail doit être réformé à nouveau à brève échéance, et ce, indépendamment de la réforme du Code du travail à laquelle fait référence l’article de Médiapart.

A en croire le discours de notre Ministre du travail, la prochaine réforme (SA réforme) promet même d’être remarquable…

La preuve ? Elle reposerait sur un dialogue social d’une qualité sans précédent entre les partenaires sociaux siégeant au COCT. Peut-on y croire ? Il existe trop de signaux contraires pour que le propos soit vraiment crédible.

Comment oublier en effet certains épisodes récents : l’oubli total, par Michel Sapin, aussitôt après la dernière élection présidentielle, des promesses faites notamment par Alain Vidalies lors de la campagne, la simplification de Thierry Mandon, le projet d’ordonnance d’Emmanuel Macron, celui de Marisol Touraine, le Rapport Issindou, la loi Rebsamen sur… le dialogue social, et, tout près de nous, la loi Santé de Marisol Touraine, décidément très active…

Même si Myriam El Khomri est bien aujourd’hui Ministre du travail en titre, ce qui lui confère en théorie certains pouvoirs, comment croire qu’elle ait celui d’influer sur une stratégie décidée de longue date, alors que ses prédécesseurs, tous beaucoup plus expérimentés qu’elle, et qui, de surcroît, à l’exception de François Rebsamen, appartiennent toujours au Gouvernement (dont ils sont des « poids lourds »), s’y sont soumis sans discuter, n’hésitant apparemment pas à sacrifier ce qu’on pouvait imaginer être leur « credo social » sur l’autel du « réalisme économique » ?

Il faudra naturellement attendre de connaître le détail du projet de la future « loi El Khomri » sur la Santé au travail, qui devrait normalement être distincte de celle visant à réformer le Code du travail, pour le vérifier. Pourtant, si l’on se fie à l’article publié par Médiapart, cosigné par des personnalités de premier plan, le pire serait déjà à craindre à travers la simplification du Code du travail, avec son cortège de maux à venir pour tous ceux qui n’entrent pas dans le moule du « salarié performant » au sein d’une « organisation performante », tel que le définissent déjà certaines normes internationales, extérieures au Code du travail, actuellement en cours de validation…

Il faut donc agir pour éviter ce « pire » qui nous est promis alors que c’est le « meilleur » qu’on nous promet.

Il faut dessiller les yeux de nos responsables politiques, leur faire prendre conscience que leurs choix lors des prochains débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, contrairement à ce qu’on leur affirme et qu’ils croient peut-être sincèrement, risquent de conduire notre système de Santé au travail à la ruine et d’entraîner dans celle-ci les salariés les moins productifs, les plus fragiles, c’est-à-dire ceux que notre Société a justement le devoir d’aider en priorité.

Pour avoir enseigné les « Sciences économiques et… sociales » pendant des années, je n’ignore évidemment pas le caractère prégnant de l’« économique » dans les choix politiques, mais je ne me résous pas, contrairement à certains de mes « collègues », à négliger voire à renier le « social » en acceptant sans la discuter, comme si elle allait de soi, la vision purement financière et déshumanisée de l’Entreprise qu’on cherche à nous imposer sous prétexte d’efficacité.

Synonyme de souffrance pour des laissés pour compte de plus en plus nombreux, cette vision univoque des relations que doivent entretenir l’« Economique » et le « Social », dont on retrouve naturellement la traduction en termes de possible dégradation de la Santé du fait du Travail, constitue, j’en suis personnellement convaincu, une atteinte majeure aux intérêts à long terme de notre pays, sur le plan social évidemment et… sur le plan économique.

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 13 février 2016
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Colloque de l’Association TSST, « Santé et travail : repenser les liens », tenu le 29 janvier : toutes les communications sont aujourd’hui en ligne

La Santé au travail n’est pas négociable (article publié le 10 février sur le site de Médiapart)

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