Pesticides et Santé au travail : Rapport d’Information du Sénat (10 octobre 2012)

Nous avons eu l’occasion d’évoquer à plusieurs reprises les risques liés aux pesticides. Le Rapport d’information de Mme Nicole Bonnefoy, fait au nom de la Mission commune d’information sur les pesticides, complète très utilement la documentation disponible sur ce qu’il convient de considérer comme un problème émergent de Santé publique.

Dans ce Rapport particulièrement dense, on retiendra particulièrement le long développement consacré à la Médecine du travail, reproduit partiellement ci-dessous en caractères italiques, dans lequel on notera l’inquiétude des membres de la Mission parlementaire par rapport à l’évolution de la Médecine du travail née de la réforme, qui risque d’entraîner « une dégradation du suivi de la santé des salariés malgré un rôle de prévention et d’alerte renforcé au sein de l’entreprise », en raison notamment d’un « assouplissement préjudiciable des conditions de la surveillance médicale renforcée pour les salariés exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques« …

Compte tenu des multiples alertes que nous avons lancées depuis près d’un an déjà sur le sujet, je dois avouer que la position adoptée par la Mission me rassure et doit rassurer tous ceux qui n’ont eu de cesse de dénoncer la légèreté avec laquelle le ménage a été fait dans les SMR…

Reste à espérer que le message soit enfin entendu…

  • Extraits du Rapport (ont été reproduits en caractères gras les passages que nous avons estimé être les plus importants, s’agissant du rôle de la Médecine du travail, de la réforme en cours et des interrogations qu’elle a suscitées chez les membres de la Mission – GP)

d) La médecine du travail : le risque d’une dégradation du suivi de la santé des salariés malgré un rôle de prévention et d’alerte renforcé au sein de l’entreprise

La médecine du travail (ou services de santé au travail) joue un rôle déterminant en matière d’évaluation, de prévention et de suivi des risques professionnels au sein des entreprises. Elle assure également la surveillance de l’état de santé des salariés de façon régulière, dès leur embauche.

Toutefois, la réforme de la médecine du travail, qui résulte de la loi du 20 juillet 2011 et qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2012, risque de se traduire par une dégradation de la surveillance médicale des salariés et par une certaine insécurité juridique.

En effet, les principales dispositions concernant la prévention et le suivi médical des personnes exposées à des risques professionnels particuliers relèvent du domaine réglementaire et non de la loi, ce qui en fragilise la pérennité.

[…]

  • Évaluation, prévention, alerte et réduction des risques professionnels

En premier lieu, le médecin du travail participe de façon active à l’évaluation des risques professionnels, grâce à l’information qui lui est transmise de façon obligatoire par l’employeur (fiches de données de sécurité, FDS, sur la composition des produits, résultats des analyses et études réalisées dans les ateliers, etc.) ou lors des réunions du comité d’entreprise, du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ou du conseil d’administration auxquelles il participe de droit dès lors qu’un sujet intéressant son action est à l’ordre du jour.

Si un travailleur est atteint soit d’une maladie professionnelle, soit d’une anomalie susceptible de résulter d’une exposition à des agents cancérogènes ou mutagènes, tous les travailleurs ayant subi une exposition comparable sur le même lieu de travail font l’objet, à titre préventif, d’un examen médical de contrôle assorti éventuellement d’examens complémentaires et une nouvelle évaluation des risques est réalisée (articles R. 4412-52 et R 4412-53 du code du travail). C’est pourquoi le médecin du travail doit être informé par l’employeur des absences pour cause de maladie d’une durée supérieure à dix jours des travailleurs exposés à des agents chimiques (article R. 4412-50).

A partir des données de l’évaluation, le médecin du travail propose à l’employeur des mesures collectives ou individuelles propres à prévenir ou réduire l’exposition des salariés aux risques professionnels identifiés : adaptation des postes de travail, suppression d’une substance dangereuse, substitution d’une matière moins toxique à une substance dangereuse, déclaration d’inaptitude pour certains salariés, etc. L’employeur est normalement tenu de suivre les recommandations du médecin du travail. Dans le cas contraire, il doit justifier son refus ou solliciter l’arbitrage de l’inspection du travail.

A cet égard, le médecin du travail du site de Bayer Cropscience à Villefranche, rencontré par la mission, a estimé jouer un « rôle charnière » entre la direction, les employés et le CHSCT. Ainsi, il a dit « contribuer à la recherche de solutions pour concilier des points de vue souvent divergents » ou pour convaincre la direction de réaliser des aménagements de postes nécessitant des investissements lourds. Toutefois, il a reconnu rencontrer certaines difficultés dans sa mission, « qui exige parfois de la persévérance ».

De la même manière, le médecin du travail a dit être souvent à l’origine de mesures de prévention dans l’organisation du travail pour limiter la durée d’exposition des salariés à des produits dangereux. Mais il a regretté que ses préconisations ne soient pas toujours immédiatement suivies d’effets et doivent être plusieurs fois réitérées et richement argumentées avant d’être acceptées et mises en oeuvre par la direction.

Dans l’entreprise De Sangosse visitée par la mission, la direction a dit associer le médecin du travail dans plusieurs domaines : la définition des postes à risques, l’identification des personnes nécessitant une surveillance médicale renforcée mais aussi le choix des équipements de protection individuel (EPI) mis à disposition (gants, bouchons d’oreille, protection respiratoire) par poste de travail.

Ainsi, selon les établissements, la participation du médecin du travail à la vie de l’entreprise et à l’organisation de la production permet une amélioration des conditions de travail des salariés et la mise en place de mesures de prévention efficaces pour limiter l’exposition des travailleurs aux substances dangereuses.

  • Un assouplissement préjudiciable des conditions de la surveillance médicale renforcée pour les salariés exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques

Les salariés des entreprises phytosanitaires, parce qu’ils sont exposés à des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR), bénéficient d’une surveillance médicale renforcée avec des contrôles à la fois plus fréquents et plus approfondis (article R. 4624-18 du code du travail).

Aux termes de l’article R. 4624-10 du même code, tout salarié bénéficiant d’une surveillance médicale renforcée doit être soumis, comme les autres salariés, à un examen médical avant d’être embauché. Cet examen médical d’embauche vise à :

  • s’assurer que le salarié est médicalement apte au poste de travail auquel l’employeur envisage de l’affecter ;
  • proposer éventuellement les adaptations du poste ou l’affectation à d’autres postes ;
  • rechercher si le salarié n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs ;
  • informer le salarié sur les risques des expositions au poste de travail et le suivi médical nécessaire ;
  • sensibiliser le salarié sur les moyens de prévention à mettre en oeuvre.

L’examen médical d’embauche comprend un examen clinique général et, selon la nature de l’exposition, un ou plusieurs examens spécialisés complémentaires, le tout étant à la charge de l’employeur.

En effet, un travailleur ne peut être affecté à des travaux l’exposant à des agents chimiques dangereux pour la santé que s’il a fait l’objet d’un examen médical préalable par le médecin du travail et si la fiche médicale d’aptitude établie à cette occasion atteste qu’il ne présente pas de contre-indication médicale à ces travaux.

Après l’embauche, la surveillance médicale renforcée suppose normalement des examens de suivi plus fréquents et plus approfondis que dans le cas d’une surveillance classique. En effet, la pénurie de médecins du travail a fait que la réforme de la médecine du travail en vigueur depuis le 1er juillet 2012 a assoupli les conditions de la surveillance médicale renforcée en allongeant la périodicité minimale des examens médicaux de douze à vingt-quatre mois (nouvel article R. 4624-16 du code du travail), soit, désormais, une périodicité analogue à celle qui prévaut dans le droit commun. Toutefois, dans la limite de cette fréquence minimale de deux ans, le médecin du travail peut estimer nécessaire de prévoir d’autres visites médicales et examens complémentaires : selon les termes de l’article R. 4624-19, « le médecin du travail est juge des modalités de la surveillance médicale renforcée, en tenant compte des recommandations de bonnes pratiques existantes. ».

Il est difficile d’apprécier à ce jour les conséquences de cette nouvelle disposition. Mais il est à craindre qu’elle ne se traduise par des examens de santé plus espacés, puisque tel en est l’objectif. L’appréciation laissée au médecin du travail en fonction de « bonnes pratiques », dont on ne sait pas précisément par qui elles seront définies, n’est pas de nature à faire croire que l’examen périodique annuel restera la règle. Fort heureusement, indépendamment des examens périodiques et de ceux préconisés par le médecin du travail, tout salarié exposé à des produits chimiques peut bénéficier d’un examen médical à sa demande ou à celle de l’employeur (article R. 4412-50).

Par ailleurs, l’article R. 4451-84 du même code prévoit que seuls « les travailleurs classés en catégorie A bénéficient d’un suivi de leur état de santé au moins une fois par an. » Il s’agit essentiellement des salariés travaillant dans des milieux radioactifs.

Une autre inquiétude de la mission porte sur le fait que les nouvelles dispositions réglementaires entrées en vigueur le 1er juillet 2012, et déjà évoquées plus haut, permettent aux infirmiers de réaliser certains entretiens en lieu et place du médecin. De tels entretiens ne peuvent naturellement pas déboucher sur des déclarations d’inaptitude. Toutefois, ils peuvent donner aux salariés l’occasion de s’exprimer sur leurs conditions de travail ou sur d’éventuels symptômes ou difficultés. Le cas échéant, l’infirmier pourra alerter le médecin, mais un symptôme peut lui échapper et il n’est pas habilité à poser des questions d’ordre clinique.

Or, ces examens médicaux périodiques sont essentiels car ils ont pour finalité de s’assurer du maintien de l’aptitude médicale du salarié à son poste de travail et de l’informer sur les conséquences médicales des expositions professionnelles qu’il peut subir à son poste et du suivi médical nécessaire.

[…]

Par ailleurs, il existe une procédure spécifique concernant les femmes enceintes, la loi distinguant les produits reprotoxiques. En pratique, le médecin du travail de Bayer CropScience a fait savoir à votre mission que toute femme enceinte est exclue du contact avec les produits concernés, que ce soit sur le site de production ou dans le laboratoire de recherche. Il a indiqué que « les raisons vont bien au-delà d’une analyse chimique des produits. Les restrictions sont purement toxicologiques et ne supportent pas réellement de discussions. Il semble s’être formé un consensus concernant la protection des femmes enceintes ». Mais il a reconnu que cela pose des problèmes de reclassement en cas d’inadaptation prolongée au poste, qui sont « un combat de tous les jours ». Dans la logique de ce raisonnement, on pourrait d’ailleurs considérer que, par précaution, les femmes en âge de procréer devraient pouvoir être protégées en permanence de tout risque d’exposition au cas où se révélerait une grossesse.

[…]

Votre Rapporteur souhaite que ces bonnes pratiques soient perpétuées pour les salariés particulièrement exposés et les femmes enceintes, malgré l’assouplissement des dispositions réglementaires définissant les conditions de la surveillance médicale renforcée.

Même si votre Rapporteur relève que la plupart des dispositions relatives à l’exercice de la médecine du travail sont d’ordre réglementaire et non législatif, y compris s’agissant de la périodicité des examens médicaux, elle préconise le retour à un examen dont la périodicité soit, au minimum, annuelle, dans le cadre de la surveillance médicale renforcée.

Ces examens (embauche, périodiques, reprise ou pré-reprise) sont en effet d’une importance considérable, car il peut en résulter une déclaration d’inaptitude du salarié à son poste de travail ou une restriction d’aptitude, en particulier en cas d’allergies et de problèmes dermatologiques (cas les plus fréquents).

On comprend bien, à travers ces quelques extraits du Rapport, sans que soit remise en question la nécessité d’une approche pluridisciplinaire, l’importance accordée par la Mission au rôle du Médecin du travail, en particulier dans le domaine strictement médical, où personne ne peut se substituer à lui.

Au-delà de ces considérations particulières, concernant la Médecine du travail et la Santé au travail, au-delà également des pesticides, dont les risques sont sous-estimés, qui en constituent le thème central, ce Rapport, adopté à l’unanimité après six mois d’auditions, a un immense mérite : il pose en effet une multitude de questions et contient de nombreuses propositions qui concernent en fait tous les risques professionnels ; il permet que soient (enfin) croisées, en partant de l’exemple des pesticides et de leurs effets sur la santé, les approches en termes de Santé au travail, de Santé publique et de Santé environnementale.

On attend désormais avec intérêt le débat autour de la centaine de recommandations du Rapport, qui devrait se dérouler en séance plénière, en janvier 2013.

Gabriel Paillereau

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