Réforme de la Santé au travail : de la « cabane au Canada » à la diététique en passant par la pratique du sport, un parcours très éclectique… (Partie 1/3)

Tomate 1J’ai, dans un récent article, Réforme de la Santé au travail : une succession de chantiers… « à suivre », expliqué que l’avenir de notre système dépendait pour l’essentiel des rapports de force qui vont s’établir entre les principales composantes du monde de la Santé au travail : les Pouvoirs publics, à travers les Ministères concernés et les Instances et Organisations qui en dépendent peu ou prou, les Partenaires sociaux, et, évidemment, les nombreux groupes de pression aujourd’hui « à la manœuvre », au premier rang desquels figurent Mutuelles et Compagnies d’Assurances.

Il serait excessif d’affirmer que nous connaissons déjà la « suite » de ces « chantiers … à suivre » mais certains indices permettent néanmoins d’éclairer un peu ce qui nous attend (ou ce qui nous guette ?).

Le texte de cet article étant particulièrement long (10 pages au total), j’ai fait le choix de le publier en trois parties, ce qui, je l’espère, permettra de le rendre plus digeste, ou moins indigeste…

GP

Comme la Santé au travail est pour moi un sujet majeur, même si j’ai fort heureusement de nombreux autres centres d’intérêt, j’ai fâcheusement tendance à fouiner un peu partout, ce qui m’amène à faire des trouvailles inattendues. C’est ainsi que j’ai découvert un site dont la page mise en avant sur internet, consacrée à la Santé au travail, est reproduite ci-dessous.

En-dessous du thème général annoncé, la Santé au travail, quatre sous-rubriques sont citées : Aperçu, Maintien au travail, Réintégration au travail et Traitements.

On découvre que, « par le biais de sa gamme de services de santé au travail, la Société X (dont je réserve le nom pour l’instant afin de ménager un peu de suspense !) peut vous (Note GP : « vous » renvoie aux employeurs) aider dans la prévention des accidents et des maladies du travail et vous aider à respecter les exigences en matière d’hygiène prescrites par la loi. »

Les termes « services de santé au travail », « prévention des accidents et des maladies du travail » et « exigences en matière d’hygiène prescrites par la loi » ne pouvaient que m’interpeller et m’inciter à poursuivre ma lecture :

« Nous fournissons les services suivants de santé au travail pour les employeurs »

Suit la liste des services annoncés, édifiante :

Évaluations de l’état de santé

Afin de prédire et de prévenir la survenue de maladies ou de blessures, la Société X effectue un certain nombre d’évaluations ergothérapeutiques utiles :

Évaluations pré-placement, c’est-à-dire menées après qu’une offre d’emploi a été faite. Le but de l’évaluation pré-placement est de déterminer si une personne peut satisfaire aux exigences de l’emploi de façon sécuritaire.

Évaluations périodiques – servent à surveiller l’exposition intermittente ou régulière aux risques professionnels pouvant entraîner des effets à long terme sur la santé.

Évaluations ergonomiques – s’adressent aux personnes éprouvant des symptômes ergonomiques, aux employés qui retournent au travail après une maladie ou une blessure, ou sont effectuées à titre d’intervention préventive, afin d’adapter l’équipement au travailleur.

Surveillance médicale (test de dépistage de drogue ou d’alcool) – une surveillance médicale est souvent appropriée pour les employés occupant des postes critiques pour la sécurité. Tous les résultats des tests sont examinés par des médecins ayant une formation spécialisée.

Examen audiométrique – requis par la loi, un examen audiométrique régulier aide à protéger et à sensibiliser les travailleurs exposés au bruit.

Évaluations respiratoires – des évaluations respiratoires sont essentielles pour les travailleurs exposés à des produits irritants et pour toute personne tenue de porter un appareil respiratoire. Le programme évalue au travers d’entretiens, de tests et d’imagerie médicale, la capacité d’un travailleur à porter un masque respiratoire et à mener des essais de surveillance de l’amiante ou de la silice.

Cliniques antigrippales – Des cliniques de vaccination antigrippales sur place aident à garder le milieu de travail sain. Durant ces séances, des infirmières administrent le vaccin et offrent des informations sur les façons d’éviter, de dépister et de gérer la grippe. 

Nous voilà dans le vif du sujet : ce que propose la Société X, c’est donc une batterie d’examens à caractère médical effectués par on ne sait trop qui, la seule information donnée étant que certains de ces examens sont confiés à « des médecins ayant une formation spécialisée » (sans que l’on sache quelle est cette « formation spécialisée »), et d’autres à « des infirmières ».

Ces « Évaluations de l’état de santé » sont à comparer aux examens médicaux aujourd’hui pratiqués -ou non- dans le cadre des Services interentreprises, examens dont nous savons tous qu’ils correspondent à une certaine vision de la Santé au travail, qui donne parfois, à tort, l’impression de les défendre voire de les plébisciter, et, par voie de conséquence, de défendre la Médecine du travail et les Médecins du travail en tant que tels, alors que cette vision ne s’appuie en réalité que sur la volonté de préserver l’aptitude en cantonnant l’activité des Médecins du travail (et des Services de Santé au travail) à la seule dimension clinique, hors de toute autre action préventive au sein même des Entreprises.

Je reviendrai plus tard sur cette question à la lumière de divers documents mais, pour l’instant, celle que pose l’offre de services décrite précédemment est de savoir si elle émane d’un Service de Santé au travail « mutant », qui, se moquant des contraintes administratives et déontologiques, se serait lancé dans une rénovation aussi sauvage que révolutionnaire de son organisation et de son fonctionnement.

En regardant de plus près le lien, http://www.homewoodhealth.com/employeurs/services/reintegration-au-travail/sante-au-travail, « anglo-français », ce que j’avais négligé de faire d’entrée, je me suis aperçu que la Santé au travail n’était, dans la structure concernée, qu’une sous-rubrique de la « réintégration au travail », au quatrième niveau (!) d’un site protéiforme couvrant de fait TOUS les aspects de la Santé, au Service des Employeurs, des Assureurs, des Conseillers, des Particuliers.

Autant dire la cinquième roue du carrosse !

La Santé au travail n’est effectivement qu’un des innombrables « services » proposés par la Société promotrice. Il est évidemment hors de question de les détailler ici, tant leur arborescence est riche mais on peut s’en faire une petite idée à partir d’un pot-pourri de citations que j’en ai extraites :

« Offrez à vos employés l’aide dont ils ont besoin. Vos résultats en dépendent. »

« Le temps, c’est de l’argent. Téléchargez le soutien approprié, au moment où vous en avez besoin. »

« Des employés en santé sont productifs. »

« Il est logique de prendre soin de ses employés. Les organisations qui mettent l’accent sur le maintien en poste d’employés en bonne santé et motivés obtiennent de meilleurs résultats. Vous avez besoin d’un partenaire qui vous aide à prendre soin de vos employés et qui a à cœur vos affaires. Que ce soit en fournissant des programmes d’aide complets, des services innovants de conciliation travail-vie personnelle ou de soutien efficace en milieu de travail, nous sommes là chaque fois que vous ou vos employés avez besoin de nous. »

Des phrases « tarte à la crème » comme j’en ai déjà rencontré sur d’autres sites, parfois très sérieux, parfois non, qui ont fait de la « Qualité de vie au travail » (QVT) et du « Bien-être au travail » leur fonds de commerce…

Mais cette fois-ci, l’ambition semble aller beaucoup plus loin :

« Notre Société ou la différence… en mieux. »

Retour sur le contenu, balayé très rapidement.

Curieux d’en savoir plus sur les questions touchant à la Santé au travail, j’ai ouvert l’onglet « Maintien au travail », dont il n’est pas inutile de rappeler qu’il appartient aujourd’hui (c’est-à-dire depuis la loi du 11 juillet 2011) aux missions des Services de Santé au travail (article L 4622-1 du Code du travail).

On peut y lire ce qui suit (sans caviardage du nom cette fois-ci), qui fleure bon le « cocon écolo », façon cabane au Canada parfumée au sirop d’érable, pendant une de ces soirées inoubliables qu’offre l’été indien, ce qui, il faut le reconnaître, sonne plutôt bien aujourd’hui, alors que se prépare l’incontournable COP 21 :

« Nous aidons des millions de personnes à demeurer en bonne santé mentale et physique. »

« Homewood prend soin des gens. Nous offrons nos services à plus de 6 000 organisations et 2 millions d’employés et leurs familles. Que ce soit en fournissant des programmes complets d’aide aux membres de régimes d’avantages sociaux et à leur famille, des services innovants et accessibles de conciliation travail-vie personnelle, une aide prompte en cas d’incident critique ou du soutien efficace au travail, nous sommes là chaque fois qu’on a besoin de nous. »

« Chaque semaine, environ 500 000 salariés… ne peuvent travailler à cause de problèmes de santé mentale. Votre organisation a besoin de beaucoup de ressources pour assurer la santé et la productivité de son personnel. Les besoins et les plans évoluent avec le temps, c’est pourquoi vous voulez un partenaire qui anticipe et satisfait vos besoins. Homewood Santé vous fournit une vaste gamme de programmes intégrés et ciblés répondant aux défis relatifs aux troubles mentaux et aux dépendances qui nuisent à la productivité de votre organisation. Elle vous fournit également de l’information exhaustive pour vous aider à comprendre ces défis et à trouver de meilleures solutions à long terme. »

« Nous vous aidons à garder vos employés là où vous en avez besoin… au travail. »

« Nos services de maintien au travail sont conçus pour aider les employés à traiter de questions qui nuisent à leur capacité d’être productifs au travail. Qu’il s’agisse de counseling, d’évaluations de problèmes de toxicomanie, de services d’intervention précoce de la dépression et du stress post-traumatique ou encore de conciliation travail-vie personnelle, les programmes de Homewood sont fondés sur des données probantes, fournis selon des méthodes et pratiques exemplaires et rapidement et facilement accessibles aux employés. »

Etc., etc…

Aucun aspect n’est laissé de côté par ce site, qui, vous l’avez compris, est francophone mais pas français, ou, dit autrement, de langue française mais d’inspiration typiquement anglo-saxonne.

Il s’agit bien sûr d’un site canadien, comme permettent de le découvrir nombre de références qui émaillent un discours soigneusement lissé, parfaitement « marketé », vantant les mérites incomparables d’une approche totalement intégrée de la Santé au service de l’Entreprise…

Un rêve pour certains, un cauchemar pour d’autres.

Fin de la première partie (1/3)

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 22 novembre 2011
Photo GP
Tous droits réservés

One Comment

Pym

La démarche canadienne à dû faire des émules ! Il suffit de consulter le site du « 5ème groupe de protection sociale en France » ( https://www.apicil.com) et la présentation du projet « Ambition santé » (https://www.youtube.com/watch?v=gxcJKMXcHgY »), qui, selon la vidéo de présentation, « est un programme de santé au travail qui vise à améliorer la santé physique et psychologique des salariés et répond aux obligations légales des entreprises. Il est personnalisé et adapté à tous les types d’entreprises, quel que soit le nombre de salariés ».

On peut légitimement se demander de quelles « obligations légales » fait état cet assureur, qui ne répond pas à l’obligation d’être une structure sans but lucratif (c’est une société par actions) et n’a pas pour objet exclusif d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, et n’est donc pas un service de santé au travail tel que le définit le Code du travail.

Le discours est ambigu, tant dans la présentation que dans les objectifs. A lire le détail sur le site, l’impression générale est que l’approche assurantielle individualisée est privilégiée et que les actions collectives de prévention des risques professionnels sont quasi-absentes de la prestation proposée.

La norme canadienne « entreprise en santé » et la norme ISO 45001 ne sont pas loin…

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