Réforme de la Santé au travail : « la messe est dite » après la publication de la loi relative au Dialogue social et à l’Emploi au JO du 18 août 2015

Certains vont s’en féliciter, ou s’en félicitent déjà, comme François Rebsamen en personne (le texte de son communiqué est reproduit in extenso à la suite cet article), d’autres vont le déplorer ou le déplorent déjà : la loi relative au Dialogue social et à l’Emploi chère au futur ex-Ministre du Travail, a été publiée au Journal Officiel du mardi 18 août 2015. Sans doute fallait-il que cette publication fût faite avant le Conseil des Ministres au cours duquel François Rebsamen annoncera officiellement son départ du Gouvernement. Une forme de cadeau d’adieu en quelque sorte.

Le Conseil Constitutionnel, saisi par 60 Députés appartenant au Groupe « Les Républicains », n’y a pratiquement rien vu à redire, comme le montre sa décision du 13 août 2015, assortie des observations du Gouvernement, également publiée au JO du 18 août. On pourrait même aller jusqu’à dire qu’il n’y a vu que du feu…

Cela signifie que les dispositions introduites « en douce » par Michel Issindou lors de la première lecture à l’Assemblée Nationale sont désormais applicables en dépit de leur caractère évident de cavaliers législatifs. De nombreux contacts auront été pris auprès des Députés et Sénateurs, de nombreuses actions auront été entreprises pour obtenir cette fameuse saisine du Conseil Constitutionnel, sans succès hélas.

Il va donc falloir se résoudre, une fois de plus, à supporter durablement des dispositions contraires aux intérêts des Salariés et des Entreprises, qui seront probablement complétées rapidement par de nouvelles dispositions d’origine législative et/ou réglementaire, issues elles aussi pour partie du fameux Rapport Issindou, décidément considéré comme l’alpha et l’oméga de la modernisation du système.

C’est probablement ce qu’a voulu signifier Gérard Sébaoun dans le commentaire publié récemment sur le site de Médiapart, La médecine du travail toujours en danger, un oubli inquiétant :

«  […] Le rapport Issindou a en effet vu certaines de ses préconisations reprises dans la loi Rebsamen en 1ère lecture à l’AN, d’autres n’ayant pas passé la rampe de la commission des affaires sociales. Avec d’autres, je m’y suis opposé mais sans pouvoir revenir sur les amendements votés initialement. La vigilance doit désormais se concentrer sur une proposition de loi à venir (non encore déposée) qui entend reprendre ce qui a été retoqué en commission, voire d’autres éléments. »

J’avais alors répondu à ce commentaire dans les termes qui suivent :

« Je remercie vivement Gérard Sébaoun pour la ténacité avec laquelle il a défendu la Médecine du travail à l’Assemblée Nationale. Ce que, malheureusement, peu de Députés ont eu le courage de faire.

La loi a donc été votée, avec toutes ses conséquences négatives à court terme.

Pour éviter le pire, il faudrait que le Conseil Constitutionnel soit saisi afin de reconnaître aux amendements issus du Rapport Issindou leur véritable nature : celle de cavaliers législatifs, introduits dans une loi où ils n’avaient rien à faire. Jamais deux sans trois : le Gouvernement avait déjà tenté la même opération avec la loi Macron puis la loi Touraine, avant d’y renoncer. Le troisième essai, tout aussi peu solide juridiquement que les précédents, aura donc été le bon (ou le pire…).

Les reproches adressés par le Groupement Sauvons La Médecine du Travail (SLMT), dont le Communiqué est publié par Médiapart est tout à fait justifié. Je l’ai personnellement relayé sur mon propre site (epHYGIE) en plus d’une série d’articles dénonçant la forme et le fond de la réforme actuelle. On peut certes faire des reproches à certains Médecins du travail, mais il ne faut surtout pas condamner l’Institution en tant que telle : elle a déjà beaucoup apporté et elle doit encore apporter énormément, à condition qu’on ne la fasse pas disparaître prématurément.

En ayant été responsable au plan national pendant 22 ans, lui ayant consacré au total les deux tiers de ma vie professionnelle, je considère qu’elle est indispensable dans un monde où l’économique prime sur tout le reste. Il faut donc espérer que nos Députés et/ou nos Sénateurs se réveillent très vite car, dans quelques semaines, il sera trop tard. C’est d’autant plus nécessaire que, comme l’a écrit Gérard Sébaoun, on risque fort, en l’absence de censure du Conseil Constitutionnel, de voir réapparaître dans une proposition de loi les amendements retoqués par la Commission des Affaires sociales, voire d’autres dispositions « sorties du chapeau » au dernier moment, répondant à la seule exigence qui semble compter aujourd’hui : celle de la simplification !

Je profite de ce commentaire pour préciser que la Santé au travail (secteur privé) et la Médecine de Prévention (secteur public) ne sont pas régies par les mêmes textes, et que, s’agissant des rémunérations des Médecins du travail, salariés des Services interentreprises, elles obéissent à la Convention collective nationale, contrairement à celles des Médecins du travail des Services autonomes ou des Médecins de Prévention des trois Fonctions publiques (d’Etat, Territoriale et Hospitalière). »

Que faire maintenant ? La balle est théoriquement entre les mains des Partenaires sociaux qui siègent au COCT, puisqu’ils ont affiché leur volonté de reprendre la main pour définir la stratégie de la Santé au travail. Jusqu’où voudront-ils et pourront-ils aller ? La promulgation de la loi, avec le fameux article 26 (ancien article 19 du projet de loi) risque de peser lourdement sur leurs échanges. A la manière du lest dont on charge les chevaux dans les courses avec handicap. Autant dire que leur tâche ne va pas être facile, pour autant que leur volonté soit bien de faire progresser le système.

On dit que c’est au pied du mur qu’on reconnaît le maçon. On saura bientôt qui veut bâtir et qui veut détruire. On saura également à quelle logique obéira le futur Ministre…

J’hésite un peu à écrire que les masques vont (enfin) tomber. Peut-être est-ce la seule « bonne » nouvelle dans ce « bazar » : nous saurons qui sont les vrais et les faux amis de la Santé au travail. Nous avons déjà une partie de la réponse, s’agissant des Politiques : la plupart n’y comprennent rien, ce qui n’excuse pas pour autant l’aveuglement dont ils ont fait preuve.

En tout état de cause, même si la messe est apparemment dite, le combat doit continuer pour éviter que ça ne devienne pire encore…

Notre pays mérite de disposer d’un système de Santé au travail moderne et efficace, c’est-à-dire d’autre chose que ce qu’on s’obstine à lui imposer depuis 2009.

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 18 août 2014
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PS : pour le plaisir de la découverte de ce que langue de bois et désinformation veulent dire, je livre à la curiosité de nos lecteurs le message d’autosatisfaction que s’est adressé François Rebsamen à la suite de la validation de SA loi par le Conseil Constitutionnel : un vrai morceau d’anthologie !

Décision favorable du Conseil constitutionnel sur la loi relative au dialogue social et à l’emploi

La décision favorable du Conseil constitutionnel sur la loi relative au dialogue social et à l’emploi ouvre la voie à une rénovation en profondeur du dialogue social dans notre pays et œuvre en faveur de l’emploi et de l’activité.

François Rebsamen, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social se félicite de la validation par le Conseil constitutionnel de la loi relative au dialogue social et à l’emploi.

Cette loi est une loi de progrès social.

Elle rénove et simplifie le dialogue social au sein de l’entreprise en renforçant la participation des salariés, en regroupant et clarifiant les obligations de consulter, et en étendant le champ de la délégation unique du personnel.

Elle fait progresser l’égalité entre les femmes et les hommes, notamment en imposant pour la première fois une obligation de représentation équilibrée sur les listes aux élections professionnelles.

Elle améliore la prise en compte de la santé au travail en simplifiant le compte de prévention de la pénibilité (suppression de la fiche d’exposition individuelle, mise en place de référentiels de branche opposables) et en reconnaissant pour la première fois le syndrome d’épuisement professionnel, dit « burnout ».

Elle œuvre en faveur de la création d’emplois, notamment dans les TPE et PME, en permettant un deuxième renouvellement du CDD dans le respect de la durée maximale légale, et en précisant et adaptant le cadre juridique du CDI intérim voulu par les partenaires sociaux.

Elle sanctuarise le régime d’assurance chômage des intermittents du spectacle et crée un mode de négociation permettant une prise en compte responsable de ses spécificités.

Elle crée la prime d’activité qui, à compter de 2016, permettra aux travailleurs les moins bien rémunérés, notamment les jeunes, de percevoir un complément de revenu afin de valoriser la reprise d’emploi et de soutenir le pouvoir d’achat.

Enfin, elle introduit le compte personnel d’activité, qui sera, comme l’a dit le Président de la République, le capital de ceux qui travaillent, en réunissant leurs droits dans un compte unique et en leur donnant ainsi des moyens de prendre en main leur destin professionnel.

Les textes d’application de cette loi seront pris dans les meilleurs délais. Les partenaires sociaux auront à se saisir de ces nouveaux dispositifs et participeront à leur élaboration : compte personnel d’activité, référentiels de branche en matière de pénibilité, etc. Le Gouvernement reste ainsi fidèle à sa méthode.

S’agissant de la seule disposition censurée relative à la réforme du réseau d’Action logement, le Conseil constitutionnel a estimé que le lien avec le texte initialement déposé au Parlement était insuffisant. Cette disposition visait à accompagner une réorganisation du réseau souhaitée unanimement par les partenaires sociaux, pour en améliorer l’efficacité et clarifier les circuits financiers, afin d’apporter davantage de solution de logement aux salariés et notamment aux salariés précaires et personnes en recherche d’emploi. Elle ne remet donc pas en cause l’orientation du travail engagé par les partenaires sociaux, qui doit se poursuivre. Convaincu de la nécessité de cette réforme, le Gouvernement soumettra à nouveau cette disposition au Parlement dès qu’un vecteur législatif le permettra.

Le ministre du Travail salue ce qui constitue une avancée importante pour les droits des salariés et pour l’efficacité des entreprises. La loi sera promulguée dans les plus brefs délais.

On notera l’absence de référence à la Santé au travail en tant que telle. On ne peut en effet la réduire au compte pénibilité ou au burnout comme le fait François Rebsamen. Oubli, omission volontaire, mépris ? Qu’importe ! Le mal est fait…

Au point que certains en viennent à évoquer la mort du système, comme l’a fait Médiapart hier dans son dernier article consacré à la Médecine du travail, La mort de la Médecine du travail, épilogue.

GP

On pourra accéder au Communiqué officiel du Ministère du Travail à partir du lien suivant :

Décision favorable du Conseil constitutionnel sur la loi relative au dialogue social et à l’emploi

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