Réforme de la Santé au travail : quelques questions sur le Décret n° 2012-137 du 30 janvier 2012 (Alain Dômont)

Le décret n° 2012-137 du 30 janvier 2012 relatif à l’organisation et au fonctionnement des Services de Santé au travail suscite de nombreuses questions, dont celles d’Alain Dômont, Professeur à l’Université Paris V, qui a déjà publié récemment un article sur notre site :

La réforme législative de la Médecine du travail peut-elle déboucher sur la refondation réglementaire de la Santé au travail ?

Trois questions au moins méritent d’être posées selon lui. Elles mettent effectivement en lumière des aspects de la Santé au travail qui, à ma connaissance, ont été très rarement débattus. Je crois même pouvoir affirmer qu’ils n’ont fait l’objet d’aucun échange dans le cadre de la réforme de la Santé au travail.

Raison de plus pour nous donner votre avis, comme le demande le Professeur Dômont.

On trouvera le contenu de ces trois questions ci-après.

GP

1- Transposer une SURVEILLANCE DE SANTE « choisie » par le salarié en un « CONTROLE OBLIGATOIRE DES APTITUDES MEDICALES AU TRAVAIL », comme c’est le cas dans le secteur privé, est-ce conforme à l’article 14 (de la Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail) et au respect des libertés individuelles ?

a. La formulation obligatoire d’un avis d’aptitude médicale au poste de travail, inscrite pour le secteur privé dans le Code du travail, est-elle compatible avec ce que la Directive prévoit, en n’évoquant que de simples « surveillances de santé », non obligatoires pour le salarié, et sans obligation non plus pour le Médecin du travail d’émettre de tels avis d’aptitude (article 14 DC 12 juin 1989) ?

b. Prévoir que les fonctionnaires de l’Etat puissent bénéficier « S’ILS LE SOUHAITENT, DE VISITES MEDICALES DU TRAVAIL » (art. 22 Décret n°82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique), alors que LES SALARIES DU PRIVE SONT OBLIGES DE SE PRESENTER REGULIEREMENT devant le Médecin du travail pour un contrôle clinique de leur « aptitude médicale au poste de travail », contrôle subordonnant la pérennité de leur contrat de travail et de leur emploi, est-ce discriminatoire ? Et pour qui ?

2- Dans les Services interentreprises, il est demandé aux Médecins du travail en charge des surveillances de santé, de piloter conjointement, comme coordonnateurs de l’équipe pluridisciplinaire, les choix sociotechniques de prévention et d’organisation du travail, dont la mise en œuvre ultérieure relève de l’employeur :

a. Ne met-on pas ainsi les Médecins en position d’être cliniquement juges des états de santé dégradés par le travail, tout en étant animateurs des choix (en matière d’hygiène, de sécurité, de conditions et d’organisation du travail) visant à « promouvoir la santé des travailleurs au travail » ?

b. Les « services de protection et de prévention (art.7 DC 89) » et les « services en charge d’assurer les surveillances de santé (art.14 DC 89) sont deux entités distinctes dans la Directive cadre.

  • Pourquoi, en 2012, sont-ils différenciés dans les Entreprises disposant d’un Service autonome de Médecine du travail, et plus ou moins fusionnés dans le Secteur interentreprises, avec les Services de « Santé au travail », autrefois appelés de « Médecine du travail » ?

3- LA REFORME DE 2012 A CONTOURNE L’ANALYSE DE CES QUESTIONS. POURQUOI ? DES PISTES DE REPONSES ET DE REFLEXIONS SONT ESQUISSEES DANS NOTRE CONTRIBUTION DE JANVIER 2012 MISE en LIGNE SUR LE SITE D’EPHYGIE.

Place au débat.

A bientôt.

Alain Dômont 14 février 2012

Copyright epHYGIE février 2012

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2 Comments

poquet

On peut reconnaître au Professeur Alain Dômont le mérite d’être un des rares à poser de judicieuses questions sur une véritable réforme de la santé au travail en France. Il fait surtout le constat de l’absence d’un débat de fond sur le sujet malgré un nombre important de rapports depuis 2004.

La loi du 20 juillet 2011 et le décret du 20 janvier 2012 ne sont que la nième opération « cosmétique », bien complaisante avec certains lobbies, pour maintenir ainsi voire conforter des avantages acquis de nature corporatiste, tout cela dans un contexte que Bourdieu n’aurait pas dédaigné comme sujet d’étude, véritable cas d’école pour ses successeurs.

Quant à mettre en concurrence ou en parallèle les différents systèmes de santé au travail tels qu’ils sont présentés par le professeur Dômont, il n’est pas certain que cette démarche soit très productive.

Le passé nous a montré que, quel que soit l’environnement réglementaire, l’émergence de failles échappait à ces contraintes (de Condé-sur-Noireau à Jussieu, tous étaient touchés).

Il conviendrait peut-être davantage de mettre en place des contre-pouvoirs suffisants et d’instaurer une judicieuse transparence, qui permettraient d’éviter les conflits d’intérêt et la cynique soumission des politiques et autres décideurs aux lobbies utiles à leur carrière et à la cupidité ambiante, laissant la place au débat contradictoire, à la fois scientifique et démocratique, avec un usage éclairé du principe de précaution.

Fukushima, Chlordecone, aspartame, Mediator, Bisphenol A, PCB, phtalates, parabènes et autres perturbateurs endocriniens, fluorocarbones de contrebande etc…, la liste est longue de ces arrangements avec la réglementation, qu’elle soit nationale ou internationale.

Les acteurs de santé, quels que soient leur niveau ou leurs compétences, sont réduits à n’être que de simples témoins sans réel pouvoir de prévention des populations dont ils ont la charge, bien vite dépassés par des enjeux et tractations menées ailleurs.

Bien cordialement.

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g.paillereau

Merci pour ce commentaire particulièrement documenté, dont je partage la teneur. A quand un véritable débat sur l’évolution de notre système de Santé au travail, puisque, de toute évidence, la réforme en cours ne règlera aucun des problèmes de fond…

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