Réforme de la Santé au travail : quels textes d’application ?

Après recoupement des informations relatives aux textes d’application de la loi du 20 juillet auprès de participants aux échanges bilatéraux entre l’Administration et les partenaires sociaux, il est possible de confirmer que ces échanges avec les représentants des Organisations patronales et des Organisations syndicales vont s’étaler sur plusieurs semaines, sans remise de textes écrits.

Une fois ce premier « tour de piste » effectué, les discussions se poursuivront, toujours dans le cadre de réunions bilatérales, sur la base de projets écrits établis par la Direction Générale du Travail. Cette étape franchie, les projets de textes seront examinés par la Commission spécialisée Médecine du travail du Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT). Il appartiendra ensuite à l’Administration de procéder aux arbitrages, sous la responsabilité du Ministre du Travail, et, pour finir, de soumettre tout ou partie des projets de textes au Conseil d’Etat avant publication au Journal Officiel.

Les délais annoncés à plusieurs reprises par Monsieur Combrexelle au cours des dernières semaines, et, tout récemment, dans le cadre des Rencontres parlementaires organisées par l’ANSES le 11 octobre, à savoir publication en fin d’année 2011 ou au début de l’année 2012, apparaissent particulièrement resserrés, et, pour tout dire, difficiles à tenir compte tenu du travail à faire, à moins bien évidemment que, les textes étant peut-être déjà bouclés, les discussions avec les partenaires sociaux ne soient qu’une formalité…

En ce qui concerne les dispositions envisagées, on peut, pour simplifier, distinguer plusieurs domaines :

Suivi médical des salariés

Alors qu’aujourd’hui, les examens médicaux sont organisés sur la base d’une périodicité annuelle (ou semestrielle) pour les salariés soumis à une Surveillance Médicale Renforcée (SMR), et d’une périodicité bisannuelle pour les salariés soumis à une Surveillance Médicale Simple (SMS), il semble que l’on s’oriente vers un élargissement de l’intervalle entre deux examens médicaux périodiques successifs : périodicité annuelle pour les SMR « de haut niveau » et bisannuelle pour les SMR « de bas niveau ». Il va donc falloir définir ces deux niveaux, aujourd’hui absents de la réglementation, ce qui ne sera pas forcément une tâche aisée compte tenu du caractère particulièrement « sensible » de la question de la périodicité.

Cette difficulté mérite d’autant plus d’être relevée que, dans ce projet, les salariés en SMS (c’est-à-dire une large majorité) feraient logiquement l’objet d’examens médicaux périodiques espacés de plus de deux ans. Combien exactement ? Trois, quatre, cinq ans ? La seule référence en la matière est celle de la Fonction publique avec précisément une périodicité de cinq ans. La pénurie de Médecins du travail pourrait servir de justification à un tel écart mais est-on certain que les Employeurs et les Salariés puissent l’accepter facilement ? D’autant que, dans le contexte de crise que nous connaissons aujourd’hui, compte tenu également du vieillissement de la population active qui accompagnera le recul de l’âge de départ à la retraite, un suivi médical régulier apparaît être une nécessité absolue aux yeux de nombreux Employeurs, Salariés et Professionnels de la Santé au travail.

L’abrogation annoncée de l’arrêté du 11 juillet 1977 ne « fâcherait » probablement personne mais encore faut-il poser la question de son remplacement car nombre de cas de Surveillance Médicale Particulière ou Spéciale (SMP ou SMS, selon la terminologie antérieure à l’apparition des SMR) ne font l’objet d’aucun décret spécial. Cela signifie que l’abrogation de cet arrêté, obsolète depuis de très nombreuses années, devrait s’accompagner de la mise en place d’un texte de substitution, tâche particulièrement malaisée si l’on considère que le caractère tardif de cette abrogation, demandée depuis des années, tient à la volonté de ne pas ouvrir la boîte de Pandore… Y est-on vraiment prêt aujourd’hui ?

Quant à l’intégration éventuelle de la périodicité des examens cliniques dans les Conventions d’objectifs et de moyens passées entre Services de Santé au travail, DIRECTTE et CARSAT, si l’on comprend facilement sa pertinence pour les relations SST/DIRECTTE, il n’en va pas de même pour les relations SST/CARSAT, à moins bien évidemment que leur justification aux yeux de l’Administration ne soit l’« adaptation aux réalités locales » ou que l’on souhaite faire de ces dernières de nouveaux Organismes de tutelle… Et encore n’avons-nous pas évoqué les Agences Régionales de Santé (ARS), censées n’intervenir que pour avis, il est vrai, mais dont la légitimité en matière de suivi médical serait assurément plus compréhensible…

La question est cruciale car il y va en fait, pour l’avenir, de la place et du rôle exacts des SST, donc de leur importance dans le champ de la Santé au travail et de la Prévention des risques professionnels.

Aptitude et inaptitude

Même constat pour l’évolution de l’aptitude, indispensable au regard, non de la pénurie médicale, mais de la pertinence même du concept dans le cadre des visites périodiques. Nous avons souvent affirmé qu’il s’agissait là d’un « verrou » à faire sauter, en prenant appui sur les propositions du « Rapport Gosselin », mais est-on bien certain une fois encore qu’un large consensus puisse être dégagé facilement et rapidement sur cette question, alors qu’elle a toujours été à l’origine de débats passionnés entre représentants des Employeurs, représentants des Salariés et Médecins du travail ? A moins bien sûr que la question ait déjà fait l’objet de discussions en amont…

Il est difficile de porter une appréciation sur la modification de l’article R.4624-31 du Code du travail[1], relatif à la procédure d’inaptitude, en raison du caractère imprécis des informations dont nous disposons. Il en va de même pour le délai d’arrêt de travail consécutif à un accident du travail déclenchant l’obligation d’une visite de reprise ou le délai de recours contre l’avis délivré par le Médecin du travail.

Néanmoins, on peut se demander si les modifications annoncées par l’Administration ne font pas partie des « 80 mesures visant à simplifier les formalités administratives » présentées le 29 avril dernier dans le cadre des « Assises de la simplification » pilotées par le Secrétaire d’Etat aux PME, Frédéric Lefebvre, et que j’avais immédiatement commentées sur le site d’epHYGIE dans un article daté du 2 mai, intitulé Assises de la simplification : sécuriser la déclaration d’inaptitude au travail : « On comprend évidemment la volonté de simplification des procédures administratives en la matière mais on est en droit de s’étonner que cette question puisse être abordée à travers un tel document alors que la problématique de l’aptitude/inaptitude est parmi les plus importantes à traiter pour réformer la Santé au travail ». L’analyse que l’on peut faire aujourd’hui de ces mesures, comme d’ailleurs de celles concernant « les documents en matière de Santé au travail », que l’on risque de retrouver également dans les textes réglementaires à paraître, n’est en rien différente aujourd’hui de ce qu’elle était au printemps…

S’agissant enfin de l’importance accordée à la visite de pré-reprise, on ne peut que s’en féliciter si l’évolution envisagée permet effectivement d’éviter des inaptitudes, et, partant, des licenciements, grâce à la prise en compte, en amont de la visite de reprise, de la difficulté pour certains salariés de reprendre leur travail.

Il convient d’attendre pour en savoir davantage sur les intentions réelles de l’Administration, les modifications en la matière pouvant être, en fonction des choix qui seront définitivement effectués, la meilleure ou la pire des choses.

Effectifs « attribués »

La disparition envisagée de la notion d’« effectifs attribués » serait une véritable révolution mais que signifie-t-elle exactement ? Plusieurs lectures sont possibles : doit-on comprendre que les Médecins du travail ne suivraient plus des entreprises définies, ce qui reviendrait d’une part à mettre un terme à la relation privilégiée entre un Médecin du travail, SES entreprises et SES salariés, d’autre part à supprimer de facto la sacro-sainte « sectorisation » ? Doit-on comprendre, cette hypothèse n’excluant pas la précédente, que les plafonds actuels, 3 300 salariés, 3 200 examens médicaux et 450 entreprises au maximum pour un Médecin du travail à temps plein, seraient remis en cause, ouvrant la porte à de très probables disparités ?

Faut-il y voir, d’une façon générale, une nouvelle traduction réglementaire de la fameuse « adaptation aux réalités locales » prévue par la loi, déjà évoquée précédemment ? Si tel devait être le cas, c’est-à-dire si la prise en compte des moyens disponibles primait sur la prise en compte des besoins, il est d’ores et déjà possible de parier sur de fortes turbulences…

Personnel chargé du suivi des Salariés et Pluridisciplinarité

On suivra bien évidemment avec une attention particulière les dispositions relatives aux personnels des Services, qu’ils interviennent dans les domaines médical, technique ou organisationnel. Ainsi, les questions relatives aux Infirmier(e)s du travail, à leur formation, aux tâches qu’ils (elles) auront à effectuer, dans le cadre de leur rôle propre ou dans celui d’une délégation ou d’un transfert de tâches, sont de première importance : les choix qui seront faits, exprimés à travers des « protocoles », traduiront de fait la politique voulue par les Pouvoirs Publics en matière de suivi médical.

Même analyse pour la pluridisciplinarité : le positionnement des différents acteurs les uns par rapport aux autres, leur plus ou moins grande autonomie, leur statut, pour ne prendre que quelques facteurs, seront déterminants pour la suite, étant entendu que, d’une façon générale, le renvoi des Médecins du travail vers leurs Cabinets médicaux, tout comme leur « remplacement » par des Médecins de ville ou des Infirmiers, prenant appui sur la pénurie de Médecins spécialistes, constituerait une régression fatale pour la Santé au travail à la française.

Suivi des salariés « atypiques »

La même attention devra être portée au suivi de tous les salariés « atypiques » : salariés intérimaires, salariés d’entreprises extérieures, salariés isolés ou éloignés, salariés saisonniers, salariés de particuliers/employeurs, etc. Il faut espérer que ce suivi, assorti de nombreuses dérogations par rapport à la règle commune, ne s’accompagne pas de différences de traitement telles que se mette en place une Santé au travail « à plusieurs vitesses », nécessairement synonyme de discrimination (voir à ce sujet l’analyse que j’en ai faite après l’annonce des travaux parlementaires qui ont conduit à la loi du 20 juillet 2011, reprise notamment dans l’article « La réforme de la Santé au travail entre arrangement, trompe l’œil et marché de dupes » et dans la Lettre d’Information n° 6).

Il est tout à fait possible d’améliorer largement le suivi de tous ces salariés, en le simplifiant, à la condition expresse de garder à l’esprit les Valeurs qui ont présidé à la création de la Médecine du travail française, en 1946.

Conclusion

Un vaste chantier va s’ouvrir bientôt, qui devra concilier imagination et pragmatisme, rigueur et générosité : puissent tous les décideurs ne pas oublier qu’au cœur du système, il y a des Hommes et que, aujourd’hui comme hier, son objet est d’éviter toute altération de la Santé des travailleurs du fait de leur travail.

Je vous tiendrai évidemment au courant de son évolution, au fur et à mesure de l’avancement des travaux, et, cela va de soi, lors du Colloque « Regards croisés sur la Santé au travail », occasion privilégiée pour faire le point sur les questions d’actualité, le 29 novembre prochain.

Gabriel Paillereau

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[1] Article R.4624-31 du Code du travail : « Sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité ou celles des tiers, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude médicale du salarié à son poste de travail qu’après avoir réalisé :
1° Une étude de ce poste ;
2° Une étude des conditions de travail dans l’entreprise ;
3° Deux examens médicaux de l’intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires.
»  

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