Santé au travail : coup de projecteur sur le système belge (Docteur Pierre Carlier)

Comme je l’avais annoncé, j’ai demandé à un Médecin du travail belge, le Docteur Pierre Carlier, de bien vouloir faire un rapide « topo » sur la situation actuelle de la Santé au travail en Belgique, pays dont le système était autrefois le plus proche du système français et qui s’est lancé avant la France dans la mise en place de la pluridisciplinarité (multidisciplinarité).

Son témoignage, reflet de sa longue expérience du système, dont il a été longtemps une des figures de proue, montre que, globalement, il fonctionne de façon satisfaisante pour ce qui concerne les relations entre les différents acteurs de la pluridisciplinarité, même s’il y a encore un certain manque de communication entre eux, mais il peine à satisfaire les attentes des PME et TPE, généralement peu informées sur la prévention et essentiellement demandeuses d’une surveillance médicale traditionnelle (comme les Entreprises de plus grande taille, ce qui apparaît plutôt surprenant) et non de prestations du type « gestion des risques ».

Comme en France, la pluridisciplinarité « à la belge » a donc du mal à s’imposer, et, le pays manquant cruellement de médecins du travail et la délégation de tâches n’étant pas organisée, le système, parfaitement imaginé à la base, se révèle finalement bancal et nécessite divers aménagements qui ne sont pas sans rappeler ce dont notre pays a également besoin et qu’il peine à mettre en place.

Je remercie Pierre pour sa contribution, qui, j’en suis convaincu, intéressera vivement les fidèles de notre site et suscitera probablement des réactions de leur part.

Gabriel Paillereau

Bruxelles, le 18 juillet 2013

En Belgique, il y aura encore dès la rentrée 12 Services externes de prévention actifs, tous concurrents les uns des autres, à l’exception d’un seul (chemins de fer). Cette concurrence a pour conséquence que les Services pratiquent un dumping effarant en proposant la gratuité de nombreuses prestations et du temps de présence sur le terrain non facturé.

Rappelons qu’avant la mise en place des Services externes et de la multidisciplinarité, +/- 90 Services médicaux interentreprises officiaient en Belgique.

En pratiquant cette concurrence effrénée, les Services de prévention se mettent en difficulté, n’ayant pas toujours les ressources pour tenir les engagements promis ni l’assurance de prester sur la base d’un contrat rentable. Ce phénomène de concurrence est encore accentué par le court délai de préavis (6 mois) dont disposent les Entreprises et qui leur permet de négocier le prix des prestations hors cotisations légales minimales et quitter sans scrupules un Service de prévention pour un autre sur la base uniquement du coût global proposé (shopping médical…).

La multidisciplinarité telle qu’elle a été conçue et où le médecin du travail est un acteur de prévention parmi d’autres (avec l’ergonome, le toxicologue, le psychologue et l’ingénieur) permet de prendre en charge la totalité de la prévention (PME et TPE) ou une partie de la prévention selon les compétences qui manquent en interne à l’Entreprise. Elle est donc, selon des termes que tu utilises toi-même, à géométrie variable.

Dans son activité médicale, le médecin du travail n’est pas monopolisateur des dossiers médicaux de ses Entreprises. Ces dossiers sont accessibles à ses confrères du Service, ce qui permet de s’adapter heureusement avec souplesse aux aléas des absences, congés et autres RTT.

La multidisciplinarité « à la belge’’, c’est-à-dire avec ses deux sections (surveillance médicale et gestion des risques) est bien structurée et fonctionne correctement selon mon expérience. Pour ce qui concerne les Entreprises utilisatrices, les PME et TPE sont encore loin de disposer d’une information suffisante pour faire gérer leur prévention en connaissance de cause. Il n’est pas rare qu’elles ignorent si elles sont affiliées, et, si oui, à quel Service puisque c’est un Secrétariat Social externe qui gère leur personnel… Dans les plus grosses Entreprises, les missions ‘’gestion des risques’’ demandées aux Services de prévention se multiplient mais restent minoritaires par rapport à la demande de surveillance médicale traditionnelle.

Les deux sections sont pourtant bien complémentaires même si le système souffre encore d’un manque de communication entre les intervenants eux-mêmes.

La surveillance médicale périodique reste l’activité majeure au sein des Services. C’est logique puisqu’elle est la base de leur système de financement.

Il faut faire des examens médicaux pour être rentable alors que ces examens ne se justifient pas tous et que la pénurie médicale est dramatique. Les Services se livrent ici aussi une concurrence acharnée en pratiquant un démarchage régulier des médecins du travail.

Il faut savoir qu’on peut avoir des propositions de travail de quasi chaque Service de prévention existant sans avoir à changer de secteur géographique. Les médecins du travail font donc eux aussi leur shopping…

L’élément-clé pour l’avenir des Services est de revoir au plus vite la législation, et ce, sur deux aspects prioritaires :

1. En finir avec la surveillance médicale périodique systématique et avec son financement actuel pour donner plus de valeur et de temps à l’analyse des risques sur le terrain et aux examens à valeur ajoutée comme la consultation spontanée, la réintégration au travail, les demandes de travail adapté, la protection de la maternité, etc… Cela ne veut pas dire qu’il faut supprimer radicalement cette surveillance périodique. Pour certains postes de travail, elle n’est pas négociable.

2. Autoriser le médecin du travail à déléguer certaines de ses tâches à des assistants en prévention dûment formés à cet effet. Combien d’analyses des postes de travail pourraient être faites par ces assistants formés en conséquence avec un mandat du titulaire responsable et sous sa responsabilité ? Combien d’entretiens médico-professionnels ou d’évaluations techniques pourraient être réalisés par nos infirmier(e)s sous la tutelle du médecin du travail ?

En Belgique, pour répondre à ces questions, nous ne sommes encore nulle part alors qu’une génération de médecins du travail s’apprête à quitter progressivement la profession et que les médecins du travail en formation dans nos universités se comptent sur les doigts !

Docteur Pierre Carlier
Médecin du travail – Bruxelles

Copyright Pierre Carlier/epHYGIE 20 juillet 2013
Tous droits réservés

Pour compléter, relire l’article consacré à la Pluridisciplinarité que nous avons publié sur notre site au mois de juin :

 

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