Santé au travail : l’allègement des charges des PME vu par la Commission européenne

 

Alors que la mise en œuvre de la loi du 20 juillet 2011 réformant la Santé au travail est proche avec la publication des décrets d’application dans les prochaines semaines, certains textes ne manquent pas d’étonner. C’est le cas du tout récent Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen « Alléger les charges imposées aux PME par la réglementation – Adapter la réglementation de l’UE aux besoins des micro-entreprises », daté du 23 novembre 2011, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il n’a pas fait l’objet d’une grande publicité.

C’est bien regrettable car son contenu est « ébouriffant ».

On ne peut évidemment que souscrire à l’objectif général, qui est de « faciliter la vie » des petites et moyennes entreprises (PME). Elles représentent en effet 99 % des entreprises (dont 92 % de micro-entreprises) et jouent un rôle clé dans l’économie européenne, en fournissant plus de deux tiers des emplois du secteur privé et en contribuant de manière essentielle à la croissance économique. Comme le précise le Rapport, « elles sont d’une importance vitale pour l’économie européenne en tant qu’employeurs et sources d’innovation ».

Les paragraphes qui suivent, tirés de l’introduction du Rapport, ne peuvent que recueillir également une adhésion unanime, tant ils apparaissent pleins de bon sens :

« La stratégie Europe 2020, que l’UE a mise au point pour stimuler la croissance au cours de la prochaine décennie, souligne qu’il importe d’améliorer l’environnement des entreprises, notamment par une réglementation intelligente, pour renforcer la compétitivité des entreprises européennes au niveau mondial. Cependant, la crise financière continue à toucher de plein fouet les plus petites entreprises de l’économie de l’UE. Il est dès lors essentiel que les micro-entreprises puissent poursuivre leurs objectifs commerciaux sans réglementation inutile. La Commission est consciente que ce sont les plus petites sociétés qui sont financièrement les plus touchées dans leurs efforts pour respecter la réglementation. Le respect de la législation, qu’elle soit régionale, nationale ou européenne, représentera toujours une charge plus lourde pour les petites entreprises.

Le présent document présente des pistes de réflexion pour aller encore plus loin dans la mise en œuvre du principe «penser d’abord aux petits» et obtenir ainsi des résultats rapides. Il expose comment la Commission compte intensifier le recours aux exemptions ou aux régimes législatifs allégés spécifiquement prévus pour les PME ou les micro-entreprises. Il explique également comment le processus législatif et les mesures de mise en œuvre contribueront à atteindre cet objectif ».

Pleins de « bon sens » certes, mais que cachent réellement ces bonnes intentions ? Pour le savoir, il suffit de poursuivre la lecture du Rapport et d’examiner l’Annexe 2 « Exemptions et régimes allégés envisagés ». De nombreux aspects du fonctionnement des Entreprises y sont abordés mais nous nous en tiendrons ici à ceux relatifs à la Santé/Sécurité au travail.

Extraits choisis parmi les 13 exemptions et régimes allégés proposés :

Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail :

•    La possibilité de remplacer la documentation systématique sur l’évaluation des risques pour les micro-entreprises exerçant des activités à faible risque par une approche proportionnée fondée sur le risque pourrait être examinée dans le cadre d’une consultation des partenaires sociaux et après une évaluation des incidences des obligations actuelles.

Modification de la directive 2004/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail :

•    La modification de cette directive pourrait être mise à profit pour instaurer une approche fondée sur les risques, qui entraînerait des obligations moins lourdes pour les PME, conformément à l’approche générale prévue pour la santé et la sécurité sur le lieu travail.

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil fixant des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’ergonomie au travail afin d’éviter les troubles musculo-squelettiques liés au travail (TMS) et les problèmes de vue liés à l’utilisation d’écrans de visualisation et abrogeant la directive 90/269/CEE du Conseil et la directive 90/270/CEE du Conseil :

•    L’instauration d’une approche fondée sur les risques, qui entraînerait des obligations moins lourdes pour les PME, pourrait être envisagée en conformité avec l’approche générale prévue pour la santé et la sécurité sur le lieu travail.

Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi saisonnier :

•    Les micro-entreprises, et éventuellement aussi les PME, pourraient être exonérées des exigences relatives aux travailleurs saisonniers, de sorte que les petites exploitations agricoles puissent à nouveau recruter des travailleurs saisonniers à des conditions moins strictes, comme par le passé.

Directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services :

•    Lors de l’élaboration des lignes directrices concernant la mise en œuvre de cette directive, la Commission examinera la possibilité d’instaurer un régime allégé pour les petites entreprises.

Directive 2002/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 juin 2002 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’exposition des travailleurs aux risques dus aux agents physiques (vibrations) :

•    La Commission invitera à présenter des observations concernant l’impact de cette directive sur les PME dans le cadre de l’évaluation prévue de la directive et du processus y associé.

A la lecture de ces quelques exemples, on comprend que la simplification envisagée revient à considérer de facto la Santé/Sécurité au travail comme une variable d’ajustement parmi d’autres, ce qui, dans un pays comme la France, doté depuis plus de 60 ans d’un système de Santé au travail développé, et, quoi qu’on dise, performant, ne peut qu’apparaître choquant car synonyme de régression sociale.

La Confédération Européenne des Syndicats (CES) ne s’y est pas trompée. Dans un courrier daté du 1er décembre 2011 adressé aux Responsables politiques européens, Madame Bernadette Ségol, qui en est le Secrétaire Général, rappelle :

« La réglementation européenne est fondée sur une approche « minimaliste » et non sur une harmonisation « maximaliste », de façon à disposer d’un socle minimum en-dessous duquel les Etats Membres ne peuvent aller, particulièrement en matière de politique sociale. Par conséquent, les Etats Membres sont encouragés à aller au-delà des standards minimaux et ne peuvent être critiqués s’ils vont au-delà de la réglementation.

Ainsi, les éléments de la réglementation à venir présentés par la Commission dans l’annexe 2 du Rapport comme pouvant faire l’objet d’exemptions ou d’un régime allégé, qui visent en premier lieu la politique sociale, sont non seulement inappropriés (toute révision de la législation relative à l’Emploi et à la Politique sociale doit impliquer les partenaires sociaux conformément au Traité) mais dangereux du point de vue de la Santé/Sécurité au travail des travailleurs.

La Confédération Européenne des Syndicats a toujours défendu le point de vue selon lequel l’exonération de l’obligation d’établir une évaluation écrite des risques professionnels appliquée aux petites entreprises sans risque professionnel majeur conduirait à l’augmentation de l’exposition des travailleurs aux risques émergents. Toutes les données disponibles révèlent que les risques professionnels sont plus importants dans les petites entreprises, qui représentent la plupart des entreprises européennes. De plus, la Commission n’a proposé aucune définition de ce qu’il faut entendre par risque « faible ». Or, une telle définition exigerait en réalité une évaluation a priori du risque. Ainsi, une activité peut être à risque « faible » en termes d’accidents mais à risque « élevé » en termes de facteurs psychosociaux. Par ailleurs, le coût de l’exclusion des micro-entreprises devrait être évalué au regard de risques accrus de maladie et d’autres problèmes de Santé et de Sécurité. » (traduction GP)

On ne saurait guère être plus clair sur les méfaits de la politique envisagée par la Commission.

Qu’en est-il en France ? Nous avons eu l’occasion, ici-même, de critiquer diverses dispositions de la loi du 20 juillet 2011. Ce Rapport, en mettant en pleine lumière certaines orientations européennes, les éclaire d’un jour nouveau… Objectivement, elles ne vont évidemment pas aussi loin que le propose le Rapport de la Commission européenne mais l’esprit des mesures proposées dans le cadre des Assises de la simplification (voir les deux articles mis en ligne sur notre site au début du mois de mai 2011 : Sécuriser la déclaration d’inaptitude au travail et Documents en matière de Santé au travail) et de certaines des dispositions introduites dans le cadre de la réforme n’en sont pas si éloignées (cf suivi médical en fonction des « réalités locales » par exemple).

Il faudra donc être extrêmement vigilant pour éviter que, sous prétexte de simplification, on en vienne à porter atteinte à la Santé de nombreux travailleurs, salariés ou non. De ce point de vue, la politique conduite par le Royaume Uni en la matière apparaît « exemplaire », au sens de modèle à éviter s’entend, puisque :

« Le Gouvernement a annoncé la mise en œuvre, dès janvier 2012, de plans visant à réduire la bureaucratie en matière de SST. Il s’appuie sur un Rapport de préconisations qui recommande, notamment, de ne pas appliquer aux travailleurs indépendants dont l’activité professionnelle ne génère pas de risques potentiels pour les autres, la loi en santé et sécurité au travail. Le Rapport préconise, par ailleurs, de réduire de plus de la moitié, au cours des 3 prochaines années, les quelques 200 règlementations existantes en matière de SST en les combinant et en les simplifiant ». (Source : Eurogip)

Il est intéressant de noter que ces mesures, qui semblent pourtant dans la droite ligne du Rapport de la Commission du 23 novembre 2011 ont été annoncées le… 21 mars 2011, c’est-à-dire 8 mois avant ! C’est dire combien les responsables politiques anglais sont intelligents et savent anticiper ! Plus sérieusement, c’est montrer combien leurs positions (comme celles de nombreux pays récemment entrés dans l’Union), en faveur d’une déréglementation tous azimuts, peuvent influencer les orientations européennes …

Comme, presque à la même date que le Rapport de la Commission, le 15 décembre 2011 précisément, le Parlement européen a adopté à une large majorité (371 votes pour, 47 contre et 15 abstentions), une Résolution sur l’examen à mi-parcours de la Stratégie européenne 2007-2012 pour la Santé et la Sécurité au travail visant à renforcer la législation européenne en la matière, en se donnant comme priorités le stress au travail, les nouvelles technologies, les substances dangereuses et les nanomatériaux, il est bien difficile de s’y retrouver…

A moins que, tout simplement, ce « grand écart » manifeste ne soit l’expression du décalage entre une majorité de responsables politiques élus, soucieux de préserver les acquis sociaux de l’Europe, et une poignée de technocrates convaincus des vertus de la déréglementation à tout-va…

En tout état de cause, pour en revenir à l’« exemple » anglais, il apparaît décidément très inquiétant si l’on s’en tient aux propos de Chris Grayling, Ministre de l’Emploi britannique, qui affirme : « Bien sûr, c’est bien de protéger les employés au travail mais la culture en matière de santé-sécurité en Grande-Bretagne étouffe les entreprises et retient la croissance économique. Nous avons besoin de bon sens au cœur du système ».

Comme si l’Economie et la Santé étaient nécessairement antinomiques.

Décidément, contrairement à ce que l’on sait depuis la publication d’une BD bien connue, et tout respect gardé à leur égard, ils ne sont pas fous ces Bretons, ils sont dangereux (du moins certains d’entre eux) !

Prions le Ciel qu’un Grayling (ou un Gremlin ?) hexagonal ne nous tombe pas bientôt sur la tête !

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE janvier 2012
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Sur le même sujet, on lira avec intérêt « Une nouvelle politique européenne de déréglementation dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail pour les microentreprises ? (Rapport de la Commission européenne) », étude très documentée faite par Jacques Darmon, qui cite l’exemple de la proposition de loi présentée par un député UMP, M. Warsmann, votée par l’Assemblée nationale en première lecture le 18 octobre 2011.

L’article 46 de cette « Proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives » concerne l’évaluation et la prévention des risques et leur traduction dans le document unique. Il stipule que l’article L. 4121-3 du Code du travail, relatif au Document unique d’évaluation des risques professionnels est complété par un alinéa ainsi rédigé : « lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État après avis des organisations professionnelles concernées ».

La logique est donc rigoureusement la même que celle présentée dans le Rapport de la Commission européenne.

A noter que le Sénat ayant adopté en première lecture, dans sa séance du 10 janvier, la motion opposant la question préalable à la délibération de cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, elle a été rejetée.

Réunie le 18 janvier, la Commission mixte paritaire a constaté qu’elle ne pouvait parvenir à élaborer un texte commun. Le texte reviendra donc en discussion devant l’Assemblée Nationale.

GP

  • Pour accéder à son analyse par Eurogip, cliquer ici
  • Pour accéder à la lettre de la Confédération Européenne des Syndicats, cliquer ici
  • Pour accéder à la résolution du Parlement européen, cliquer ici
  • Pour accéder à la Réforme du Gouvernement Cameron, cliquer ici
  • Pour accéder à l’article de Jacques Darmon, mis en ligne sur le site de Santé et Travail, cliquer ici
  • Pour accéder aux Débats (fort instructifs) du Sénat sur la proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, cliquer ici

 

2 Comments

g.paillereau

Et nous ne sommes probablement qu’au tout début du processus de déréglementation…

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