Santé au travail : le jeu de piste de l’été décrypté

Bientôt la rentrée. Comme promis, je vous livre mon propre Carnet de voyage pour le jeu de piste proposé au mois d’août, qui a connu un franc succès puisqu’il a été consulté plus de 2000 fois ! Je vous confirme sans surprise que vous aviez parfaitement compris l’articulation des indices…

GP

Tout le monde connaît la formule « Le Roi est mort, vive le Roi », dont l’objet était de marquer la continuité de la Monarchie et d’éviter d’éventuels désordres dans la succession sur le trône.

Je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec la Médecine du travail. Avec la loi du 20 juillet 2011 (publiée au JO du 24), la Médecine du travail est définitivement morte. Mais pour être remplacée par quoi ? Par la Santé au travail ? Elle lui avait déjà succédé, au moins en théorie, en 2002 ? Lui aurait-elle enfin succédé vraiment grâce à la loi ? L’ouverture à la pluridisciplinarité, vieille de près de 10 ans, et plusieurs autres prétendues « avancées » présentées comme remarquables, ne peuvent, bien qu’étant claironnées à tous vents, emporter la conviction que des autistes et des ignorants…

De fait, si la Médecine du travail est bel et bien morte, la récente loi n’a pas donné pour autant à la Santé au travail les moyens de se déployer : le texte adopté est en effet trop inconsistant pour servir de fondation à la rénovation en profondeur dont le système avait et a toujours besoin.

D’où la question : « Vive quoi ? ». Personne ne le sait vraiment, à part probablement une poignée d’initiés. Quant aux autres (dont je suis), ils ne font que subir les effets de changements sur lesquels ils n’ont aucune prise, en ayant le sentiment qu’on s’est occupé d’eux…

C’est effectivement le cas.

Une piste ? J’en ai donné à plusieurs reprises sur le site sans provoquer ni acquiescement ni rejet.

Un indice ? Comme souvent, c’est le hasard qui donne la solution ou une idée de solution.

J’aime flâner sur Internet, à la recherche de points de vue sortant des sentiers battus. Lors d’une de ces sorties, j’ai découvert, en bonne place sur le site d’un important Institut qui n’est pas au sud de la Loire, une information concernant la publication récente d’un « Cahier spécial sur le thème des risques psychosociaux » (qui est en fait un « publi-rédactionnel »), à la rédaction duquel a participé une certaine Société « SOLAREH SA », qui y livre « son avis d’expert sur la Santé au travail », en qualité de partenaire, pour la circonstance, d’un Bulletin réputé pour ses informations quotidiennes très pointues dans le domaine social…

En ces temps où les risques psychosociaux occupent le devant de la scène, aucune information ne doit être négligée : raison suffisante pour chercher à en savoir plus sur ce « Cahier spécial » et cette mystérieuse Société (dont, je le reconnais, je n’avais jamais entendu parler), en me rendant sur son site ; occasion aussi de découvrir, à partir de sa page d’accueil puis du site de la Société SCOR, que le lecteur est invité à consulter, que SOLAREH SA, « Entreprise pionnière en Europe dans le développement du bien-être au travail, expert de l’accompagnement au retour à la santé et à la vie active, de la prévention des risques psychosociaux et de la prise en charge du traumatisme psychologique, dispose d’une équipe pluridisciplinaire aguerrie qui anime un large réseau spécialisé de proximité et est une filiale à 100 % de SCOR ».

Deux questions s’imposaient. A titre principal : comment avais-je pu passer à côté de l’existence d’une Société ayant de telles vertus ? A titre subsidiaire : et « SCOR » alors, qu’est-ce au juste ?

Si la première question trouve réponse dans mon ignorance, la seconde s’éclaire grâce à un Communiqué repris sur le site de SCOR : on y découvre en effet que, conformément à son plan stratégique pour la période 2010-2013, « SCOR Global Life SE », filiale de « SCOR SE », qui détenait déjà 50 % du capital de « SOLAREH SA », a acquis les 50 % restants par le rachat des parts de « SOLAREH International Inc. » « en vue d’élargir et de renforcer son offre de services à valeur ajoutée pour ses clients assureurs, en leur offrant des solutions de maîtrise de la sinistralité par la prévention des risques en entreprise et la gestion des arrêts de travail ».

Bon. On y voit déjà plus clair : SCOR est un Assureur (un réassureur pour être précis) dont les clients sont des Assureurs…

Tiens donc ? Simple coïncidence probablement…

En poussant un peu plus loin, on découvre (façon de parler car je le savais déjà !) que le PDG de SCOR n’est autre que Denis Kessler, l’ex bras droit d’Ernest Antoine Seillière à la tête du MEDEF, « Institution qu’il a codirigée et dont il a théorisé le rôle, avec la « refondation sociale », en 2000 » selon Corinne Lhaïk, dans un article de l’Express, « Au Medef, l’ombre de Kessler », mis en ligne le 13 janvier 2010.

Tout le monde se souvient de son idée lumineuse, particulièrement appréciée par tous les Professionnels de la Médecine du travail, de confier le suivi médical des salariés à des médecins généralistes… En avait résulté une levée de boucliers générale et le vote d’une motion de défiance des responsables des Services interentreprises de Médecine du travail vis-à-vis de la politique de Santé au travail du MEDEF…

Avec la Loi récemment votée, ce fulgurant « trait de génie » est devenu réalité. Simple coïncidence…

On découvre par ailleurs que la communication autour du rachat de SOLAREH par SCOR a été confiée à Jean-Charles Simon, qui a rejoint le groupe SCOR le 19 juillet 2010. On peut lire également, sur le site de l’Argus de l’Assurance : « Nul doute que l’ancien Conseiller et Directeur des affaires publiques de la FFSA sous la présidence de Denis Kessler, actuellement PDG de SCOR, y sera parfaitement à son aise, dans un poste de Directeur des affaires publiques et de la communication… ».

On en doute d’autant moins que Jean-Charles Simon est également administrateur du groupe « Hi-Media », « groupe media on-line, qui est aujourd’hui un des plus grands éditeurs de sites Internet grand public au monde. Avec une audience de plus de 50 millions de visiteurs uniques dédupliqués dont 29 millions en Europe, 3 milliards de pages vues par mois, la société est l’un des cent premiers groupes media Internet au niveau mondial » (présentation extraite de la page d’accueil du site d’Hi-Media).

Les « coïncidences » se précisent encore en prenant connaissance du cursus (extrêmement brillant) de Jean-Charles Simon : Diplômé de l’ENSAE et de l’IEP Paris, il a exercé successivement des fonctions de haut niveau au sein du RPR, dont il a été Directeur des études en 1998-1999, de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances (FFSA), où il a été Conseiller du Président (Denis Kessler, comme on l’a vu plus haut) puis Directeur des affaires publiques de 1999 à 2003, de la très discrète Association Française des Entreprises Privées (AFEP), dont il a été Directeur de 2004 à 2008, et, pour finir, du MEDEF, dont il a été Directeur général délégué, c’est-à-dire membre de la garde rapprochée de Madame Parisot de 2008 à 2010, et qu’il a quitté « bruyamment » avant de rejoindre Denis Kessler, après un passage éclair chez Groupama.

Rappelons que ce dernier était considéré, il y a moins de deux ans, comme un candidat possible à la succession de Madame Parisot, finalement réélue sans opposition à la tête du MEDEF en juillet 2010, si l’on en croit l’ouvrage très documenté sur le « Livre noir du capitalisme français : Histoire secrète du patronat de 1945 à nos jours », dirigé par Benoît Collombat et David Servenay, et l’article de l’Express cité précédemment.

On notera enfin, en ces temps de crise financière, que Denis Kessler et Jean-Charles Simon sont les coauteurs d’un « Que sais-je » consacré aux « Fonds de pension », publié en mai 2005…

Pour compléter ce dossier, on lira également avec intérêt l’article mis en ligne sur le site de Mediapart, « Droit au portefeuille contre droit à la santé », et le compte rendu de la dernière Assemblée Générale de SCOR, tenue au mois de mai, qui nous apprend qu’après avoir mis en lumière son bilan depuis son arrivée à la tête de la Société, Denis Kessler a été reconduit dans ses fonctions de PDG pour six ans. Même chose pour Guillaume Sarkozy, représentant Médéric Prévoyance, dont le mandat d’administrateur de SCOR a également été prolongé de six ans.

La boucle est bouclée… Les coïncidences coïncident…

On peut maintenant répondre à la question : « Vive quoi ? ».

C’est bien simple : « Vive une Santé au travail aux mains des Assureurs ».

Alors, circulez : il n’y aura peut-être bientôt plus rien à voir…

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE septembre 2011

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PS : rappel pour mémoire du dossier Santé au travail et télémédecine : un service parfaitement assuré…, mis en ligne sur le site avant l’été, dont je vous invite à lire ou relire tout particulièrement le début et la fin.  

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