Santé au travail, Prévention des risques professionnels et sinistralité : commentaires à propos d’un Rapport de la Cour des Comptes

Nous avons abordé à diverses reprises les relations entre Santé au travail et assurances, et tout particulièrement dans deux articles mis en ligne en 2011, le second sous forme d’un « jeu de piste ».

En août 2012, dans un nouvel article intitulé Santé au travail et Prévention des risques professionnels : une logique assurantielle ? A propos d’un Rapport de la Cour des Comptes : commentaires de la revue Santé et Travail (François Desriaux) et epHYGIE (Gabriel Paillereau), nous avions repris cette thématique à partir d’un projet de Rapport de la Cour des Comptes, « Les accidents du travail et maladies professionnelles : les faiblesses de la politique de prévention du régime général de sécurité sociale », dont nous ne connaissions alors qu’un relevé d’observations provisoires, cité dans un article de la revue Santé et Travail, sous la signature de François Desriaux.

Je me contenterai de reprendre ici, en caractères italiques, quelques extraits des commentaires que j’avais faits alors, lesquels ne semblent pas avoir vraiment pris de rides :

Pour les Rapporteurs, les TMS sont considérés comme constituant « une sinistralité surestimée », au point de s’interroger sur l’opportunité d’en faire une priorité d’action de prévention ; pour eux, le coupable c’est le tableau ! : « La croissance de la sinistralité apparente est la conséquence d’un système de reconnaissance très souple dont les salariés prennent peu à peu conscience et dont ils tirent de plus en plus parti. Les efforts de prévention qui consistent pour partie en des actions d’information sont ainsi la cause vraisemblable de la croissance
observée. »

Les salariés victimes de TMS apprécieront !

Quant aux risques psychosociaux, « le flou de ce sujet ne permet pas de fonder objectivement une priorité de prévention de la branche, au-delà de l’existence d’une “ demande sociale ” en la matière, souvent évoquée pour fonder une priorisation par la Cnam et les Carsat » ; il convient donc d’« établir solidement l’impact des RPS sur la sinistralité de la branche avant de les prioriser. »

Les salariés victimes d’atteintes à leur santé du fait des RPS apprécieront également !

Difficile de prévoir quelle sera la suite donnée à ce Rapport mais le moins qu’on puisse dire est qu’il fait plutôt « tache » en s’appuyant exclusivement sur des considérations comptables, ce qui revient à considérer comme non pertinente toute autre approche, même arrêtée d’un commun accord entre les Partenaires sociaux.

On observera également, s’agissant cette fois des Services de Santé au travail, embarqués aujourd’hui dans l’élaboration de Projets de Service et de Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM), que les priorités qu’ils sont amenés à retenir, depuis de nombreuses années, sous l’influence des CARSAT et des DIRECTTE, comprennent le plus souvent… les TMS et les risques psychosociaux ! En clair, les Professionnels de la Santé au travail se fourvoieraient tous, comme s’ils étaient victimes d’une hallucination collective ou d’un « effet de mode », la « vérité » en la matière appartenant à « la Comptabilité » (ou au comptage ?), indépendamment de toute considération sociale ou simplement humaine…

Il serait intéressant de connaître le point de vue des Organisations d’Employeurs et de Salariés représentatives au plan national et celui des Pouvoirs Publics sur ces questions. On y verrait ainsi plus clair sur la Santé au travail et la Prévention des risques professionnels, et, au-delà, sur l’avenir du système.

Nous disposons désormais de la position définitive de la Cour des Comptes, contenue dans son Rapport annuel public 2013 (pages 337 à 362). Même si les termes employés par les Sages de la rue Cambon diffèrent par rapport au relevé d’observations provisoires cité plus haut, les critiques demeurent sévères, comme permettent de le vérifier les extraits ci-dessous :

Dans l’introduction

Les investigations de la Cour se sont concentrées sur les actions de prévention que développe la branche directement auprès des entreprises et des salariés, en accompagnement de nombreux autres acteurs qui concourent à la politique de santé au travail.

Alors même que l’enjeu sanitaire, économique et financier demeure majeur, le bilan de l’action menée en la matière apparaît cependant peu satisfaisant, car les priorités de prévention sont encore insuffisamment objectivées (I), les moyens répartis de manière inadéquate (II) et les résultats incertains (III).

A propos des TMS

Commentant les résultats d’une comparaison faite au niveau européen, la Cour des Comptes en tire les enseignements suivants :

Rien dans l’exposition à la globalisation, le degré de développement économique ou l’intensification du travail ne paraît pouvoir expliquer de tels écarts. De fait, selon Eurogip, ces données statistiques seraient moins représentatives des risques qu’elles ne sont le résultat d’un processus de réparation déterminé par son cadre médicolégal.

À cet égard, en France, la croissance du nombre de déclarations à ce titre serait la conséquence d’un système de reconnaissance très souple auquel il serait de plus en plus recouru. Pour la direction générale du travail, le positionnement relatif de la France en ce domaine résulte à la fois des différences de critères de reconnaissance, de l’importance relative des présomptions d’origine professionnelle, des écarts  d’attractivité des systèmes d’indemnisation et de la diversité des pratiques d’instruction en vigueur dans les États européens.

A propos des RPS

Le flou de ce sujet ne permet pas de fonder objectivement une priorité de prévention de la branche, au-delà de l’existence d’une “ demande sociale ” en la matière, souvent évoquée pour fonder une priorisation par la Cnam et les Carsat ; il convient donc d’« établir solidement l’impact des RPS sur la sinistralité de la branche avant de les prioriser.

Pourtant, selon le site Internet du ministère du travail, « les risques psychosociaux ne sont définis, ni juridiquement, ni statistiquement, aujourd’hui, en France ». Ils rassemblent de fait des phénomènes très divers, mais mal cernés et mal suivis statistiquement. Un collège d’expertise missionné par le ministère a cependant mis en évidence, en avril 2011, six facteurs de risques psycho-sociaux et établi différentes recommandations pour améliorer le recensement de ce risque, notamment par l’instauration d’une enquête spécifique que pourrait réaliser à intervalle régulier la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES).

Un tel suivi exhaustif et durable paraît d’autant plus indispensable qu’en l’état actuel la branche n’a pu produire aucun élément statistique confirmant l’importance de ces risques en termes de sinistralité avérée.

On ne peut pas dire que l’appréciation portée soit des plus positives. Elle est à rapprocher des informations dont nous disposons aujourd’hui sur la mise en œuvre de la réforme de la Santé au travail, et, plus particulièrement, sur les Projets de Service et les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM).

Il n’est un secret pour personne que les TMS et les RPS y occupent la première place, en plein accord avec les DIRECCTE et les CARSAT, ce qui révèle une contradiction de taille dans la perception des « priorités » de prévention telles que les apprécient, d’une part, les Professionnels des Services de Santé au travail au sein des Commissions Médico-Techniques et les représentants des Employeurs et des Salariés qui siègent dans les Conseils d’Administration et Commissions de Contrôle des Services, d’autre part, les Magistrats de la Cour des Comptes.

Le rapprochement de ces éléments conduit à un jugement sans appel : nous faisons fausse route…

A méditer, en se plaçant dans une « logique assurantielle » fondée sur la sinistralité avérée, logique naturelle et tout à fait légitime pour des personnes dont le métier est d’objectiver les problèmes en les quantifiant, mais pas forcément pour des spécialistes de la Prévention.

Un paragraphe du Rapport explique très clairement cette différence d’appréciation, fondée sur l’importance qui doit être accordée aux facteurs à prendre en compte, objectifs et subjectifs :

Dans une synthèse réalisée par l’institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’état des connaissances sur le stress est présenté selon le niveau de preuve : élevé, modéré, limité, absent ou insuffisant. Les études synthétisées font état de liens ou d’absence de lien entre ces  acteurs de stress et diverses pathologies comme les maladies cardiovasculaires, les troubles musculo-squelettiques, la santé mentale. Les corrélations ne sont toutefois considérées comme élevées qu’avec les facteurs subjectifs : elles sont rarement modérées (13/128) ou limitées (8/128) et le plus souvent absentes (107/128) avec les facteurs objectivables.

On relèvera en particulier la dernière phrase, ci-dessus en caractères italiques gras, qui montre qu’il faudra probablement beaucoup de temps pour rapprocher les points de vue des uns et des autres.

A moins que, bien évidemment, situation économique dégradée et rigueur budgétaire aidant, les jeux ne soient faits, et que le quantitatif ne l’ait déjà emporté sur le qualitatif, l’objectif sur le subjectif, le comptable sur l’humain…

C’est peut-être déjà assuré ou sur le point de l’être.

Assuré et pas du tout rassurant…

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE mai 2013
Photo GP

Tous droits réservés

Pour accéder au Rapport de la Cour des Comptes, cliquer sur les liens suivants :

Rappel pour mémoire des liens vers les articles sur les relations entre Santé au travail et Assurances déjà publiées sur le site :

 

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