Santé au travail : quelles leçons tirer des incidents à Air France (et ailleurs) ?

Coucher sombreDans un article publié sur notre site en avril 2013, Santé au travail : le Comité de grève de PSA Aulnay s’invite aux 5èmes Rencontres de la revue Santé et Travail, j’avais rapporté l’incident auquel je venais tout juste d’assister, de nombreux membres du Comité de grève de PSA ayant alors interrompu le déroulement des Rencontres pour exprimer leur colère au Ministre du Travail, Michel Sapin, finalement absent, représenté par le Directeur Général du Travail, Jean-Denis Combrexelle.

Les événements survenus la semaine dernière à l’issue du CCE d’Air France ne sont pas sans le rappeler, avec la violence physique en plus.

On trouvera ci-dessous un long extrait de cet article, dans lequel je me suis contenté de reporter, en caractères gras, les passages exprimant une réalité d’hier, d’aujourd’hui et probablement de demain, non pour excuser des actes que j’estime personnellement condamnables mais pour essayer d’en comprendre les raisons, ce que peu de gens hélas semblent disposés à faire :

« Avant même que les participants aient pu quitter la salle pour « s’aérer » quelques minutes, plusieurs dizaines de manifestants l’avaient envahie avec l’espoir de rencontrer le Ministre et de lui exprimer leur colère.

Le Comité de grève qui se bat depuis plusieurs mois pour éviter la fermeture du site PSA d’Aulnay-sous-Bois avait choisi ce mode d’expression pour se faire entendre. A défaut du Ministre, qui s’était décommandé au dernier moment, il y avait son représentant, Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail, demeuré extrêmement calme dans la « tempête », pressé sans succès de téléphoner à Michel Sapin pour obtenir de sa part un rendez-vous, au milieu de huées et de slogans visant en termes extrêmement durs tous nos Dirigeants, passés, actuels et futurs, Président de la République compris.

Comme l’invasion de la salle de conférences, suivie d’un exposé sur la situation de PSA fait par le responsable CGT de l’usine, Jean-Pierre Mercier, interdisait de tenir la table ronde prévue, celle-ci fut remplacée, avec l’accord de François Desriaux, par un débat improvisé avec les participants au Colloque, accompagné de témoignages des ouvriers en lutte, débat filmé par la CGT, accessible à partir du lien suivant, Débat improvisé avec les grévistes.(Note GP : ce lien n’est plus accessible aujourd’hui) 

Nous n’allions parler ni du « bien-être au travail », ni de la « qualité de vie au travail », concepts théorisés au point de ne plus rendre compte du « travail réel », mais bel et bien de ce dernier et de ce que représente, pour un salarié licencié, la perte de son emploi après parfois plusieurs dizaines d’années passées au sein de « son » Entreprise.

Pas de discours théorique sur les bienfaits ou les méfaits du travail sur la santé mais des échanges pratiques sur une réalité dont on ne peut comprendre le caractère brutal et injuste que quand on la vit ou qu’on l’a vécue soi-même. Alors que le chômage touche aujourd’hui plus de 3 millions de personnes, combien de Français sont capables de comprendre les exclus et les laissés pour compte ? Combien en ont simplement l’envie ? Il est tellement plus facile et confortable, tellement plus lâche aussi, de fermer les yeux en faisant comme si c’était une situation banale, « normale » même…

Attaché aux principes de la démocratie, croyant aux vertus du dialogue, j’ai toujours détesté la violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste. Cela n’interdit pas de chercher à la comprendre car elle n’explose pas sans raison.

Le coup d’éclat des ouvriers de PSA au beau milieu de Rencontres consacrées aux conditions de travail dans la crise est le révélateur d’un mal beaucoup plus profond que ne l’imaginent la plupart de nos dirigeants et beaucoup de nos concitoyens : il marque de fait la rupture entre la base et ses élites supposées (ou prétendues telles), accusées d’être indifférentes, vénales, corrompues, pourries…

Il faut dire que l’actualité, avec l’affaire Cahuzac, illustration caricaturale de la Société actuelle, rend difficile un discours mesuré en la matière.

Nous avons, ici-même, à de nombreuses reprises, abordé les relations entre Management, Organisation du travail et Santé, dénoncé les atteintes à la dignité de l’Homme au travail, insisté sur la nécessité de développer des relations de Confiance au sein de l’Entreprise… Encore faut-il que le lien, très ténu, entre la France d’en-haut et la France d’en-bas, pour reprendre une expression connue, ne soit pas rompu. Que la majorité de la population n’ait pas le sentiment d’être abandonnée, sacrifiée sur l’autel des intérêts d’une minorité.

Jusqu’à quand faudra-t-il que, sous couvert du « politiquement correct », les victimes subissent leur souffrance en silence, contraintes à remiser tout affect pour ne pas porter atteinte à l’ordre « établi » (c’est-à-dire imposé par l’establishment) ?

Le désespoir, la désespérance, la détresse sont bel et bien là : le happening politico-syndical auquel je considère avoir eu la chance de participer en est la preuve.

Prenons garde à ne pas sous-estimer l’importance de manifestations de ce type car leurs effets pourraient être redoutables. […] »

Les dramatiques incidents de la semaine dernière et nombre de commentaires auxquels ils ont conduit ne sont que la triste illustration de l’autisme qui caractérise notre Société, apparemment incapable de tirer des leçons du passé, de nombreux « observateurs » donnant le sentiment de faire comme si chaque événement pouvait être traité isolément, sans qu’il soit utile de le rattacher à son environnement.

Je terminerai ce commentaire d’actualité avec la phrase qui concluait mon article d’il y a deux ans :

« Quand des agneaux sont condamnés à se transformer en loups pour défendre leur travail et leur dignité, on doit redouter le pire. »

Gabriel Paillereau
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12 octobre 2015
Photo GP
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On retrouvera ci-dessous quelques-uns des nombreux articles consacrés au thème de la dignité de l’Homme au travail publiés sur le site d’epHYGIE avant même les incidents survenus au cours du Colloque de la revue Santé et Travail :

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