Santé au travail : un SIST condamné pour non-réalisation des examens médicaux obligatoires (Arrêt de la Cour de Cassation : 19 décembre 2013)

Cela fait des années que, en raison de la pénurie de Médecins du travail, les Services de Santé au travail sont « sur le fil du rasoir » en ce qui concerne la réalisation des examens médicaux obligatoires. J’ai à de nombreuses reprises estimé que le fait qu’aucun Service n’ait été condamné à ce titre relevait du miracle.

Ce qui devait arriver vient d’arriver : la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation, par un arrêt du 19 décembre 2013, a confirmé la condamnation d’une Service interentreprises de Santé au travail pour ne pas avoir rempli ses obligations vis-à-vis d’une Entreprise adhérente :

« Attendu qu’ayant constaté que l’association n’avait procédé qu’à un seul des examens médicaux périodiques sur les cinq demandés par la société en 2009 et n’avait pas respecté le délai de visite annuelle pour quatre des salariés soumis à une surveillance médicale renforcée, puis exactement relevé que la situation résultant de ces défaillances d’un service de santé au travail dans l’exécution de sa mission constituait une infraction pénale commise par l’employeur, qui se trouvait également confronté à un déficit d’informations déterminantes pour l’accomplissement des actions de prévention et le respect des obligations qui lui incombent dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, la juridiction de proximité, qui ne s’est pas prononcée par voie de motifs généraux et abstraits, a pu en déduire que la société avait subi un préjudice en rapport avec l’insuffisance des examens médicaux et de la surveillance des salariés imputable à l’association, préjudice qu’elle a souverainement évalué à une somme égale au montant de la cotisation annuelle due par l’adhérente, justifiant ainsi légalement sa décision. »

Je laisse le soin à chacun de découvrir le texte intégral de cet arrêt, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il fragilise sérieusement les nombreux Services qui se trouvent dans l’impossibilité de réaliser, au bénéfice de leurs adhérents, les examens prescrits par la réglementation.

Un premier pas vient d’être franchi dans la mise en cause de la responsabilité des Services de Santé au travail. Un second pourrait l’être avec la contestation de la validité des avis d’aptitude délivrés par des médecins du travail exerçant au sein de Services de Santé au travail fonctionnant sans l’agrément prévu par les textes.

Sans doute n’assisterons-nous pas, au moins dans l’immédiat, à une épidémie de condamnations mais le fait est qu’une digue vient de céder, ouvrant la porte à des contentieux engagés par des Employeurs mécontents que le service censé correspondre à leurs cotisations ne soit pas rendu.

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE – 3 janvier 2014
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Pour accéder au texte intégral de l’arrêt de la Cour de Cassation, à partir du site de Légifrance, cliquer sur le lien suivant :

Le texte est également disponible en format PDF à partir du lien suivant :

 

3 Comments

Henri

Hello !

Je résume le premier cas (j’espère avoir bien compris) : en 2009, une entreprise demande 5 visites médicales (SMR) et le SST inter n’en assure qu’1 seule. L’employeur se retrouve donc en infraction PENALE pour non respect de ses exigences SST en matière de surveillance médicale de son personnel (alors qu’il a payé le service). L’année suivante, il refuse alors de payer sa cotisation au SST inter (j’imagine que c’est pour marquer le coup puisque la situation est récurrente et touche d’autres entreprises, semble-t-il). Le SST s’estime lésé et attaque cet employeur au CIVIL en demandant des dommages et intérêts. Bien mal lui en a pris puisque in fine c’est le SST qui est condamné à verser des dommages et intérêts du fait du préjudice causé à l’employeur.

Que trouves-tu anormal, Gabriel ? Moi, ce que je trouve anormal, c’est qu’un prestataire qui n’a pas fait son travail une année tout en ayant été payé d’avance, s’estime lésé s’il n’est pas à nouveau payé d’avance l’année suivante ! Et je comprends que son client, que la prestation payée mais pas réalisée expose pénalement, n’ait pas envie de payer la même prestation l’année suivante… Il est donc urgent que les SST mettent en place les entretiens infirmiers.

Du second cas tu n’apportes aucun élément d’information, mais tu as l’air de trouver a priori parfaitement admissible qu’un SST travaille même s’il n’est pas agréé… Moi cela me semble anormal, sinon à quoi sert cet agrément ? Quels sont tes arguments ?

A te lire. Bye.

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g.paillereau

Avant toute chose, je tiens à dire qu’il n’y a selon moi rien d’« anormal » dans l’arrêt de la Cour de Cassation. J’ai d’ailleurs pris le soin de donner l’information sans porter de jugement sur l’affaire et ses protagonistes.

Je me contenterai pour l’heure d’ajouter qu’elle n’est probablement pas sans lien, étant donné le Service à l’origine du pourvoi, avec la volonté de faire reconnaître par la haute juridiction la fameuse « formalité impossible » qui a tenu lieu de ligne politique à certains depuis 5 ans.

Avec le succès que l’on constate à la lecture de cet arrêt, qui renvoie à l’histoire de
« l’arroseur arrosé »…

Je partage donc entièrement le commentaire contenu dans le deuxième paragraphe, à l’exclusion de sa conclusion. Tout en reconnaissant en effet la nécessité et l’importance du travail des Infirmiers de Santé au travail, j’estime que les « entretiens infirmiers » ne sauraient être considérés comme remplaçant les examens pratiqués par les Médecins du travail, ces derniers étant les seuls à pouvoir se prononcer sur l’aptitude des salariés. Leur mise en place, si utile soit-elle, n’est pas LA solution.

La question de la responsabilité des Services demeure pour l’essentiel, car elle n’est abordée ici qu’au plan civil. Il est probable qu’à l’avenir, la prise en compte de son versant pénal conduise à de nouveaux arrêts, au regard notamment de l’obligation de Sécurité (et de Santé) de résultat.

S’agissant de l’hypothèse que j’ai émise, relative à la mise en cause de la responsabilité de Services de Santé au travail du fait de l’absence de valeur juridique des avis d’aptitude émis par des Médecins du travail appartenant à des Services non agréés, je tiens à souligner que l’absence d’agrément est évidemment inacceptable. Encore faut-il bien savoir ce dont on parle car il y a agrément et agrément… J’y reviendrai ultérieurement dans un article spécifique, la complexité du sujet nécessitant beaucoup plus qu’un simple commentaire.

La question posée sur l’« utilité » de l’agrément est donc tout à fait pertinente.

La réponse qui doit lui être faite ne peut, ne doit être que : oui, l’agrément est utile, indispensable même, pour garantir que ne soient autorisés à fonctionner que des Services « irréprochables » au regard des textes applicables et… de la réalité de leur situation.

Il n’y aurait rien d’anormal à ce que la responsabilité de Services fonctionnant sans agrément soit mise en cause, au même titre que celle de l’Administration elle-même, coupable vis-à-vis des Entreprises et des Salariés de maintenir en activité, au mépris de toutes les exigences du Code du travail, des Services non agréés et qui ne remplissent pas les conditions pour l’être.

Je rappelle pour finir que, dans son rapport de novembre 2012, la Cour des Comptes déplorait que « l’impossibilité juridique de sanctionner des associations qui fonctionnent, pour certaines depuis près de vingt ans, en dépit d’un refus explicite de l’administration, a vidé la procédure d’agrément de son sens ».

Ne faut-il pas d’ailleurs, allant plus loin que la Cour des Comptes face à certaines situations constatées sur le terrain (que l’Administration connaît depuis des lustres), parler de « refus de sanctionner » de sa part plutôt que d’ « impossibilité juridique » ?

La question mérite sérieusement d’être posée et… d’être posée sérieusement !

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Henri

Hello !

Je rebondissais sur le cas de cette facturation de prestations non fournies, pas sur la question de prestations assurées hors agrément… Mais à tout prendre autant être suivi par un SST sans agrément que pas suivi…

A propos de la mise en place des entretiens infirmiers, je fais bien la différence avec la détermination d’aptitude médicale par un MT. N’empêche que selon les dispositions actuelles et dans le genre de cas en question cela libère le MT pour des visites prioritaires tout en permettant la facturation du suivi médical…

Cordialement.

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