Souvenirs, souvenirs : la réforme de la Santé au travail, urgence et nécessité (mai 2009) ou l’Elégante et la Sorcière (juin 2011)…

 

Il est parfois utile de se retourner pour faire le point sur un dossier, savoir ce que l’on en disait quelques mois, voire quelques années plus tôt. L’ouverture des débats sur la réforme de la Santé au travail à l’Assemblée Nationale et au Sénat, qui aura lieu demain 30 juin, m’en a donné l’idée et l’occasion.

J’ai donc recherché l’article que j’avais rédigé en 2009, à la demande de la Direction Générale du Travail, publié en mai de la même année dans un numéro spécial « Santé au travail » de la revue « Administration », destinée à la Haute Fonction Publique d’Etat, alors que les négociations entre partenaires sociaux se poursuivaient avec l’espoir affiché (mais les négociateurs y croyaient-ils vraiment ?) de donner naissance à une Santé au travail toute neuve.

On sait ce qu’il en a été, le protocole d’accord préparé par le MEDEF ayant été rejeté par les Organisations syndicales unanimes quelques mois plus tard…

Avec le recul, les thèmes abordés dans cet article prennent un relief particulier. On constate que rien, absolument rien n’a changé ! S’il y avait déjà urgence et nécessité en 2009, que dire en 2011 ? On ne peut hélas que constater que rien, absolument rien n’a été fait pour échapper à ce qui s’apparente aujourd’hui à une catastrophe.

Les « cris et chuchotements » de l’époque, auxquels je faisais allusion dans les toutes dernières lignes de l’article, n’ont manifestement pas été « annonciateurs de l’équilibre et de la sérénité dont le système a besoin le plus rapidement possible pour fonctionner avec toute l’efficacité qu’on est en droit d’en attendre ».

On trouvera ci-dessous l’intégralité de la conclusion de cet article, qui positionnait clairement les enjeux de la réforme, malheureusement oubliés en cours de route…

Alors, qui de l’Elégante ou de la Sorcière surgira des débats à l’Assemblée Nationale et au Sénat sur un texte ambivalent, qui, pour nombre de ses dispositions (référence aux spécificités ou réalités locales, par exemple), conduit à des lectures diamétralement opposées ? Début de réponse à partir de demain…

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE 29 juin 2011

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La réforme de la Santé au travail : urgence et nécessité

Les thèmes proposés par Monsieur Xavier Bertrand dans le Document d’Orientation remis aux partenaires sociaux lors de la deuxième Conférence tripartite sur les Conditions de travail, tenue le 27 juin 2008, sont, pour l’essentiel, en adéquation avec les préoccupations quotidiennes des acteurs de terrain, et plusieurs « questions de fond », gouvernance et financement des Services en particulier, sont également sur la table des négociations. Un énième rapport, confié à la Cour des Comptes, va même compléter prochainement l’abondante littérature censée permettre de faire évoluer le système.

Tout semble donc a priori en ordre pour l’asseoir définitivement. Et d’ailleurs, Monsieur Xavier Bertrand n’a-t-il pas pris les devants en évoquant la préparation d’un deuxième Plan Santé au travail couvrant la période 2009-2014 ? On pourrait en tirer la conclusion que les orientations majeures du Plan Santé au travail 2005-2009 seront confirmées, renforcées, complétées…

En dépit de ces signaux apparemment favorables, le climat général demeure globalement teinté d’inquiétude et de morosité, voire de mécontentement. Il est vrai que les échos en provenance des négociateurs, qu’ils soient du côté des employeurs ou des salariés, sans être alarmants, ne sont pas vraiment rassurants dans la mesure où, comme on dit souvent de façon triviale, les « sujets qui fâchent », gouvernance et financement précisément, pour n’en citer que deux, n’ont pas été réellement abordés et encore moins traités.

Or, au-delà de considérations purement financières, c’est bien l’avenir même de la Santé au travail que traduiront les choix relatifs au financement de la Santé au travail de demain : qu’il s’agisse de la nature de la prestation, du prix à payer, de ses modalités de calcul, du mode de recouvrement, de la redistribution éventuelle des ressources collectées ou de leur utilisation, la modification d’une ou de plusieurs des caractéristiques du financement actuel de la Santé au travail sera le révélateur de la philosophie que les Pouvoirs publics entendent voir triompher.

Nous ne sommes en fait qu’au tout début du processus de remise en cause des « modèles » en vigueur depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le vieillissement de la population active, donnée structurelle incontournable, conduira à des changements importants dans l’organisation du travail au sein des entreprises et dans la nature même des tâches, en France et dans tous les pays développés. Ces changements auront évidemment des conséquences déterminantes en termes de Santé au travail et de Prévention des risques professionnels.

Toutes les composantes du vaste chantier qui vient de s’ouvrir ne figurent évidemment pas dans l’exposé qui précède : ainsi, par exemple, la réflexion sur le concept d’« aptitude », le handicap et le maintien dans l’emploi (ou « en emploi »), la mise en œuvre de l’évaluation des pratiques professionnelles, désormais obligatoire pour tous les médecins, ou, dans un tout autre ordre d’idées, l’intérêt subit/suspect (?), inédit en France en tout cas, des compagnies d’Assurances et autres Mutuelles pour la Santé au travail, considérée ouvertement comme un nouveau marché[1], font partie des sujets qui mériteraient des développements spécifiques.

La réforme de la Santé au travail, issue pour l’essentiel des textes législatifs et réglementaires publiés entre 2002 et 2004 et du Plan Santé au travail 2005-2009, avec ses trois cadres s’emboîtant à la manière de poupées russes (voir annexe), n’est en fait qu’un élément d’une transformation radicale du système. Elle s’inscrit de fait dans une politique véritablement « révolutionnaire » : au-delà de la Médecine du travail (« hier ») et de la Santé au travail (« aujourd’hui »), elle s’ouvre en effet désormais sur la Santé publique et la Santé environnementale (« demain »).

Ce « grand chambardement » ne vise pas à redonner vie à un système révolu mais à construire un système entièrement nouveau. Il n’aura évidemment de sens que si, par delà l’Etat, et en dépit de toutes les incertitudes énumérées précédemment, il amorce une dynamique à laquelle les acteurs de la Santé au travail accepteront de souscrire en abandonnant toute arrière-pensée partisane.

Consacré par la loi de modernisation sociale du 24 janvier 2002 et le décret du 28 juillet 2004, le passage de la Médecine du travail à la Santé au travail a constitué une étape marquante de l’évolution du système français de prévention des risques professionnels. Pour autant, celle-ci est loin d’être achevée : les multiples rapports publiés depuis deux ans en témoignent de façon surabondante. Leur nombre et la diversité des thèmes qu’ils abordent, de l’évaluation de la réforme à la traçabilité des risques professionnels, de l’aptitude aux risques psychosociaux, en passant par la formation à la prévention et la pluridisciplinarité, prouvent à la fois l’importance du dossier, la complexité des questions à traiter, l’intérêt que lui prêtent les responsables politiques et… la nécessité de compléter une réforme pourtant toute récente.

Invités à choisir la voie qu’empruntera la préparation de cette « réforme de la réforme », les partenaires sociaux ont choisi celle de la négociation, sur la base du Document d’orientation remis par Xavier Bertrand, alors Ministre du Travail, au début de l’été 2008. Les thèmes abordés montrent que la transformation souhaitée est suffisamment profonde pour qu’on puisse parler non d’une simple réforme mais bien d’une véritable « refondation ».

L’aptitude, le financement, la gouvernance, pour ne citer que quelques uns des thèmes emblématiques à traiter dans les négociations qui viennent de s’ouvrir, sont des questions extrêmement sensibles, sur lesquelles les positions des Partenaires sociaux sont pour le moins contrastées, le passage de la Médecine du travail à la Santé au travail et l’ouverture de celle-ci vers la Santé publique et la Santé environnementale, introduite par le Plan Santé au travail 2005-2009, n’ayant manifestement été à ce jour, ni compris ni admis par certains d’entre eux.

Les négociations risquent donc d’être difficiles alors que le système, miné par le grand écart entre les exigences, énormes, posées par la réglementation actuelle, et les moyens, insuffisants et inadaptés, censés permettre d’y répondre, a besoin de disposer de nouvelles règles du jeu, donnant enfin aux Services de Santé au travail, investis de missions claires, à la hauteur des responsabilités qu’on leur attribue, la possibilité de répondre aux besoins de Santé au travail des entreprises, à commencer par les plus petites d’entre elles.

Le passage indispensable du simple respect de l’obligation réglementaire, qui a caractérisé trop longtemps la Médecine du travail, à la promotion de la Santé au travail, qui doit désormais être le cœur du système, nécessite un changement radical, clairement exprimé dans le rapport Conso/Frimat/IGAS, à savoir le passage d’une logique de moyens à une logique de résultats.

Puissent les « cris et chuchotements » actuels autour de la Santé au travail être bien annonciateurs de l’équilibre et de la sérénité dont le système a besoin le plus rapidement possible pour fonctionner avec toute l’efficacité qu’on est en droit d’en attendre.

Gabriel Paillereau

mai 2009

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