Comme prévu, la nomination surprise de Myriam El Khomri à la tête du Ministère du Travail a provoqué un grand nombre de commentaires, y compris dans son propre camp, où certains s’interrogent sur sa capacité à diriger un tel navire : « [Cette nomination], c’est n’importe quoi », aurait déclaré un député PS à l’AFP sitôt sa nomination rendue publique ; « Elle ne connaît rien à ces sujets ». On trouve le même « son de cloche » dans la presse, le quotidien Ouest-France pointant le caractère « déroutant » du choix de François Hollande et de Manuel Valls.
Que faut-il en penser ?
Une chose est sûre : adeptes (re)connus de la Méthode Coué, ils doivent être à peu près les seuls à croire à leur propre discours :
– « C’est une femme d’expérience qui a réalisé un travail de grande qualité auprès de Patrick Kanner depuis août 2014 ».
– « Elle a parfaitement rempli sa tâche avec le souci d’être toujours en prise avec le terrain et à l’écoute et en dialogue avec les citoyens ».
– « Elle incarne la jeunesse, une nouvelle génération et le renouvellement au sein du Gouvernement ».
– « Elle connaît parfaitement les politiques de l’emploi sur le terrain, qu’elles soient en direction de la jeunesse ou des quartiers ».
Même si ces « qualités » sont le reflet de la réalité, elles doivent être sérieusement relativisées :
– son « expérience », dans un simple Secrétariat d’Etat, n’atteint même pas un an.
– remplir sa tâche, « en prise avec le terrain et à l’écoute des habitants de quartiers défavorisés », n’a strictement rien à voir avec la mission qui lui est dévolue.
– la gravité de la situation de l’Emploi n’est-elle pas suffisante pour que l’exécutif s’interdise de procéder à un bricolage irresponsable fondé sur le seul prétexte de la « jeunesse » et du « changement de génération » ?
– prétendre que Myriam El Khomri « connaît parfaitement les politiques de l’emploi sur le terrain », quand celui-ci se limite à quelques quartiers, relève de la supercherie.
Tout se passe comme si le fait d’être une excellente élève en maternelle était un titre de gloire suffisant pour passer directement en normale sup ! Ou que, d’un seul coup, un footballeur jouant dans un championnat départemental se trouvait propulsé à la tête de l’attaque du PSG ou du Barça !
Nous ne sommes ni dans une cour de récréation ni sur un terrain de football !
Les sujets à traiter sont trop graves pour qu’on ait le droit de prendre de tels risques, quelles que soient les qualités intrinsèques de notre nouveau Ministre du Travail, « une femme talentueuse » selon Manuel Valls.
Trop graves et pourtant nos Dirigeants l’ont fait, ce qui signifie que les raisons profondes de leur choix sont ailleurs.
Où ? Dans sa « jeunesse », c’est vrai, non au sens présenté par ses « protecteurs » mais au sens d’inexpérience, ou, pour être plus précis, au sens de ce que certains ont déjà qualifié de « manque de surface politique », qui en fera nécessairement l’exécutante docile d’une politique dont elle n’aura pas la maîtrise puisqu’elle sera décidée ailleurs, à l’Elysée, à Matignon ou à Bercy…
Notre toute neuve Ministre du Travail, placée au milieu d’un jeu de rôles, ne pourra guère, sauf miracle, être mieux qu’un prête-nom.
Si, par chance, le chômage recule, alors qu’elle ne disposera pratiquement d’aucun moyen d’y contribuer personnellement, ce sera tout bénéfice pour ses « sponsors », et, accessoirement, pour elle. Sa promotion au sein du PS sera la récompense de son « sacrifice ».
Si, comme on peut le redouter, le chômage continue à progresser, elle servira de bouc émissaire et rejoindra le camp de ces espoirs projetés trop tôt au plus haut niveau et dont on aura brûlé prématurément les ailes… Mais, compte tenu de sa jeunesse, elle aura tout le temps de se refaire une santé.
Le pari est osé et relève d’un incroyable cynisme, comme si le succès de la lutte contre le chômage pouvait se jouer à pile ou face…
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 3 septembre 2015
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PS : il va de soi que le commentaire qui précède vaut aussi pour la Santé au travail. Confirmation (ou non) de sa justesse lors de la prochaine Conférence Sociale ! Et à l’occasion de la reprise des travaux du COCT. On saura alors exactement quelle politique le Gouvernement entend suivre et quelles sont les marges de manœuvre de notre toute nouvelle Ministre.
Pour une approche « décalée » des missions confiées à Myriam El Khomri et de ses chances de réussite, on pourra lire Les six conseils de « Libé » à Myriam El‑Khomri, article publié hier sur le site de Libération, et Ministère du Travail : les deux atouts de Myriam El Khomri, article publié aujourd’hui sur le site du Point, dans lequel on peut lire qu’Alain Vidalies n’a pas été choisi parce que « suspect de compétence », et que, à l’inverse, Myriam El Khomri, « charmante, ce que n’était pas son prédécesseur, [elle] n’a surtout aucune compétence en matière d’emploi ou de relations sociales. Elle est donc parfaite. »
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