Investir dans le bien-être au travail favorise la réussite de l’entreprise

« Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes », affirmait Henry Ford. Florent Bonnel, consultant chez Merlane, explique pourquoi l’entreprise doit croire dans ses salariés et miser sur leur bien-être au travail.

Deux ans se sont écoulés depuis le plan d’urgence contre les risques psychosociaux en entreprise. Devrait paraître en ligne, dès ce mois-ci, un guide à destination des entreprises qui, selon le Ministre du Travail, Xavier Bertrand, «  revient dans les détails sur les principales étapes pour arriver au plan d’action antistress ».

Les risques, le stress, la violence. Avons-nous affaire aux bonnes entrées pour une évolution de la qualité de vie au travail ?

« Vous faites quoi dans la vie ? ». Le travail est un point de référence qui occupe une place primordiale dans la vie de chacun. Pas uniquement rémunérateur, mais aussi source d’épanouissement personnel et d’insertion dans un collectif, il est à l’origine du meilleur comme du pire, et ce à différents niveaux : individuel, collectif, sociétal, économique. Personne ne niera que le travail est complexe, multiforme, en évolution permanente, et particulièrement dans le contexte changeant des dernières décennies. Des forces combinées, telles que l’impératif de développement, la mutation technologique liée à l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), l’intensification de la concurrence, une orientation plus « libérale » de la pensée ont une incidence sur la place de l’homme au travail, poussant les entreprises, les Etats et les systèmes de sécurité sociale à s’adapter.

Au prisme de ces changements, les préoccupations sur la santé, la sécurité physique et psychologique, la qualité de la vie et le bien-être des salariés dépassent le seul cadre des questions de santé publique : il y a des enjeux humains et macro-économiques que l’entreprise, à son échelle d’action, doit prendre en considération.

Entre les chocs médiatiques, l’effet de simplification qui s’y associe et l’observation de la dégradation d’indicateurs de santé et de sécurité au travail, se constitue la nouvelle classe des « risques psychosociaux ». Vocable qui vient, dans un amalgame, unifier les expressions de la souffrance au travail et désigner autant les risques que les troubles, parasitant ainsi ce qu’il devrait rendre plus lisible. Dans de nombreux discours et aux vitrines des libraires, le travail en revient au « tripalium » : objet de peur et de souffrance, alors que dans le même temps, le baromètre du bien-être et de la motivation (Accor Services/Ipsos) indique que l’ambiance de travail ou les conditions de travail satisfont près de 70 % des salariés.

L’intérêt porté à la santé et à la sécurité au travail est durablement installé dans le paysage économique. Sans aller jusqu’à évoquer les considérations hygiénistes du XIXème siècle, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) existe depuis 1973 et les premières recherches sur l’importance de la qualité du climat psychologique sur le comportement et la performance des travailleurs datent de 1932 (Elton Mayo). Depuis sa création, en 1946, la Médecine du travail a beaucoup évolué, autant que les préoccupations en Santé au travail liées aux évolutions du monde du travail.

Depuis le siècle dernier, l’entreprise a changé et elle évoluera encore, autant dans les pratiques de ressources humaines, les modes d’organisation du travail, les styles de management que dans les relations des salariés à l’entreprise. Il émerge aujourd’hui un mode relationnel que l’on peut qualifier de « transactionnel », un souhait de « pied d’égalité » des salariés renégociable, instable, difficile à comprendre et à prédire. Le défi, déjà appréhendé par la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ou la responsabilité sociale des entreprises (RSE), est de mener la gestion des hommes non plus de façon « globale » mais négociée, avec des individualités dont les attentes sont forcément complexes et difficiles à mesurer. La qualité de vie au travail, le « bien-être » en entreprise fait partie intégrante de ce défi.

L’expression « risques psychosociaux » trouve son origine dans l’épidémiologie, l’observation d’une corrélation entre des facteurs de risques supposés homogènes et des pathologies variées. Ce positionnement s’accompagne du présupposé que cette pathogenèse trouve sa solution curative ou préventive en agissant sur les facteurs qui déterminent les troubles. Mais les réactions des hommes face à un facteur psychosocial de risque ne sont pas aussi systématiques que celles de ses poumons face à l’amiante. Il y a là un pas que franchit pourtant un modèle d’intervention linéaire, auquel se juxtapose la pensée d’un jeu à sommes nulles : réduire la présence de facteurs ou leur impact aurait pour effet de réduire la souffrance individuelle, et donc d’augmenter le bien-être au travail. Ce modèle a malheureusement peu de chances d’être durable. Nous défendons une autre logique.

Changer de paradigme, étudier les systèmes « in situ », prendre en compte la réalité macro-économique. Il s’agit d’accompagner le co-développement durable de l’homme et de l’entreprise. Le « bien-être » au travail est le fil qui relie les pratiques des ressources humaines, les modes d’organisation du travail et les styles de management, avec pour conséquence la performance individuelle, organisationnelle et économique de l’entreprise.

Le « bien-être » au travail » (ressentir bien plus d’informations positives que négatives dans sa situation de travail) est la résultante d’idées entre l’individu et la réalité perçue de son activité. L’amélioration continue de la qualité de vie au travail est un investissement au service de l’entreprise, de son organisation, de ses hommes, de sa performance globale, de sa réputation, de sa gestion du risque social. Alors que l’on peut penser comme conflictuel le désir individuel d’une part et le « désir de mobilisation de l’entreprise » d’autre part (l’individu entrant dans l’accomplissement du projet d’un autre), la qualité de vie au travail est le premier élément à animer pour permettre à l’individu d’être impliqué, et, n’ayons pas peur du mot « heureux ».

Travailler au cœur de la question humaine ne s’accommode par d’un savoir d’expert, mais procède d’une démarche qualitative. En effet, le « bien être » et ses conditions sont à définir de façon contextualisée. Seuls les collaborateurs d’une entreprise ont une réelle expertise sur le sujet. C’est sur cette base que peut se construire un plan d’action et une mise en œuvre aux « effets durables ». Ce qui signifie « stress » ou « réussite » et leurs déterminants entre un trader et un agent d’entretien, et plus encore, comme le disait Epictète, « ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur ces choses ».

Nul doute que l’aspect économique est central dans cette question de la qualité de vie au travail, le rapport Bien-être et efficacité au travail (Henri Lachman, Christian Larose, Muriel Pénicaud) rappelant cet enjeu. Malheureusement, on présente trop souvent un niveau général d’impact assez loin de la complexe réalité des préoccupations d’un chef d’entreprise : 20 à 50 milliards d’euros par an, entre 50 et 60 % des journées de travail perdues sont liées au stress en Europe. Le coût estimé du stress en France serait entre 830 et 1656 millions d’euros (INRS, 2000). Or, investir dans la qualité de vie au travail, ce n’est pas seulement produire un diagnostic des risques psychosociaux, un plan « anti-stress » ou des formations « gestion des risques psychosociaux ». Nous défendons l’idée selon laquelle l’amélioration continue de la qualité de vie au travail assure la rentabilité et la pérennité de l’entreprise. Cette réflexion doit être menée au cœur du « projet entreprise », avec en main les informations présentes et les indicateurs économiques permettant d’identifier le coût macro-économique du « mal-être » au travail. Il s’agit réellement « d’investir dans la qualité de vie au travail ».

« Les deux choses les plus importantes n’apparaissent pas au bilan de l’entreprise : sa réputation et ses hommes », affirmait Henry Ford. Portons la conviction que le « bien-être au travail » n’est pas à opposer à la réussite d’une entreprise, il en est une des sources. Mener ce projet avec cohérence, c’est enquêter auprès de tous les acteurs d’une entreprise, être au plus près de la réalité de chacun, souligner les sources de bien-être et de satisfaction pour l’homme au travail. C’est à dire animer le co-développement durable de l’homme et de l’entreprise.

Yann Le Galès

Le Figaro.fr

5 avril 2011