Trois hypothèses sont encore envisageables pour essayer de sortir de l’impasse de la loi El Khomri : poursuite du bras de fer, retrait du texte ou recherche d’un compromis, ou, dit autrement, méthode Valls, méthode Martinez ou méthode Hollande. Toutes présentent des risques majeurs : France en panne pour la première, Etat ridiculisé pour la deuxième, Loi vidée de sa substance pour la troisième, ce qui n’exclut évidemment pas que leurs effets puissent se surajouter si le conflit s’éternise…
Ces hypothèses sont à rapprocher de la suite des débats, au Sénat d’abord, à l’Assemblée nationale ensuite.
Sachant qu’elle ne pourra en aucun cas avoir le dernier mot, la majorité sénatoriale va probablement modifier de fond en comble le projet de loi qui lui a été transmis (400 amendements déjà déposés, 1000 prévus !), non pour revenir à la version initiale du Gouvernement mais pour en faire une sorte de manifeste de sa vision des dispositions propres à « instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », dans la perspective d’une alternance au sommet de l’Etat en 2017.
A ce stade, il apparaît difficile de prédire comment évoluera le titre V consacré à la modernisation de la Médecine du travail mais il sera très intéressant de suivre les débats car ils pourraient dessiner un futur cadre légal pour la Santé au travail dans l’hypothèse où la loi issue de la deuxième lecture par l’Assemblée nationale (si elle a lieu) serait jugée tellement insatisfaisante qu’elle nécessite d’être corrigée par la majorité à venir.
Pour l’heure, une seule quasi-certitude : même si les rôles sont aujourd’hui inversés, le résultat devrait être le même qu’en 2010, la présidence alternante des Services de Santé au travail interentreprises ayant peu de chances de survivre à son passage au Sénat.
Comme le texte qu’adoptera le Sénat et celui déjà adopté par l’Assemblée nationale seront très différents, il n’y a aucune chance que les membres de la Commission paritaire puissent s’entendre sur un compromis. C’est donc l’Assemblée nationale qui aura le dernier mot, à condition, répétons-le, que le texte ne soit pas purement et simplement retiré avant la deuxième lecture par les Députés.
C’est dès maintenant que la méthode Valls et la méthode Hollande sont mises à l’épreuve, officiellement dans cet ordre mais simultanément en réalité, Manuel Valls élevant le ton pour affirmer son autorité et François Hollande guidant selon toute vraisemblance en coulisse la réécriture des articles les plus contestés afin d’aboutir, le moment venu, à un texte probablement très éloigné de sa version d’origine mais susceptible d’être voté par une majorité de Députés sans même qu’il soit besoin de recourir au 49-3, certains membres de l’aile gauche du PS ne souhaitant pas être associés aux actions conduites par la CGT.
Si tel est le cas, on peut dès maintenant anticiper l’avenir des dispositions relatives à la Santé au travail, et plus particulièrement celles introduites au dernier moment, juste avant le recours au 49-3, au nombre de 16, à en croire le Président de la Commission des Affaires sociales du Sénat. Parmi elles, celle relative à la Présidence alternante, qui, du coup, prend un éclairage singulier : rejeté sans ménagement par Christophe Sirugue, Rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, l’amendement présenté par Gérard Sébaoun s’est finalement trouvé repêché in extremis sans même que ce dernier en ait été prévenu… Pour quelle raison ? Pour éviter d’avoir un opposant de plus dans les rangs de la majorité ? Sans doute. Pour disposer d’une monnaie d’échange avec les Organisations patronales ? Probablement. Mais l’explication n’est-elle pas plus complexe ?
Si incompréhensible en effet que puisse apparaître le raisonnement qui a présidé à ce choix, il est en réalité extrêmement logique. A condition naturellement, pour le comprendre, d’être un habitué du billard à trois bandes… et plus.
Ce sont les propos tenus par Michel Issindou qui donnent probablement la clé du « mystère ». Devant la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, s’opposant à l’amendement de Gérard Sébaoun relatif à l’alternance à la Présidence des Services de Santé au travail interentreprises, il indiquait : « Au cours des auditions que j’ai menées ces derniers temps, cette demande n’est jamais venue dans la bouche des organisations syndicales les plus représentatives. Je sais bien qu’elle est exprimée par un syndicat en particulier, que vous connaissez mieux que moi, monsieur Sebaoun. Mais, pour les autres, ce n’est pas le sujet du jour », ce qui n’avait pas manqué de me surprendre, compte tenu de l’attachement au paritarisme intégral que je sais être globalement celui des Organisations syndicales, même si toutes n’en ont pas toujours fait une priorité absolue.
Dans la mesure où Michel Issindou est manifestement très écouté depuis que son Rapport a été rendu public et a servi de support aux dispositions relatives à la Santé au travail contenues dans la loi Rebsamen, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que, sollicité pour imaginer des gages d’ouverture à destination des Députés de la gauche du PS, il soit parvenu sans difficulté à convaincre le Gouvernement d’intégrer cette disposition au projet de loi, donnant ainsi l’illusion de risquer de déplaire aux Organisations patronales, tout en sachant que, si elle devait être retirée par la suite, au cours de la deuxième lecture par l’Assemblée nationale, cette « pseudo-reculade » ne risquerait pas d’être considérée comme un cadeau aux Patrons et ne constituerait donc pas un « casus belli » pour les plus remuants de ses soutiens, politiques et syndicaux…
En clair, donner le sentiment de « faire une fleur » à ses alliés en durcissant en apparence le ton vis-à-vis des Organisations patronales, tout en ayant pour objectif non avoué, dans un second temps, de faire une fleur à ces dernières en renonçant à la disposition en question, sans avoir à redouter d’effet boomerang de la part des premiers…
Politique fiction ou non ? C’est en tout cas selon moi ce qui pourrait expliquer l’assurance affichée par certains représentants des Employeurs, qui semblent considérer la Présidence alternante comme étant déjà mort-née…
Son introduction dans le projet de loi issu du 49-3 ne serait-il donc qu’un coup de bluff… ?
En revanche, le discrédit qui en résulterait serait, lui, une bien triste réalité.
Réponse dans les prochains jours !
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 30 mai 2016
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