Myriam El Khomri, Ministre du travail, a présidé, aujourd’hui 8 décembre, la réunion du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) ayant pour objet d’adopter le troisième Plan santé au travail couvrant la période 2016-2020.
On trouvera en pièce jointe le texte intégral de ce Plan, que je commenterai dans un prochain article.
Pour l’heure, je me contenterai de « disséquer » le discours de notre Ministre du travail, fort instructif au demeurant, non pour les flatteries de circonstance à destination des Partenaires sociaux qui en constituent l’entrée en matière ni pour les idées « tarte à la crème » qui l’émaillent mais pour la présentation de la réforme de la Médecine du travail telle que l’envisagent les Pouvoirs publics.
Je m’en tiendrai donc aux passages qui traitent de l’avenir du système de Santé au travail, reproduits ci-dessous en caractères italiques :
« … Vos travaux sont précieux : ils contribuent à notre réflexion collective, et à ce que nous construisions ensemble une véritable vision de ce que doivent être la santé au travail et les conditions de travail des salariés dans notre pays.
Ils sont aussi, de façon concrète, un élément clé dans les débats parlementaires – j’ai à l’esprit vos discussions sur la médecine du travail, ou sur le burn-out. Ainsi, votre approche sur le burn-out, centrée sur la prévention, a été exposée par mon prédécesseur lors des débats sur la loi relative au dialogue social et elle a suffisamment pesé pour permettre qu’on ne bascule pas dans une approche qui soit à visée exclusivement réparatrice. »
En clair, les propos tenus par Madame El Khomri actent que la Santé au travail de demain devrait être construite en partenariat avec les Partenaires sociaux, avec une « véritable vision », ce qui serait effectivement une réelle nouveauté ! Et que leurs travaux sont (seront ?) « un élément clé dans les débats parlementaires », ce qui renvoie a priori non seulement aux débats qui ont accompagné la gestation de la loi Rebsamen mais encore à la perspective d’une nouvelle réforme du système empruntant elle aussi la voie législative, et non, comme certains le pensaient, la simple voie réglementaire, même si celle-ci devra naturellement suivre.
« Pour en venir au fond, je voudrais vous dire quelques mots sur le plan santé au travail, que nous lançons aujourd’hui officiellement, avant de vous dire quelques mots sur la réforme de la médecine du travail et sur le projet de loi que je porterai début 2016. »
C’est dit et écrit : la réforme de la Médecine du travail se fera bien à partir d’un « projet de loi ». On en connaît même le calendrier : début 2016, ce qui signifie probablement au cours du premier trimestre.
« Le plan santé au travail qui constituera la feuille de route du gouvernement va marquer une étape importante dans la politique de santé au travail en France. »
Autre information importante : le « Plan de Santé au travail 2016-2020 » est présenté comme « la feuille de route du Gouvernement », ce qui révèle un regain d’intérêt pour le travail des Partenaires sociaux, qui, rappelons-le, planchaient sur la question depuis plus d’un an ! On comprend mieux, à la lecture de ces mots de « reconnaissance », l’accueil très favorable qu’ils ont réservé au discours de Madame la Ministre…
« D’abord, parce qu’il marque un infléchissement majeur en faveur de la prévention. Tout au long de vos travaux, vous avez insisté sur la nécessité de privilégier la prévention à la réparation. Le PST 3 traduit cette orientation. Je la partage pleinement et sachez que je la porterai à chaque fois que la question se posera – je pense notamment aux débats parlementaires à venir. Car nous avons tout à gagner à une politique de prévention efficace qui anticipe les risques professionnels et garantisse la bonne santé des salariés : les salariés, d’abord, qui subiront moins de risques au travail, les employeurs, ensuite, qui conserveront un haut niveau de productivité de leurs équipes, et notre modèle social, enfin, qui sera moins touché par les coûts de la réparation. »
Trois « idées phare » dans ce paragraphe : la priorité donnée à « la prévention », la référence (une nouvelle fois) aux débats parlementaires « à venir », qui confirme le choix de la voie législative pour réformer le système, et l’intérêt d’une politique de Santé au travail anticipant les risques professionnels, avec l’inévitable référence au « haut niveau de productivité » et au « modèle social », expressions au caractère hautement symbolique dont la principale vertu est de faire plaisir à la fois aux Organisations patronales et syndicales…
« Deuxième innovation de ce plan : mettre en avant une approche positive du travail et non pas pathogène. Bien sûr, l’activité professionnelle nuit parfois à la santé des salariés – le gouvernement, qui a mis en place du compte personnel de prévention de la pénibilité, en est pleinement conscient. Mais le travail, c’est aussi un lieu d’épanouissement et d’émancipation pour l’individu. Et il nous faut porter cette vision positive et moderne du travail. »
Ce paragraphe mériterait assurément de longs développements que je ne pourrai mettre en forme ce soir. Il m’est impossible néanmoins de passer sous silence certaines « approximations » : tant mieux si l’on met en avant une « vision positive » du travail, mais, que je sache, celle-ci n’est pas à comparer à une « vision pathogène ».
Ce n’est pas l’approche du travail qui peut être pathogène mais le travail lui-même !
Admettre que le travail nuit « parfois » à la santé des salariés me semble une prise de position bien édulcorée par rapport à la réalité. C’est ce qu’on appelle un doux euphémisme car, à ma connaissance, ce cas de figure se présente plus que « parfois ». J’aurais préféré lire « trop souvent », formulation beaucoup plus réaliste…
Quant au travail, présenté comme « lieu d’épanouissement et d’émancipation » pour l’individu, j’aurais trouvé plus judicieux de le présenter comme une « activité » que comme un « lieu ».
Mais sans doute ce choix était-il commandé par le renvoi indispensable au « Bien-être au travail » et à la « Qualité de vie au travail ». Dommage ! Et la qualité du travail alors ?
Et il nous faut porter « cette vision positive et moderne du travail ». Vraiment ? En quoi cette vision est-elle « moderne » ? Cela fait des lustres que le travail vise à « construire » et construit effectivement la Santé. Je ne comprends donc absolument pas en quoi consiste ce fameux « modernisme »…
« Troisième caractéristique de ce plan, j’en ai déjà parlé, j’en redis un mot c’est le rôle particulier qu’ont joué les partenaires sociaux pour l’élaborer. Pour moi, c’est la meilleure garantie à la fois de son équilibre et de son appropriation par tous, donc de son efficacité. »
C’est tout pour le PST 2016-2020. Un mot important manquait dans le discours : Efficacité ! Il est le dernier cité : c’est celui qu’il faudra évidemment retenir en premier…
« Quelques mots, à présent, sur la médecine du travail. L’idée qu’une réforme est nécessaire n’est pas nouvelle, nous le savons tous. Le système actuel, qui ne garantit pas, en réalité, le suivi des salariés, ne peut satisfaire personne. »
Pas grand-chose à dire sur ce paragraphe destiné à faire plaisir à tout le monde, si ce n’est qu’une fois de plus, nous y sommes habitués, la Médecine du travail se substitue à la Santé au travail, qui lui a pourtant officiellement succédé depuis la loi de modernisation sociale de janvier 2002 !
« Je crois pour ma part que la médecine du travail a plus que jamais un rôle essentiel à jouer en matière de prévention. Il faut donc lui donner les moyens de mieux fonctionner en définissant un cadre rénové. L’objectif n’est évidemment pas moins de protection ou de suivi mais un suivi plus intelligent, plus effectif, par exemple en organisant mieux les adaptations du poste de travail, le reclassement ou en développant des modalités de surveillance spécifiques pour les salariés occupant des postes à risque. »
A travers ces quelques phrases passe-partout, parsemées de mots soigneusement choisis, on comprend le renvoi implicite à la dernière réforme, engagée par François Rebsamen sur la base du Rapport Issindou, utilisé comme « feuille de route » du Gouvernement pour faire évoluer le système français de Santé au travail. La suite confirme exactement cette impression, avec un brin d’hypocrisie, quand il est affirmé que ce sont des « péripéties de procédure parlementaire » qui auraient freiné la réforme…
Comme si ladite réforme avait bénéficié d’un large consensus, ce qui, nous le savons tous, est contraire à la réalité. Il suffit, pour s’en convaincre, de relire les nombreux articles et commentaires publiés (notamment) sur notre site à partir du mois de mai 2015…
« A la suite de la mission du député Issindou, de premières mesures ont été adoptées dans la loi du 17 août 2015. Mais je me suis laissé dire que des péripéties de procédure parlementaire ont empêché d’aller aussi loin qu’il avait été envisagé de le faire en lien avec vous. »
La suite est sans équivoque :
« Je souhaite que le projet de loi que je présenterai début 2016 soit l’occasion de remettre ce bel et nécessaire ouvrage sur le métier. »
« Bel et nécessaire ouvrage » ! Que la réforme soit un nécessaire ouvrage, c’est sûr, compte tenu des multiples lacunes de la précédente réforme ! Que l’on veuille qu’elle soit un bel ouvrage, nous ne pouvons que nous en féliciter !
Mais est-ce bien ce qu’a voulu dire notre Ministre ? Probablement pas, ses propos renvoyant manifestement aux conclusions du Rapport Issindou, ce qui change complètement l’appréciation à porter sur « l’ouvrage », tant ce Rapport mal ficelé apparaît incapable de donner un nouvel élan à un système à bout de souffle.
« Vous avez clairement affirmé que vous souhaitiez apporter vos contributions à cette réforme. Je réponds évidemment favorablement à cette proposition, pour creuser, compléter les pistes qui avaient été envisagées l’été dernier. Vos réflexions et travaux me seront plus que précieux ! Et je m’engage à une concertation approfondie pour préparer les travaux parlementaires. »
La suite ne laisse en fait aucun doute sur la volonté ministérielle de s’appuyer sur ce Rapport, en proposant de « creuser, compléter les pistes qui avaient été envisagées l’été dernier », faisant comme si ces pistes avaient été avalisées par les Partenaires sociaux, ce qui me semble être un gros mensonge…
Et ce qui pose parallèlement une sacrée question sur la véritable « feuille de route » de notre Ministre : le Plan de Santé au travail, comme annoncé plus haut ou le Rapport Issindou ? La confusion est totale entre les deux alors que, sur le fond comme sur la forme, les deux textes sont indépendants l’un de l’autre.
Le reste du discours, si on oublie la pommade destinée aux Partenaires sociaux, renvoie sans surprise à tous les sujets présents dans l’agenda gouvernemental depuis de longs mois, et notamment ceux examinés dans les Conférences sociales des trois dernières années :
« Les chantiers en matière de santé au travail et de conditions de travail sont nombreux et essentiels, vos travaux en témoignent. Ce sont des sujets concrets, qui parlent à tout un chacun, qu’il s’agisse de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, de la santé au travail, de la qualité de vie au travail, de la gestion des nouveaux outils numériques, etc. »
Ce dernier thème, « popularisé » par le récent Rapport Mettling, au cœur justement de la dernière Conférence sociale, annonce sans surprise une nouvelle loi, « ma loi », comme le dit notre Ministre :
« Certains d’entre eux – je pense en particulier au numérique – nous posent de nouveaux défis. Je souhaite que ma loi y réponde, notamment à travers l’affirmation d’un droit au respect de la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle, ce que certains appellent le « droit à la déconnexion », même si je pense qu’il faudra le formuler différemment. »
Après la « loi Rebsamen », nous aurons donc droit à la « loi El Khomri » !
La conclusion, destinée à rassembler en distribuant des bons points à tous et à chacun, n’apporte aucun élément nouveau :
« Les attentes des salariés, des employeurs sont fortes sur tous ces sujets. Pour y répondre, l’implication de tous est nécessaire, partenaires sociaux, instances, acteurs de terrain. Je sais que je peux compter sur vous : avec le plan santé au travail, vous avez fait la preuve de votre capacité à impulser des changements majeurs.
Le gouvernement sera lui aussi au rendez-vous. Vous pouvez compter sur moi pour « porter » ces sujets. D’abord parce que je suis aussi la ministre, pleinement, de ceux qui travaillent. Ensuite, parce que je suis convaincue que la performance d’une entreprise dépend aussi de la qualité du travail fourni, de son organisation, du fait que chacun se sente épanoui dans son travail. Enfin, parce que je suis profondément convaincue que le travail peut être un facteur d’émancipation et d’épanouissement, et que cela suppose un travail approfondi sur la santé au travail et les conditions de travail. »
Au final, que penser de tout cela ? A en croire le texte de présentation sur le site du Ministère, « préparé très en amont par les partenaires sociaux, ce plan a été unanimement salué par les membres du COCT, en particulier par les organisations syndicales et patronales qui se sont toutes exprimées pour en souligner le caractère novateur et prometteur. Il constitue une des réussites concrètes du dialogue social, par lequel de vrais terrains d’entente peuvent être trouvés et des avancées être faites en faveur des salariés comme des employeurs. »
Renseignement pris à la source, il semble que l’accueil des Partenaires sociaux ait effectivement été extrêmement favorable. Cela signifie-t-il de leur part une adhésion pleine et entière aux projets de réforme de la Ministre du travail ou simplement une volonté de ne pas nuire à l’indispensable rénovation du système ?
Disons plutôt qu’ils lui ont probablement accordé le bénéfice du doute en lui donnant acte de son engagement personnel, incontestable dans ce dossier.
Le mémorandum du Groupe Permanent d’Orientation (GPO) du COCT, « L’avenir des Services de Santé au travail et de la Médecine du travail », daté du 2 décembre, soutenu par l’ensemble des Organisations représentatives des Employeurs et des Salariés au plan national (à l’exception notable de la CGT-FO), n’est probablement pas étranger à un si large (et apparent) consensus.
Affaire à suivre très rapidement pour un décryptage complet, indispensable pour savoir qui, de la Ministre ou des Partenaires sociaux, tient le plus fort l’autre par la barbichette…
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 8 décembre 2015
Tous droits réservés
Pour accéder au texte intégral du PST 3 et au discours de Myriam El Khomri, cliquer sur les liens suivants :
Laisser un commentaire