Même si la procédure retenue pour son examen est la procédure d’urgence, il y a fort à parier que nous aurons l’occasion de traiter à nouveau abondamment de la réforme de la Santé au travail contenue dans l’article 44 du projet de Loi El Khomri, lequel article est, soit dit en passant, sans grand rapport avec le texte qui le porte, au point de se poser la question de savoir si l’on ne se trouve pas une nouvelle fois en présence d’un cavalier législatif…
Comme si la Santé au travail ne méritait pas qu’on lui dédie un texte spécifique ! C’est dire le grand cas que l’on fait, au plus haut niveau de l’Etat, des effets du travail sur la santé. Malheureusement fondée pour de nombreux responsables des partis politiques et de la haute administration, cette remarque vaut également pour certaines organisations patronales et… syndicales.
Je profite de l’occasion pour signaler la détermination de la CFE-CGC dans sa lutte contre les dispositions délétères concernant la Médecine du travail que recèle le projet de loi El Khomri. Une manifestation devant l’Assemblée nationale est ainsi prévue le 3 mai, à partir de 11 heures, alors que débutera l’examen en séance du projet de loi. J’aurai l’occasion d’y revenir ultérieurement comme je reviendrai sur les positions d’autres acteurs, parfois « surprenantes », pour ne pas dire totalement incompréhensibles.
Jamais dans le passé, sauf pour l’adoption de la loi de juillet 2011, la Santé au travail n’a, selon moi, été traitée avec pareil mépris.
On me rétorquera évidemment que ce propos est excessif et que, dans le contexte actuel, les propositions faites, qui ne font que transposer le Rapport Issindou, sont ce qu’il y a de meilleur et de plus adapté aux nécessités du moment. Comme si une fatalité s’était abattue sur notre pays, nous ôtant toute possibilité de corriger certains dysfonctionnements, parmi lesquels la pénurie de médecins du travail…
On ajoutera naturellement que, de surcroît, ce propos est corporatiste et marqué par une vision passéiste de la Santé au travail. C’est oublier que je suis, parmi les professionnels de la Santé au travail, l’un des premiers à avoir milité en faveur de la pluridisciplinarité, il y a près de 30 ans déjà !
Je reviendrai largement sur ces points dans les prochains jours, mais, dans l’immédiat, je tiens avant tout à donner à chacun des outils pratiques permettant de se faire une opinion sur la réforme en préparation, à partir des débats qui ont eu lieu dans le cadre de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.
Pour y parvenir, j’ai préparé deux documents originaux à visée didactique :
– le premier regroupe tous les amendements examinés, avec le « sort », généralement fatal, qui leur a été réservé. Il est ainsi possible, grâce aux repères visuels que j’ai placés à la fin de chaque ligne, de vérifier immédiatement la traduction des débats en termes d’adoption (ou non) des amendements, et, si nécessaire, de consulter le contenu de chacun. On notera qu’au total, seuls 21 amendements (sur 58) ont été adoptés par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, et, parmi eux, les 20 présentés par le Rapporteur lui-même ! Qui a dit qu’on n’était jamais si bien servi que par soi-même ? 11 n’ont pas été soutenus, 13 ont été retirés, 7 ont été rejetés, 5 sont tombés et 1 a été jugé irrecevable. Le seul à avoir échappé au « jeu de massacre » est l’amendement n° AS507 présenté par M. Sébaoun, M. Paul, Mme Chabanne, M. Robiliard, Mme Carrey-Conte, M. Cherki, M. Touraine et M. Prema…
– le second reprend l’ensemble des débats, en pointant, en vert, le seul amendement
(n° AS507, cité ci-dessus) que le rapporteur ait daigné accepter, en s’appuyant, il est important de le souligner, sur le « nihil obstat » de Michel Issindou (« M. Michel Issindou. Alors, c’est une excellente mesure ! M. le rapporteur. Je m’abrite donc derrière votre rapport et donne un avis favorable à l’amendement de M. Sebaoun »), et, en rouge, tous les amendements rejetés, en s’appuyant, cette fois, sur le refus de faire la moindre vague, à propos de la gouvernance des Services en particulier… (« M. Michel Issindou. J’ignore si je faisais partie des cosignataires en 2011, mais on ne peut pas imposer ce changement par un amendement, aussi intelligent soit-il. Au cours des auditions que j’ai menées ces derniers temps, cette demande n’est jamais venue dans la bouche des organisations syndicales les plus représentatives. Je sais bien qu’elle est exprimée par un syndicat en particulier, que vous connaissez mieux que moi, monsieur Sebaoun. Mais, pour les autres, ce n’est pas le sujet du jour.
Nous n’avons pas intérêt à rouvrir un débat sur la gouvernance, alors que nous avons déjà des difficultés à imposer une modernisation de la médecine du travail. J’ai d’ailleurs toujours dit que la réforme de 2011, qui a introduit la pluridisciplinarité, allait dans le bon sens, monsieur Accoyer, même si nous nous sommes parfois opposés sur d’autres points. Si nous adoptons cet amendement, nous allons déclencher une révolution au Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) et ailleurs. Cette question doit être discutée entre les partenaires sociaux. Il ne nous appartient certainement pas de la trancher. Nous sommes pour le dialogue et le partenariat.
M. le rapporteur. J’assume ma position. Je plaide pour que cette question soit traitée dans le cadre de la négociation. L’amendement étant maintenu, je lui donne un avis défavorable »), toujours avec l’appui de Michel Issindou. La présentation que j’ai choisi de faire des débats est le complément indispensable du tableau précédent ; elle permet en effet, grâce aux couleurs choisies (le rouge et le vert), de repérer d’emblée les 7 amendements rejetés et l’unique amendement adopté qui ne provienne pas du Rapporteur lui-même, et, si besoin est, de consulter également ces amendements à partir des liens que j’ai ajoutés, surlignés en jaune.
Je terminerai cet article en soulignant que, pour justifier leurs prises de position, le Rapporteur et ses soutiens n’ont pas lésiné sur l’emploi d’arguments que je qualifierai de bavards et de spécieux pour m’éviter d’utiliser des termes beaucoup moins courtois.
Mais il est vrai qu’habillage et babillage sont les deux mamelles de la désinformation…
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 21 avril 2016
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La conclusion de cet article renvoie, à quelques détails près, à l’article publié le 7 novembre 2012, dont je recommande vivement la (re)lecture :
Santé au travail, Conditions de travail, Qualité de vie au travail : le point de vue de Michel Sapin
Pour une bonne compréhension de ce qui précède, il est indispensable de se reporter aux deux documents dont les liens suivent :
Débats à la Commission des Affaires sociales, jeudi 7 avril 2016
Tableau récapitulatif des amendements à l’article 44 du projet de loi El Khomri
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