Comme annoncé dans un précédent article, « Santé au travail : Rapport d’information du Sénat sur la protection de la santé des travailleurs au Danemark et en Suède » , mis en ligne sur notre site le 3 juillet, j’ai demandé à un Professionnel suédois de très haut niveau, le Professeur Peter Westerholm en l’occurrence, d’analyser le Rapport du Sénat relatif à la Santé au travail au Danemark et en Suède.
Je le remercie vivement pour sa contribution, essentielle pour comprendre l’évolution du Système suédois de Santé au travail, qui ne peut être appréhendée uniquement à travers le Rapport des Sénateurs, très incomplet selon moi.
J’ajoute également que Peter Westerholm a été pendant de longues années l’un des responsables de l’Institut national suédois de recherche sur la vie au travail (National Institute for Working Life), « liquidé » en 2007, ce dont il ne pouvait évidemment pas parler dans son commentaire mais que je peux me permettre de rappeler ici, pour avoir vécu cet événement de très près, à titre professionnel et à titre amical.
Je terminerai en précisant que Peter Westerholm sera présent au prochain Colloque, « Manager la Santé au travail par temps de crise », qui aura lieu le mardi 18 septembre prochain. Je le remercie très vivement pour l’honneur et l’amitié qu’il me témoigne en acceptant de se déplacer de Stockholm pour cette manifestation. Je suis certain que sa parfaite connaissance de l’éthique en Santé au travail nous sera très précieuse tout au long de cette Journée.
Gabriel Paillereau
On trouvera ci-dessous les commentaires qu’il m’a adressés par courriel :
Mon Cher Gabriel,
A ta demande, j´ai étudié le Rapport sur la Santé au travail au Danemark et en Suède établi à la suite de la visite d’un Groupe de Sénateurs français au mois de mai dernier.
Il appelle plusieurs précisions de ma part :
- A l’actif de ce Rapport, j’estime qu’il est rédigé avec soin et donne globalement des informations relativement précises à des lecteurs qui n´ont pas participé à la visite.
Il comporte néanmoins deux zones d’ombre :
- La première concerne le fonctionnement de l´Inspection du travail, qui n´est pas explicité.
Il faut savoir que, tout au long des années 90, la Suède a cherché à orienter les tâches de l´Inspection du Travail vers l’inspection des systèmes de sécurité et de leur mise en œuvre, ce qui a conduit, sinon à remplacer mais tout au moins à réduire l´espace accordé aux inspections à caractère technique.
Pour asseoir juridiquement cette évolution – qui correspond effectivement à la mise en place d’une nouvelle stratégie -, l´Agence de l´Inspection du travail a établi une nouvelle réglementation intitulée « Systematiskt arbetsmiljöarbete (SAM) », ce qu’on peut traduire par « Gestion du travail systématique de l´Inspection de la sécurité et de la santé au travail », qui implique un renforcement du rôle et de la responsabilité de l´Employeur.
Dans ce cadre, il appartient à l´Employeur de s´occuper de tous les risques sur les lieux de travail dans son Entreprise, en relation notamment avec l’organisation du travail, et de les gérer de façon appropriée conformément aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.
C’est en soi un énorme problème.
Cette nouvelle responsabilité implique dans une certaine mesure une « auto-inspection ». En pratique, il y a bien renforcement du rôle et des responsabilités de l´Employeur puisque l’Inspection du travail donne la priorité à l’inspection du « système » plutôt qu’aux détails techniques, ceux-ci étant désormais du domaine des partenaires au niveau local.
Cette transformation, qui est d´une importance capitale, a échappé au groupe de Sénateurs. Mais pas entièrement. J’en veux pour preuve un détail (cf bas de la page 25 du Rapport) : dans le cadre de leur étude, ils ont visité Skanska, entreprise suédoise du bâtiment. Au cours de cette visite, une discussion sur les responsabilités et droits des salariés s’est ouverte avec un haut responsable de Skanska.
Selon lui, les mesures relatives à l’amélioration de la sécurité et de la santé sur le lieu de travail constitueraient une « faveur » (un « cadeau ») consentie aux salariés et non un « droit » auquel ils peuvent prétendre.
Il est intéressant d´observer que le Groupe de Sénateurs avait alors exprimé ses doutes et réserves. Réaction tout à fait justifiée de leur part car une telle affirmation, venant d´un haut responsable de l’Entreprise visitée, reflète une méconnaissance fondamentale du bien fondé d’une législation en matière de Santé et Sécurité au travail.
De fait, la transformation du système suédois a des implications que nous n’envisageons que partiellement. Les cibles visées par le nouveau système sont la qualité et l’efficacité, ce qui signifie bien entendu que la transformation engagée doit conduire à une amélioration de la Santé/Sécurité au travail, et, en tout cas, bénéficier de la confiance des travailleurs et des citoyens.
Ceci dit, il est clair que l’Inspection du travail ne peut laisser entièrement de côté les enjeux techniques, en particulier quand existent des problèmes de Sécurité. Il en va différemment pour la Santé, qui représente, elle, un domaine spécifique, à la fois plus étendu et plus exigeant.
Dans ces conditions, il apparaît légitime d’envisager un renforcement de la responsabilité de l’employeur afin de faciliter les prises de décision sur les lieux du travail, c’est-à-dire là où l’on se connaît et où l’on possède l’indispensable connaissance du « terrain ». Il en résulte un transfert des responsabilités de l’Inspection du travail mais ce transfert ne peut être que partiel car l’Inspection du travail doit conserver le pouvoir de faire des inspections à caractère essentiellement technique.
Il nous semble difficile en effet d’imaginer l’adhésion de l’Administration si l’Inspection du travail cesse de réaliser des inspections susceptibles d’avoir une incidence fiscale.
L’Inspection du travail doit avoir la responsabilité d’inspecter le système tout en conservant la possibilité d’aller en profondeur, jusque dans les moindres détails en cas de besoin.
Il faut également qu’à l’avenir, l’Inspection du travail soit dotée des pouvoirs et des ressources nécessaires à l’exercice de ses missions, ainsi que « de dents pour pouvoir mordre », si cela est requis ou s’avère nécessaire.
Se pose également une question de fond : quels sont les coûts induits par cette nouvelle politique et qui doit les payer, indépendamment bien sûr de la formation, qu’elle concerne les employeurs, les travailleurs, de l’inspection du travail ou des professionnels de la Santé au travail.
Je laisse de côté tout ce qui touche à l’évaluation : celle-ci « va de soi », étant donné les sujets et les enjeux qui nécessitent qu’on y ait recours.
Tous ces aspects de la transformation du système suédois n’ont certes pas été abordés lors de la visite des Sénateurs mais je suis convaincu que ces derniers ont pris conscience malgré tout des failles de notre système.
Nous en sommes nous-mêmes conscients, évidemment, tant la conception de l´approche systématique des risques sur les lieux de travail en vue de leur identification et de leur maîtrise est un enjeu considérable. Il nous faudra encore du temps, de l’expérience et de la formation pour mieux comprendre toutes les conséquences de cette innovation lancée dans les années 90. Il nous faudra évaluer cette nouvelle approche dans quelques années.
- La deuxième zone d’ombre est la suivante :
Dans le programme des visites du Groupe, était incluse une visite du Département de Médecine du Travail et de l´Environnement de l´Université d´Uppsala (dirigé par le Professeur Eva Vingård). Comme tu le sais, c´est dans ce Département que je suis associé en qualité de Professeur Emérite.
Je ne peux évidemment que saluer ce choix, notre Département étant effectivement un des Centres majeurs en matière de recherche et de formation académique dans le domaine de la Santé du travail. Ceci étant, il convient de noter que les Sénateurs n´ont rencontré aucun responsable d’Organismes ayant en charge la Santé au travail sur le terrain, à l’image des Services qui existent en France. Ils n´ont en effet pas été inclus dans le programme conçu pour le Groupe sénatorial.
En résumé, le programme en Suède préparé pour les Sénateurs français a été correctement conçu dans l’ensemble mais les Services de Santé au travail n´y ont pas été impliqués, ce qui est dommage, car, même si l’on comprend aisément la difficulté de concevoir un programme pour un Groupe et l’impossibilité de satisfaire les désirs de tous ses membres, ils auraient pu utilement contribuer aux échanges.
Peter Westerholm
Professeur Emérite
Université d´Uppsala
Département des Sciences Médicales
Médecine du Travail et de l´Environnement
Ulleråkersvägen 38 – 40
SE – 751 85 Uppsala, Suède
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