Vient d’être rendu public un Rapport d’information, enregistré le 13 juin 2012 à la Présidence du Sénat, sur la protection de la santé des travailleurs au Danemark et en Suède. Il est bien évidemment intéressant dans la mesure où les Pays scandinaves sont souvent cités comme exemples mais est-on bien certain que la Suède et le Danemark soient les meilleures références possibles ? De l’avis des observateurs, la Finlande et la Norvège apparaissent en effet bien plus en pointe aujourd’hui en matière de Santé et Sécurité au travail que leurs voisins danois et suédois…
Plusieurs extraits du Rapport révèlent des différences énormes entre les systèmes étudiés par la Commission des Affaires Sociales du Sénat et le nôtre :
« Une différence notable doit cependant être signalée dans le fonctionnement des mécanismes de prévention. En Suède et au Danemark, la médecine du travail n’intervient pas, comme c’est le cas en France, pour la prévention et l’adaptation des postes de travail. Activité privée, payée par l’employeur en dehors de quelques cliniques publiques spécialisées dans les cas les plus graves, la médecine sur le lieu de travail a surtout pour fonction de répondre aux urgences. Le suivi de la santé des travailleurs est assuré par leur médecin généraliste et les actions de prévention et d’adaptation des postes de travail sont menées par les délégués à la sécurité, les experts des syndicats et l’inspection du travail. »
Plus qu’une différence, c’est une divergence profonde que révèle le texte.
Un autre passage du Rapport est encore plus explicite :
II. PROTECTION DE LA SANTÉ ET VOLONTÉ DE MOBILISATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE
Le haut niveau d’attention dont fait l’objet la santé des travailleurs au Danemark et en Suède comporte une double ambiguïté : d’abord, s’agit-il réellement de la prise en charge des risques causés par le travail ou bien d’actions de santé publique menées dans l’entreprise ? Par ailleurs, ces actions sont-elles menées pour le bien-être des travailleurs ou pour augmenter la productivité ? Ces distinctions ne sont pas neutres. Elles sous-tendent des systèmes juridiques différents et fondent des visions du monde du travail et de l’avenir des travailleurs qui peuvent s’avérer incompatibles entre elles.
« A. SANTÉ AU TRAVAIL ET SANTÉ PUBLIQUE DANS L’ENTREPRISE
1. Une dilution de la responsabilité de l’employeur dans la responsabilité sociale ?
La délégation de votre commission a souvent eu l’occasion d’entendre, au cours de sa mission d’information, les employeurs, mais également les instances publiques, inspection du travail et centres de recherche, présenter la prise en compte de la santé et de la sécurité au travail comme étant de l’intérêt de l’entreprise. Ceci est incontestable, le coût des arrêts de travail et l’intérêt en termes de productivité d’un environnement de travail épanouissant étant connus de tous. Mais l’adhésion des employeurs aux initiatives publiques de promotion de la santé se fonde également sur la mise à l’arrière-plan de leur responsabilité s’agissant de l’état de santé du salarié. La santé peut ainsi être considérée comme étant principalement un problème individuel lié aux choix de vie. Le patronat danois estime ainsi que la majorité des troubles musculo-squelettiques constatés chez les salariés sont dus à des causes personnelles et au mode de vie sédentaire moderne plus qu’aux conditions de travail.
Le nouveau rôle de l’inspection du travail danoise dans le cadre de la stratégie 2020 du gouvernement illustre cette tension. Depuis janvier, dans le cadre de l’inspection, l’inspecteur propose à l’employeur de recevoir des informations sur le bien-être au travail. Mais, même si ces offres sont généralement bien accueillies, elles n’ont aucun caractère contraignant et l’employeur n’a pas l’obligation de mettre en œuvre les mesures préconisées. L’optique choisie est plus celle de la santé publique que de la santé au travail. En pratique, l’employeur est encouragé à mettre à disposition des salariés des moyens et méthodes afin d’améliorer son état de santé (au travers de la nutrition ou de l’activité physique par exemple) et à inciter l’encadrement à donner l’exemple. Ceci revient en fait à vouloir responsabiliser des salariés, chacun devant adopter les bonnes pratiques, d’autant que les moyens sont mis
à sa disposition.
Est alors intégré à l’entreprise un discours sur les niveaux souhaitables de performance physique. Après avoir cherché uniquement à diminuer les charges lourdes dans le milieu de travail, l’inspection du travail danoise s’emploie aujourd’hui également à renforcer la résistance physique des salariés dont les fonctions impliquent la manipulation de ces charges. C’est donc la capacité physique de l’individu sur laquelle on entend agir pour assurer qu’il sera capable d’assumer les contraintes physiques de l’emploi. Ceci peut légitimement apparaître comme une contrainte supplémentaire pesant sur les salariés. Des initiatives en apparence aussi sympathiques et porteuses de bien-être que la mise en place d’un quart d’heure de gymnastique quotidienne pour des assistantes ménagères afin de lutter contre les troubles musculo-squelettiques peuvent ainsi se transformer en source de stress si elles deviennent une contrainte réglementaire ou l’objet d’une pression sociale.
L’ambiguïté entre santé publique et santé au travail est renforcée par la volonté des autorités publiques de mener des actions de santé publique au sein des entreprises considérées comme un lieu privilégié de diffusion de l’information. »
Ce long extrait révèle une approche de la Santé au travail a priori incompatible avec la philosophie du système français actuel.
Alors ? Enseignements à en tirer ou non ?
Nous y reviendrons bientôt avec l’analyse de ce Rapport « franco-français » par un professionnel suédois, particulièrement bien placé pour apprécier les qualités et les défauts d’un système dont il a vécu personnellement les évolutions ces dernières années…
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE juillet 2012
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