L’article qui suit complète et enrichit la chronique mise en ligne le 18 avril 2012 sur le site d’actuEL-HSE, reprise hier sur notre site : Santé au travail : une réforme qui ne satisfait pratiquement personne.
A deux jours du premier tour des élections présidentielles, un constat s’impose : la Santé au travail a été pratiquement absente des débats, si l’on excepte plusieurs candidats, dont Eva Joly, qui a pris le temps de répondre à nos questions dans un courrier mis en ligne sur notre site : Santé au travail : Eva Joly répond à epHYGIE.
Pourquoi ce désintérêt ? Même si l’on doit admettre que d’autres sujets sont beaucoup plus importants et justifient pleinement la priorité que les responsables politiques leur accordent, il faudra bien malgré tout se poser cette question et tirer toutes les conclusions de ce mutisme, qui est en totale contradiction avec l’intérêt, parfaitement justifié mais parfois tapageur, que les médias portent à certains problèmes en relation avec le travail : stress, burn-out, suicides sur les lieux de travail…
Ne sont-ils pas l’arbre qui cache la forêt ?
Une chose est sûre : on ne pourra pas ne pas revenir sur la question après le deuxième tour des Elections présidentielles, et ce, quel que soit le Président qui sortira des urnes.
GP
Début 2011, la réforme de la Santé au travail semblait enterrée. C’est donc contre toute attente que, fin mai, l’annonce fut faite d’une loi avant l’été. « Vite fait, mal fait », comme je l’ai écrit à l’époque, une loi fut effectivement adoptée en juillet. Manquaient les textes d’application. Nouveau « prodige » avec la sortie, dans un délai record, des décrets d’application, publiés fin janvier 2012.
Loi du 20 juillet 2011 + décrets du 30 janvier 2012 = application au 1er juillet 2012.
Cela n’a pas empêché la Commission des Affaires Sociales de l’Assemblée Nationale d’adopter, dès le 7 mars 2012, un « Rapport d’information sur la mise en œuvre de la loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail » que nous avons largement présenté et commenté sur notre site dans un article intitulé La réforme de la Santé au travail vue à travers le Rapport d’Information de l’Assemblée Nationale : le ruban, la ficelle et la corde…! Et cela n’empêche pas non plus certains Services de Santé au travail, depuis plusieurs mois et même parfois beaucoup plus (c’est-à-dire avant même le vote de la loi), d’appliquer la « réforme de la Santé au travail », en dépit de la date d’application fixée par les textes et des multiples zones d’ombre qu’elle comporte.
Ombre ? Oui, ombre à tous les étages ! C’est en effet une bien curieuse réforme que nous nous préparons à vivre… Une réforme dont on se demande qui elle satisfait. Représentants des Employeurs et des Salariés, Services de Santé au travail, Professionnels, presque tous ont de bonnes raisons de la critiquer, même s’ils ne l’expriment ni avec la même vigueur ni avec la même chance d’être entendus…
Côté Organisations d’Employeurs, à de très rares exceptions près, on éprouve « une satisfaction discrète ». Or, objectivement, les nouveaux textes épousent très largement leurs vœux en se calant sur les propositions du MEDEF, refusées par les Organisations syndicales fin 2009.
Ces dernières, précisément, apparaissent aujourd’hui divisées sur le sujet : divisées entre elles à l’extérieur et parfois en interne également. Contre la réforme : la CFTC, la CGC et la CGT-FO. Pour la réforme : la CFDT et la CGT, qui viennent de s’en expliquer dans un courrier commun publié dans le dernier numéro de la revue Santé et Travail. Oui mais… Pour ne donner qu’un exemple, la CGT du livre vient de rendre publique une position en contradiction avec la position confédérale. Le Groupement Sauvons La Médecine du Travail (SLMT), qui regroupe nombre de militants de la CGT, est, lui aussi, en total désaccord avec le National, comme le montre notamment son Communiqué n° 22…
Et les Professionnels ? Côté médecins du travail, le temps est rarement à la satisfaction, le plus souvent à la résignation, à la déception, voire à la colère. S’agissant de leurs Organisations représentatives, les points de vue exprimés par la CFTC, la CGC, la CGT-FO et le SNPST, soit quatre syndicats sur six, sont très clairs : en dépit de quelques avancées, la réforme est considérée comme n’apportant pas de réponse aux principales questions, aptitude en tête.
Même constat général du côté des IPRP, dont le statut n’a pas été amélioré par la réforme, même si le développement de la pluridisciplinarité, dont on doit se féliciter, ne peut que les satisfaire, ou du côté des Infirmiers en Santé au travail, qui ont vu disparaître la perspective d’un diplôme national au bénéfice d’une formation aux contours flous…
Et les Services de Santé au travail ? Du côté des Services autonomes, peu ou pas de réactions : il est vrai que les textes leur sont très favorables puisque, globalement, ils ne remettent pas en cause leurs pratiques actuelles. Du côté des Services interentreprises, alors que certaines dispositions de la loi ne réjouissent pas leurs responsables, en matière de gouvernance notamment, on a choisi de faire profil bas en espérant que rien ne vienne troubler des lendemains qu’on veut croire sereins.
Et l’Administration ? Peu de choses à en dire puisqu’elle est tenue au devoir de réserve. Et si certains de ses représentants, MIRTMO et Inspecteurs du travail, sont en désaccord avec la réforme, ils ne peuvent le manifester ouvertement puisqu’ils ont pour tâche d’encadrer sa mise en œuvre. Qui plus est, deux des principaux collaborateurs de la Direction Générale du Travail (DGT), Mireille Jarry et Hervé Lanouzière, viennent de la quitter pour des emplois dans le secteur privé, la BNP-Paribas pour la première, ERAMET pour le second.
On pourrait encore ajouter les positions du Conseil National de l’Ordre des Médecins et de certains Enseignants en Médecine du travail, tout aussi contradictoires ou contrastées, ou celles encore d’éminents juristes, comme Marc Véricel, pour qui « on peut donc craindre que ce soit, en quelque sorte, une loi pour rien »…
Et les Politiques ? Ce n’est pas la lecture des programmes des candidats à la Présidentielle qui nous éclaire sur leurs intentions en matière de Santé au travail puisque la question n’y est pratiquement pas abordée. Si l’on se fie à l’article de l’Express daté du 27 mars, « les candidats n’ont pas retenu le sujet de la santé au travail », et, selon l’étude faite par Sylviane Lauro et le dossier mis en ligne le 5 avril sur le site actuEL-HSE, seuls François Bayrou, Jacques Cheminade, Eva Joly et Jean-Luc Mélenchon l’auraient évoqué ! Quant aux « grands candidats », de toute évidence, soit la question est censée avoir été réglée, cas de Nicolas Sarkozy, et il n’y aurait pas de raison d’y revenir, soit elle sera traitée ultérieurement, cas de François Hollande, et il n’est pas encore temps d’en parler…
Il n’empêche que leurs positions posent problème.
S’agissant du candidat de l’UMP, considérer la réforme issue de la loi et des décrets comme une réforme « aboutie », alors que de plus en plus de spécialistes s’accordent à reconnaître son caractère « bâclé », relève de la supercherie.
S’agissant du candidat du Parti Socialiste, le problème est d’une autre nature. Dans les débats qui ont précédé le vote de la loi, les représentants du PS ont bataillé ferme. Alain Vidalies en particulier s’est signalé par des prises de position très claires, qu’il a confirmées à plusieurs reprises, notamment le 5 mars 2012, lors d’une réunion publique tenue à Bordeaux, à l’invitation de Michèle Delaunay, Députée PS de Gironde, Co-Rapporteur, avec Guy Lefrand, Député UMP de l’Eure et Rapporteur de la loi à l’Assemblée Nationale, du « Rapport d’information » cité plus haut, en affirmant : « Si nous sommes élus, nous remettrons en cause la loi et les décrets d’application. »
Et depuis, plus rien. Au point que, indépendamment du résultat des Elections présidentielles et des Elections législatives qui suivront, beaucoup s’interrogent aujourd’hui sur la politique de Santé au travail qui sera conduite demain : mise en œuvre de la loi et des décrets, ou pas ?
Faut-il voir dans cette « invisibilité » de la question un simple « oubli » ou un « outil » au service des stratégies de manipulation présentées dans « L’industrie du mensonge : relations publiques, lobbying et démocratie », livre de Sheldon Rampton et John Stauber réédité récemment ?
Faut-il y voir plutôt une conséquence de la lettre commune de la CFDT et de la CGT citée plus haut ? A moins que ce ne soit tout simplement l’expression des « priorités » évoquées dans mon avant-propos.
Quoi qu’il en soit, ceux qui croient à la Santé au travail doivent rester vigilants car le pire pourrait être que, quel que soit le Président de la République élu en mai, le cadre légal et réglementaire reste en l’état, avec une loi et des décrets inappropriés qui ne permettent pas de répondre aux besoins des salariés (pas plus d’ailleurs qu’à ceux des Entreprises)…
Et les salariés justement ? Tout se passe comme si la réforme prenait pleinement en compte leurs intérêts. On peut en douter, hélas.
Alors ? A quand une réforme de « la réforme de la réforme » ?
Gabriel Paillereau
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