A l’occasion des nombreux débats professionnels engagés au sein des établissements de santé, en particulier entre mi-2010 et mi-2011, suite à la mise en œuvre de la Loi HPST, et devant le constat de certaines tensions, de ressentis difficiles, voire d’un sentiment de perte de sens au sein des équipes des hôpitaux publics, le besoin est apparu de conduire une évaluation des nouvelles dispositions issues des réformes récentes, par un abord professionnel et tangible.
Cette démarche concrète pouvait compléter utilement les travaux confiés peu auparavant au Comité Fourcade, chargé d’assurer l’évaluation parlementaire prévue par la Loi.
C’est dans cet esprit que le Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé, M. Xavier Bertrand, a mis en place en juin 2011 une mission nationale, composée exclusivement de professionnels hospitaliers en activité dans les établissements, chargée d’organiser et de conduire une large concertation dans les territoires, avec les responsables médicaux, les directeurs, les cadres hospitaliers, afin d’évaluer avec eux la mise en œuvre des nouvelles modalités d’organisation interne et territoriale issues des réformes récentes, en particulier de la loi du 21 juillet 2009 Hôpital, Patient, Santé et Territoire (loi HPST).
Présentant notamment les relations entre Etablissements hospitaliers et ARS, le Rapport « Mission Hôpital Public » est d’un grand intérêt pour tous ceux que préoccupe l’évolution du système de Santé, y compris les acteurs et bénéficiaires de la Santé au travail, puisque, avec la loi du 20 juillet 2011, un pont a été établi entre Services de Santé au travail et ARS, via les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens (CPOM).
On relèvera ainsi, parmi les constats établis par ce Rapport, celui relatif aux relations (encore) complexes avec les autorités « de tutelle », reproduit in extenso ci-dessous :
5.5 CINQUIÈME CONSTAT- DES RELATIONS (ENCORE) COMPLEXES AVEC LES AUTORITÉS DITES « DE TUTELLE »
Le cinquième fait saillant concerne les relations entre hospitaliers et autorités sanitaires, que l’on appelle encore fréquemment « tutelles » même si le terme est impropre, singulièrement les Agences Régionales de Santé. La place majeure des ARS dans l’organisation sanitaire et médico-sociale aujourd’hui n’est ni à détailler, ni à contester tant leur présence, parfois leur ombre tutélaire, transparaît dans tous les débats auxquels la mission a pu prendre part.
5.5.1 LE MODÈLE A SUSCITÉ DE FORTES ATTENTES…
Vis-à-vis des Agences, l’attente des hospitaliers a été et reste particulièrement forte, en termes de cohérence générale mais aussi en termes d’impulsion, de régulation, d’arbitrage régional, de compensation des déséquilibres territoriaux ou inter-spécialités, de soutien aux projets, de soutien aux équipes. En considération des débats qui ont eu lieu à l’occasion du rapport Larcher ou de la préparation de la Loi HPST, on peut affirmer deux constantes :
- La crainte d’un modèle de type « AP-Régionales », évoqué depuis les années 1990 comme un système de « centralisation régionale » des hôpitaux publics sous une forme inspirée de ce qui existe à Paris, a toujours marqué les esprits des hospitaliers et les marque encore ;
- La mise en place des ARS était majoritairement souhaitée par les hospitaliers, envisagées comme intégratrices entre sanitaire et médico-social, entre ambulatoire et établissements, et comme chargées ab initio de valider une véritable stratégie régionale fondée sur des indicateurs sanitaires et médico-sociaux.
La question des relations entre les établissements et les autorités sanitaires est ancienne, pratiquement naturelle pour le monde hospitalier. Elle est apparue dans la plupart des réunions, permettant d’apprécier leur évolution. Nous pouvons évoquer ici un ressenti, fondé sur les remarques formulées lors des rencontres, non une analyse scientifique ou documentée. Toutefois plusieurs milliers de professionnels hospitaliers rencontrés dans une courte période de temps, souvent impliqués dans la conduite des institutions internes, et peu portés au discours polémique ou dogmatique, représentent un échantillonnage intéressant.
Au vu de la tonalité des débats régionaux, force est de constater que les ARS sont souvent perçues comme une nouvelle bureaucratie administrative, certes encore en phase de construction et/ou de consolidation, soumise à une très forte pression centrale et à des injonctions constantes.
Les équipes hospitalières ont le sentiment que leur sujet central de préoccupation est essentiellement financier et que leurs services internes sont majoritairement tentés par le contrôle, métier d’origine de diverses équipes composant les agences, plus que par la régulation en santé publique, la stratégie ou l’impulsion. Les circuits de décision internes aux agences apparaissent encore obscurs ou complexes aux acteurs de terrain – qui toutefois ne se donnent pas toujours les moyens d’éclaircir les choses. Mais l’identification des interlocuteurs habilités à trancher est majoritairement jugée difficile, la formulation des dossiers de demande très lourde avec des documents à produire comportant souvent plus de 100 pages ; les responsables hospitaliers s’interrogent sur l’exploitation de ces dossiers par les services des agences, sur leur plus-value dans le processus de décision, dossiers dont le retour est parfois difficile à apprécier ; les ARS ne sont cependant pas responsables de cet état de fait, qui correspond à une évolution nationale et préoccupante de la taille et de la fréquence des dossiers d’autorisation, d’évaluation, de renouvellement…
Les établissements ont généralement le sentiment que les délais de réponse des agences à leurs demandes sont longs, tandis que les sollicitations qu’ils reçoivent seraient de plus en plus souvent présentées comme « urgentes », nombre de méls demandant une réponse «par retour»…
Nos interlocuteurs dans les régions ont pointé la difficulté des échanges avec les échelons intermédiaires des Agences, et regretté le déplacement du « curseur partenarial » vers une tentation d’immixtion dans la gestion interne, en s’éloignant de l’accompagnement contractualisé.
Dans le même esprit, les responsables hospitaliers s’interrogent sur le décalage, qui apparaît à leurs yeux, entre l’incitation à adopter un management actif, moderne, déconcentré, fondé sur la conduite de projet, la qualité et la subsidiarité, destiné à rénover le service public hospitalier… et la construction de structures régionales de régulation qui semblent mettre en œuvre un modèle administratif classique, centralisé et hiérarchisé. La situation du DG d’ARS a été plusieurs fois évoquée, comme celle d’un responsable particulièrement sollicité et souvent difficile à atteindre du fait de l’étendue de ses obligations, mais aussi de son positionnement.
La perception des acteurs hospitaliers est donc assez critique : tentation d’intervenir dans la gestion interne, sollicitations nombreuses émanant des différents services des agences, parfois redondantes et sans coordination visible entre eux ; suivi complexe et peu compréhensible de multiples indicateurs, dont l’utilisation n’est pas toujours précisée et qui s’ajoutent aux sollicitations nationales ; masse considérable d’informations à fournir, dont l’utilisation réelle pose question ; multiplication des réunions et des déplacements de responsables déjà très sollicités par ailleurs, sans que ces démarches soient suffisamment décisives ou conclusives ; relations parfois perçues comme autoritaires ou exclusivement financières ; management des hommes parfois douloureusement ressenti ; caractère chronophage de ces évolutions. Un directeur exposait lors d’une réunion : « depuis ces nouvelles règles de relation, le président de CME et moi ne sommes plus maîtres de notre propre agenda ».
Le temps consacré aux sollicitations des services régionaux ainsi qu’à la régulation devrait être évalué à l’aune de la plus-value apportée au fonctionnement hospitalier, mais aussi de l’efficacité du système, afin d’adapter les méthodes mises en oeuvre.
Sont présentées en caractères gras les observations qui pointent des modes de fonctionnement qu’on préférerait ne pas voir s’étendre aux Services de Santé au travail…
Il est vrai que, pour l’instant, les relations entre SIST et ARS se résument à de simples avis…
Mais pour combien de temps ?
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE avril 2012
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PS : certaines des critiques formulées dans le Rapport ne sont pas sans faire écho à l’appel lancé par la Communauté hospitalière publique, en réaction à la Conférence de Presse de la Fédération de l’Hospitalisation Privée (tenue le 26 janvier 2012), appel dont le texte est accessible en cliquant ici
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