C’est avec une infinie tristesse que je viens d’apprendre le décès d’une des grandes figures de la Santé au travail de ces 20 dernières années. André Causse nous a quittés au terme d’une longue et douloureuse maladie, alors qu’il venait de fêter son soixante-dixième anniversaire. Il m’était apparu épuisé lors des derniers échanges que j’avais eus avec lui, tout récemment encore, à l’occasion de la nouvelle année.
Je garderai de lui le souvenir d’un homme sortant vraiment de l’ordinaire, un pur militant, comme l’avait souligné la revue Santé et Travail dans un article publié en avril 2007, André Causse, médecin du travail et militant, un pur Médecin du travail aussi, homme de culture, négociateur redoutable, maniant la dialectique avec ce qu’il faut d’intelligence et de roublardise, parfois aussi de mauvaise foi, il faut bien le reconnaître, pour créer des rapports de force favorables aux causes qu’il défendait.
Nous avons ainsi souvent eu l’occasion de nous affronter, en particulier lors des négociations conventionnelles, pendant toutes les années où, lui dans son rôle de chef de file de la CGT (et des Organisations syndicales dans leur ensemble), moi dans celui de responsable de la Délégation patronale, nous nous efforcions l’un et l’autre de faire progresser la Santé au travail.
Ce fut également le cas dans le cadre du Conseil Supérieur de la Prévention des Risques Professionnels, où nos positions respectives, a priori opposées, ont parfois été très proches, au point qu’un jour, prenant la parole juste après moi, il avait lancé devant une assemblée médusée : « je vais beaucoup vous surprendre mais, une fois de plus, je dois reconnaître que je suis d’accord avec Paillereau… »
Le fait est que, sur certains sujets importants, nous nous sommes de plus en plus souvent retrouvés sur la même ligne, ce que certains n’ont pas manqué de me reprocher avec violence. Ainsi, alors que la CGT a longtemps eu la réputation de ne jamais signer d’accord, il avait eu le courage de rompre avec cette prétendue tradition en s’inscrivant, après des discussions acharnées où il donnait généralement le « la » des positions intersyndicales, au premier rang des signataires des accords de salaires nationaux et des accords sur la réduction du temps de travail et la formation professionnelle continue dans les Services interentreprises de « Médecine du travail », appellation à laquelle il était viscéralement attaché.
Seule ombre véritable au tableau, l’échec de la révision de la grille conventionnelle des classifications en 2009. J’avais eu, à plusieurs reprises depuis, l’occasion d’évoquer avec lui l’annulation de l’accord signé par la CFDT et la CFTC, due à l’opposition unanime des Organisations syndicales non signataires. Il avait joué un rôle majeur dans cette annulation, ce qu’il ne reniait évidemment pas, tout en reconnaissant en privé que l’accord annulé n’était finalement « pas si mal », en comparaison avec l’accord de révision partielle signé en juillet 2013, applicable depuis le 1er janvier dernier…
Il avait fait de ce dernier une analyse d’autant plus détaillée que, ayant fait valoir ses droits à la retraite de l’APST-BTP-RP, Service professionnel du BTP de la Région parisienne, il disposait de beaucoup de temps pour continuer à défendre la Médecine du travail à laquelle il tenait tant, particulièrement dans le cadre du Groupement « Sauvons la Médecine du travail » (SLMT), dont il était une des chevilles ouvrières.
Réagissant à un article publié en octobre dernier, Bilan 2012 des Conditions de travail : peut-on croire les statistiques relatives aux Médecins du travail ?, il avait d’ailleurs signé un commentaire sur le site d’epHYGIE, dont il était un visiteur fidèle, commentaire venant s’ajouter, heureuse coïncidence, à celui du Docteur Michel Blaizot, Directeur du Service qui l’employait et Conseiller de la FFB, avec qui il avait « bagarré » professionnellement pendant de longues années.
Ce n’est pas un hasard si nos relations, depuis 25 ans, d’abord purement professionnelles, étaient progressivement devenues amicales, particulièrement ces quatre dernières années, tout au long desquelles mon épouse et moi-même avons pu apprécier son soutien sans faille, alors même que la plupart de nos « amis » préféraient jouer la carte de l’abandon, de la lâcheté et de la trahison.
Bon vivant, trop grand fumeur, amateur comme moi de bons whiskies, André fut toute sa vie un homme engagé, parfois excessif et brutal dans ses propos, toujours extrêmement sympathique, chaleureux et attachant, à l’image de sa région d’origine, le Languedoc, où il aimait se rendre pour profiter de la douceur d’y vivre, dégustant des huîtres de Bouzigues, accompagnées de vin blanc de pays (et Dieu sait qu’il y en a de bons) !, tout près du port de Sète…
Ce qui me fait dire, en m’adressant directement à toi – et tant pis si cela déplaît à ceux qui ne savent que défendre des « intérêts de chapelle » ! -, que tu vas énormément me manquer, nous manquer.
Nous serons très nombreux, j’en suis sûr, à t’accompagner dans ton dernier voyage.
En cette triste journée, que ton décès ne fait que rendre plus triste encore, je te dédie l’un des derniers articles publiés sur notre site, que tu avais particulièrement apprécié : S’il vous plaît, dessine-moi la Justice…
Un événement personnel survenu ce jour lui donne un relief tout particulier. Tu peux être certain qu’il n’altérera en rien notre détermination…
Avec toute notre Affection et notre Amitié.
Gabriel et Evelyne Paillereau
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A lire également les hommages rendus à André sur le site du Groupement SLMT et sur celui du SNPST (sous la signature de Gilles Arnaud) :
Merci à Gabriel Paillereau pour cet éloge funèbre du Docteur André Causse.
Comme il le signale, j’ai eu le redoutable privilège pendant 20 ans d’être le « patron » d’André Causse à l’APST-BTP. A ce titre, je peux et je dois souligner combien le témoignage d’estime et d’amitié de Gabriel Paillereau est justifié. J’en partage la teneur mesurée, amicale et attristée.