Formation Santé au travail : aujourd’hui la diététique, demain l’esthétique ?

On sait que le champ de la Santé au travail est vaste. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les Médecins du travail ne peuvent pas tout faire seuls, et, par là-même, ce qui justifie le recours à la pluridisciplinarité.

Un champ vaste ai-je écrit, mais jusqu’où ? Un Communiqué diffusé sur http://www.repandre.com/ vient de me l’expliquer et j’avoue avoir été estomaqué : j’ai en effet découvert qu’une « Formation Santé au travail sur la diététique » était maintenant disponible sur le catalogue de Demos, Société de formation on ne peut plus sérieuse.

Dans l’argumentaire qui présente la formation, on peut même lire que « Lors du Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas au début du mois de janvier, un Français a présenté sa nouvelle invention, la HapiFork, une fourchette qui permet de maigrir en ralentissant le rythme d’absorption des aliments. Si vous mangez trop vite, la fourchette se met à vibrer. En effet, mâcher plus longtemps et donc manger moins vite facilite la digestion et permet d’éprouver le sentiment de satiété tout en ayant moins mangé. Si vous ne parvenez pas à vous procurer cette fourchette vibrante, Demos, leader européen de la formation professionnelle, vous propose une formation santé au travail pour apprendre les règles fondamentales de la diététique. »

Ignare, je suis. Ignare, je vous dis. Non seulement je ne savais pas que la diététique faisait partie intégrante de la formation de base en Santé au travail, mais encore j’avais laissé passer cette autre information essentielle : un Français a inventé la « HapiFork », fourchette vibrante à visée diététique !

Heureusement, même sans cette dernière, il reste encore possible de maigrir grâce à Demos, qui a eu la bonne idée de pallier toute rupture de stock de cette merveilleuse invention en proposant une formation de substitution…

Oui, décidément, j’ai encore beaucoup à apprendre sur la Santé au travail et tous les marchés qu’elle peut aider à ouvrir, à commencer par celui des fourchettes sauteuses. Quand on sait à la fois les difficultés qu’a notre pays pour équilibrer sa balance commerciale et le nombre de personnes qui aspirent à maigrir, on se dit que l’affaire est juteuse.

A condition bien sûr que l’on puisse produire ces fourchettes en France à des prix compétitifs et que notre pays n’ait pas à souffrir une nouvelle fois de la mondialisation avec des importations massives en provenance de pays où, ironie du sort, on mange avec des baguettes…

On se dit également qu’il y a probablement bien d’autres domaines où pourrait se nicher la Santé au travail, domaines aujourd’hui inexploités ?

A quand par exemple une formation sur l’art de se maquiller ?

Tout bien réfléchi, ce n’est pas une bonne idée ; une jeune femme n’a-t-elle pas été licenciée récemment aux Etats-Unis parce qu’elle était trop sexy ? (Discrimination : licenciée car jugée trop « sexy » par son patron)

Je ne voudrais pas, sous prétexte d’ouvrir largement la Santé au travail, être à l’origine d’une vague de licenciements…

Quoi qu’il en soit, pour celles et ceux à qui j’ai mis l’eau à la bouche en leur livrant cette information, elle est accessible à partir du lien suivant : Une formation santé au travail sur la diététique

Sur ce, comme ma journée de travail s’achève, et peut-être la vôtre aussi, je souhaite bon appétit malgré tout à tous les autres, et, pour les aider à se remettre de cette édifiante nouvelle, je les invite à prendre un bon remontant !

Gabriel Paillereau

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2 Comments

Henri

Hello !

Deux réactions de ma part à ce billet :

– Dire : « On sait que le champ de la Santé au travail est vaste et que c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles les Médecins du travail ne peuvent pas tout faire seuls, et, par là-même, ce qui justifie le recours à la pluridisciplinarité » est faux. C’est au contraire continuer à confondre Sce de Santé et Travail et Médecine du Travail. La « pluridisciplinarité* » n’a pas été inventée en considérant la mission du MT mais celle du SST et même en réalité celle de la démarche de prévention de l’employeur mais à travers le SST (dont notre pays s’est évertué à faire croire qu’il était le Sce PPRP européen jusqu’à l’été 2012).

* notion franco-française inventée, en réponse laborieuse à la directive européenne 89/391/CEE, pour tenter de compenser la limitation historique de la « médecine du travail » par rapport à l’exigence de « Sécurité & Santé au Travail » à la charge des employeurs.

– Au-delà du gadget de la fourchette miracle qui va sauver les américains de l’obésité, ne pas comprendre que les problématiques comme celle de la nutrition puissent être une problématique de santé dans le monde des entreprises américaines, c’est oublier un peu vite les différences qu’il y a entre le système de sécurité sociale des USA et le nôtre. Ensuite, que cela donne des idées de prospections commerciales à Demos auprès des SST en projetant la situation américaine chez nous au point de proposer une formation à la diététique en termes de « santé au travail » ne justifie à mon avis pas un tel billet, Gabriel. L’indifférence.

Il est des questions de SST plus importantes que de réagir aux fourchettes américaines ou au catalogue de Demos, je crois. Bye.

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g.paillereau

Je suis tout à fait d’accord sur le fait que l’introduction de la pluridisciplinarité ne repose pas uniquement sur l’impossibilité pour les Médecins du travail de couvrir seuls le champ de la Santé au travail. On ne peut pas pour autant prétendre que ce soit faux, car c’est bien une des raisons qui ont prévalu dans notre pays, eu égard à l’orientation médicale qui avait été choisie à la fin de la guerre, contrairement à ce qui s’était passé dans d’autres pays. Le fait que l’Administration et les Partenaires sociaux aient transposé la Directive de juin 1989 en considérant qu’il n’y avait pas lieu de créer des « Services de Santé au travail » au prétexte que la France en était déjà dotée à travers les Services de Médecine du travail montre clairement la différence d’approche selon les pays, différence dont nous n’avons pas à rougir dans la mesure où la Médecine du travail a permis, en France, un suivi de tous les salariés, ce que les systèmes en vigueur dans les autres pays d’Europe (Belgique mise à part), y compris ceux qu’on présente généralement comme des modèles, ont été incapables de réaliser. De là à dire que la pluridisciplinarité est une notion « franco-française », il y a un pas que je ne franchirai pas car ce serait oublier que la notion de Santé au travail, avec l’ouverture à la pluridisciplinarité, vient d’une Convention et d’une Recommandation de l’OIT, au milieu des années 1980. L’Europe, à travers la Directive, n’a fait qu’en reprendre l’idée, et la France, dans sa transposition, à la fois maladroite et incomplète, à travers la loi de décembre 1991, n’a fait qu’exprimer le sentiment, tout à fait fondé à l’époque, que son système n’avait rien à envier à ceux des pays voisins.
Une chose est sûre : aujourd’hui, la double approche, médicale et technique, est absolument indispensable.
S’agissant de votre deuxième remarque, je suis parfaitement conscient des différences entre les Etats-Unis et la France : et c’est pour cela que je tiens à attirer l’attention sur des « innovations » qu’on nous présente comme étant des « avancées » alors que ce sont en réalité des « reculs » par rapport à l’existant. L’indifférence en la matière est synonyme de caution, et j’estime qu’il vaut mieux le dire. Ce qui ne signifie pas que d’autres questions ne soient pas plus importantes, j’en conviens. Mais gare justement à ce que, par des propositions « marketées », on ne cache pas l’essentiel, ou, dit autrement, veillons à ce que l’arbre ne cache pas la forêt…
Alors oui, les « fouchettes sauteuses » sont amusantes mais elles sont surtout inquiétantes pour le message qu’elles véhiculent.

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