J’avais conclu mon précédent article, consacré au Plan Santé au Travail 2016-2020, par une référence au mémorandum du Groupe Permanent d’Orientation (GPO) du COCT, « L’avenir des Services de Santé au travail et de la Médecine du travail », en précisant qu’il n’était « probablement pas étranger » au consensus des Organisations représentatives des Employeurs et des Salariés au plan national (à l’exception de la CGT-FO) autour des propositions présentées dans son discours par la Ministre du Travail.
Ce document n’ayant alors fait l’objet d’aucune diffusion, j’avais choisi de ne pas le mettre en ligne sur notre site. Comme on le retrouve depuis cette nuit dans certaines listes de diffusion, je me permets de le publier à mon tour car il donne un éclairage tout à fait nouveau sur la réforme à venir.
Je livre aujourd’hui ce document à l’état brut mais je ne manquerai pas de le commenter dans les prochains jours dans la mesure où il permet de répondre à certaines des questions posées dans mes précédents articles et où… il soulève de nouvelles questions.
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 10 décembre 2015
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Pour accéder au mémorandum du GPO du COCT (2 décembre 2015), cliquer sur le lien suivant :
L’avenir des Services de Santé au travail et de la Médecine du travail
Merci d’avoir mis en ligne le mémorandum du COCT.
Malgré son flou si caractéristique des pseudo-consensus « paritaires » et des nombreuses ambiguïtés qu’elle laisse apparaître, la position quasi unanime des partenaires sociaux paraît moins arrêtée et plus souple qu’on ne pouvait le craindre.
Ce mémorandum m’inspire quelques réflexions :
1) Le titre fait allusion à l’avenir « de la santé au travail et de la médecine du travail ». Cette formulation est reprise plusieurs fois dans le corps du texte. Elle laisse penser qu’aux yeux des signataires, la médecine du travail n’est pas entièrement « soluble » dans la santé au travail et garde une certaine identité propre. En outre, le texte recommande explicitement une « approche équilibrée » entre les deux missions des SST, les actions préventives sur le milieu de travail et le suivi médical individuel. Si cette interprétation est la bonne et si l’administration la fait sienne, elle laisse un petit espoir de voir la raison enfin prévaloir.
2) Les signataires réaffirment leur souci du développement de la prévention primaire, notamment « en direction des TPE/PME ». Mesurent-ils bien les difficultés et les contradictions de cette orientation ? Sont-ils conscients que le seul préventeur qui pénètre dans ces entreprises est le médecin du travail et qu’il ne parvient à le faire que du fait des visites médicales obligatoires ? Supprimer les visites d’embauche, passer à cinq ans la périodicité des examens médicaux périodiques, c’est abandonner les TPE/PME. L’action de l’équipe pluridisciplinaire en prévention primaire n’y est possible qu’à travers un suivi médical individuel contraignant. D’autant que, comme souligné dans un autre commentaire sur epHYGIE, l’intervention des IPRP des SST reste suspendue à la bonne volonté de l’employeur, qui n’a aucune obligation d’y faire appel.
3) Les partenaires sociaux disent vouloir lutter contre l’insuffisance de la ressource médicale. L’intention est louable mais comment y parvenir ? Cette insuffisance a deux composantes : la pénurie de médecins liée à 30 ans de numerus clausus irresponsable de la part de l’Etat et la faiblesse des vocations de médecin du travail (en 2015, à l’entrée de l’internat en médecine du travail, 80 places sur 184 sont restées vacantes faute de candidats). Espérons que les signataires prendront conscience que les propositions du rapport Issindou ne peuvent qu’aggraver cette seconde composante. La perspective, après 10 ans d’études médicales, de tenir une fonction, honorable certes, mais qui peut être exercée par un bac + 2 ou 3, et ce, sans espoir de reconversion possible vers la médecine générale ou une autre spécialité, en cas de déception, me paraît rédhibitoire.
4) « Il convient d’adapter les conditions de suivi individuel de l’état de santé des salariés aux risques professionnels encourus. Les visites d’aptitude réalisées à l’embauche doivent être tournées vers cet objectif. De même, le suivi périodique doit permettre de prioriser les salariés qui en ont le plus besoin ». Je me réjouis de cette orientation, claire et pertinente. Personnellement, je n’ai cessé de défendre depuis le début des années 2000 (introduction de la pluridisciplinarité) l’idée que, face à la pénurie de temps médical, il fallait choisir franchement le maintien de la qualité du suivi médical individuel en restreignant le périmètre de la population surveillée sur le critère des risques professionnels encourus (ce qui n’est pas exactement superposable aux SMR). Ce n’est pas le choix de 2004, ni celui de 2011, ni celui du rapport Issindou. Mais soyons attentifs aux modalités de mise en œuvre de cette orientation. Quels risques ? Qui en décide ? Le récent article L 4624-4 semble heureusement prévoir la publication de décrets. Il appartient en effet à l’Etat, en fonction des statistiques de sinistralité, de déterminer quels risques justifient un suivi médical et comment ce dernier doit être assuré. Il existe suffisamment d’institutions ayant l’expertise nécessaire pour pourvoir à cette nécessité.
Par ailleurs, cette phrase semble défendre la détermination de l’aptitude au moins à l’embauche, ce dont je ne peux que me féliciter.