La Réforme de la Santé au travail à la lumière des élections sénatoriales : OK ou KO ?

J’ai fait partie de ceux, plutôt rares, qui ont suivi au jour le jour la « saga » de la réforme de la Santé au travail, et se sont interrogés sur le pourquoi et le comment des choses. Le renouvellement du Sénat me donne l’occasion d’y revenir, tant la réalité semble hélas conforter le scénario que j’avais présenté.

Retour en arrière à partir d’extraits de quelques-uns des articles qui ont jalonné un début d’été plein de rebondissements…

Dernière minute : fenêtre législative en vue pour la réforme de la Santé au travail (article mis en ligne le 28 mai)

Une grande effervescence vient de saisir le petit monde de la Santé au travail.

La raison ? L’annonce, par Monsieur Bruno Dupuis, Chargé des questions de Santé au travail au Cabinet de Xavier Bertrand, de l’existence d’un créneau législatif, le 27 juin prochain, pour l’examen, par les Députés, de la proposition de loi du Sénat relative à la réforme de la Santé au travail.

Cette annonce, faite hier dans le cadre des 31èmes Journées de Santé au travail du BTP, a été relayée très officiellement en cours de matinée par Monsieur Daniel Lejeune, Secrétaire Général du COCT.

Réforme de la Santé au travail : analyse et commentaires (première partie) (article mis en ligne le 5 juin)

Des informations dignes de foi nous ont même permis d’apprendre que mercredi, c’est-à-dire deux jours avant l’annonce faite par Bruno Dupuis, la perspective d’un examen du texte avant l’été était apparemment exclue.

Alors ? Que s’est-il donc passé entre mercredi et vendredi qui ait pu justifier un tel revirement ?

Réforme de la Santé au travail : la proposition de loi expédiée vite fait mal fait… (article mis en ligne le 30 juin)

Si l’on en croit les échos qui nous sont parvenus au cours de l’après-midi, tout serait déjà en ordre pour que le Sénat vote illico la proposition de loi dans les mêmes termes et que soit évitée ainsi la réunion d’une nouvelle Commission mixte paritaire, ce qui permettrait une promulgation de la loi dès la fin du mois de juillet.

La réforme de la Santé au travail entre arrangement, trompe l’œil et marché de dupes (article mis en ligne le 10 juillet)

Une telle célérité mérite quelques explications.

L’annonce de l’examen de la proposition de loi avant l’été avait beaucoup surpris. Le fait qu’elle ait été glissée in extremis dans l’Ordre du Jour de la Session extraordinaire, comme s’il s’agissait d’une question d’une extrême importance, davantage encore. Preuve du caractère faussement urgent de ce texte aux yeux des Députés et des Sénateurs : le désert des travées au moment des débats, à l’Assemblée Nationale et au Sénat.

Une telle désaffection cadre mal avec l’importance et l’urgence affichées de l’examen du texte.

L’explication de cet apparent paradoxe se trouve de toute évidence dans le lobbying exercé par divers groupes de pression et la nécessité, d’ordre politique, de faire voter la proposition de loi dans les mêmes termes par les deux Assemblées (il fallait « un vote conforme », pour reprendre la terminologie en usage) avant l’automne, ou, pour être plus précis, avant le renouvellement du Sénat, qui, selon de nombreux observateurs, pourrait s’accompagner d’un changement de majorité…

Pour bien comprendre la signification de ce qui précède, il faut avoir à l’esprit que si le Sénat avait adopté ne fût-ce qu’un seul amendement, les textes votés par les deux Assemblées devenant alors différents, il eut alors été impossible d’échapper à une nouvelle Commission mixte paritaire, avec, à la clé, l’obligation de faire adopter un éventuel texte commun par chacune des Assemblées, autant d’exigences incompatibles avec l’exiguïté du trou de souris dans lequel on avait choisi de glisser l’examen de la proposition de loi…

On comprend parfaitement ce montage, d’une part, à travers la passe d’armes entre Guy Lefrand, Rapporteur à l’Assemblée Nationale, et son principal contradicteur, Alain Vidalies, d’autre part, à travers les propos de Guy Lefrand, d’Anne-Marie Payet, Rapporteur au Sénat, et de Xavier Bertrand lui-même, concernant l’historique de l’amendement relatif au dépistage de la drogue et de l’alcool.

Ce dernier exemple montre que tout a été fait pour que d’éventuels amendements du Sénat (en clair, ceux susceptibles d’être votés dans les mêmes termes par une majorité de Députés et de Sénateurs) soient intégrés au texte dès la lecture à l’Assemblée Nationale et qu’aucun « grain de sable » ne vienne a posteriori enrayer l’« arrangement » conclu pour obtenir l’indispensable « vote conforme », arrangement parfaitement légal, cela va de soi, mais qui révèle au grand jour les limites du débat démocratique.

On aura finalement eu droit à un jeu de rôles, l’issue des débats s’étant jouée par avance en coulisse lors de tractations plus ou moins discrètes mêlant responsables politiques, responsables patronaux et responsables syndicaux…

Réforme de la Santé au travail : la loi promulguée au JO du 24 juillet (article mis en ligne le 26 juillet)

La loi du 20 juillet réformant la Santé au travail a donc été publiée sans surprise au Journal Officiel du 24 juillet, plus rapidement encore qu’annoncé. La rapidité (voire la précipitation) est d’ailleurs ce qui frappe le plus aujourd’hui dans un dossier qui piétinait depuis plus de trois ans…

La réforme de la Santé au travail : une question de mise ? (article mis en ligne le 11 août)

Et encore ai-je omis d’en évoquer bien d’autres, comme la mise à prix, la mise à l’encan et la mainmise ; or, après réflexion, dans le désordre ambiant d’une sorte de super casino mondial, alors que la toute puissance d’intérêts financiers désincarnés semble s’imposer partout aux dépens de la vie réelle, la Santé au travail pourrait-elle être un objet de spéculation et son avenir se réduire à une question de « mise », au sens que lui donnent les parieurs ?

Simple question bien sûr, à l’occasion de la mise en ligne de cet article, la centième sur le site, conduisant à la formule rituelle : Faites vos jeux ! Rien ne va plus !

Réforme de la Santé au travail : un essai en attente de transformation… (article mis en ligne le 11 septembre)

Mes échanges avec de nombreux professionnels de la Santé au travail au cours des dernières semaines montrent que leur inquiétude d’avant la loi n’a pas disparu. Leur satisfaction, toute relative, est aujourd’hui teintée de beaucoup de scepticisme : la loi n’a réglé aucun problème au fond et son éventuel succès dépendra très largement, dans les prochains mois, du contenu des textes réglementaires qui la compléteront…

Alors que chacun de nous attend impatiemment que les textes réglementaires complètent la loi pour permettre de l’appliquer, le basculement du Sénat vient d’apporter un éclairage particulièrement cru sur toutes les « anomalies » relevées au fil des articles accompagnant les « travaux d’été » des parlementaires…

On peut désormais être quasiment certain que les hypothèses que j’avais présentées, en particulier dans « La réforme de la Santé au travail entre arrangement, trompe l’œil et marché de dupes » étaient justes : la précipitation à faire voter la loi n’avait probablement pas d’autre objet que celui de pratiquer la politique du fait accompli, en se disant qu’« un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » et qu’une fois la loi votée, un retour en arrière serait plus difficile…

Le plus triste dans cette histoire n’est-il pas que l’inspiratrice de la disposition contestable (et contestée) relative au dépistage de l’alcool et de la drogue en Entreprise, Elue de grande qualité, Rapporteur du Texte au Sénat et directement responsable du fameux « vote conforme » évitant d’avoir à réunir à nouveau la Commission mixte paritaire qui risquait, parce que « hors délai », de sonner le glas d’une « réforme arrangée », ait été largement battue dimanche dernier et ne soit plus en mesure de « suivre » le texte qu’elle a largement contribué à faire adopter…

Décidément, la réforme de la Santé du travail apparaît mal engagée. Alors ? Que faire ?

Et si justement nous parlions enfin de Santé au travail, de son avenir ! Et si les nombreux professionnels de qualité qui sont à l’œuvre dans les Services de Santé au travail ne se laissaient pas diriger par les « petits arrangements entre amis »…

Alors, OK pour continuer afin d’éviter le KO de l’Institution auquel pourrait conduire le jeu roublard de certains, habitués du poker menteur, aux dépens de l’intérêt des Entreprises et des Salariés.

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE 28 septembre 2011

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