C’est l’été, le temps des vacances, l’occasion de traiter sur un mode différent ces sujets dont le caractère très sérieux fait qu’en temps normal, on ne s’autorise aucune fantaisie, aucun écart.
C’est ce que je me permets d’oser aujourd’hui, avec, comme aurait dit le regretté Coluche, « l’histoire d’un mec »… qui rêvait de confectionner un hamburger haut de gamme, un « top hamburger », ayant la livrée d’un mets de qualité gastronomique, mais préparé, sans que cela fût annoncé, bien évidemment, par de piètres cuisiniers, à partir de vieilles recettes et de produits douteux.
Un produit en trompe l’œil en quelque sorte.
Ou, pour résumer, un attrape-nigaud !
J’avais imaginé au départ raconter « l’histoire d’un mec » rêvant d’un… sandwich, mais, compte tenu de la fin de l’histoire, que je connais un peu ( !), j’ai estimé que ce serait désobligeant pour le sandwich ; j’ai donc choisi le hamburger pour conter la triste histoire d’une vie stoppée prématurément, et réservé le sandwich, que je considère avec fierté comme un fleuron de la cuisine française, pour l’épilogue.
Quoi de meilleur en effet, quand on a très faim et qu’on veut se faire vraiment plaisir, qu’un généreux sandwich, chargé de beurre (salé, cela va de soi) et d’une large tranche de jambon blanc ? A moins de lui préférer des « œufs mayo » (avec beaucoup de mayonnaise, cela va encore de soi) ou des harengs pomme à l’huile (avec beaucoup d’huile, cela va toujours de soi).
Mais, pour que mon histoire tienne la route, pour qu’elle ne soit pas sans queue ni tête, c’est bien entre hamburger et sandwich que j’ai dû trancher, si je puis dire.
Va donc pour le hamburger, cette nourriture standardisée importée du « nouveau » monde, devenue le symbole bourratif et souvent dégoulinant d’une alimentation mondialisée, à propos duquel je peux ironiser sans le moindre scrupule [1],
J’en reviens à mon « top » hamburger. Son créateur, petit chef à défaut d’avoir pu en être un « grand », dépourvu de toque mais pas toqué du tout en raison de sa longue expérience de la cuisine, n’ignorait pas que la saveur de son hamburger dépendrait bien plus de la sauce et des divers ingrédients accompagnant la viande que de la viande elle-même et du pain, même si c’était bien le pain qu’il comptait imposer puisque c’est sur lui que reposait l’avenir du produit.
Il lui fallait, pour que l’affaire fût rentable, agir vite pour tuer toute velléité de concurrence, en tirant le plus possible les prix, ce qui supposait de confier une partie du travail, la fabrication du pain justement, à un simple marmiton, candide et discipliné, sans imagination mais plutôt beau parleur, capable si nécessaire de faire prendre des vessies pour des ris de veau, peu regardant sur la qualité réelle de son produit, apte en fin de compte, à moindre coût, à soigner les apparences pour mieux enfariner la clientèle.
Pour ce qui est de tout le reste, viande, sauce, fromage, salade, marketing et tutti quanti, il en faisait d’autant plus son affaire personnelle qu’il était originaire d’une ville réputée pour ses (excellents) condiments, propres à embellir l’aspect et relever le goût de n’importe quelle nourriture, au point de les fausser totalement, quitte une fois encore à ne pas trop se préoccuper de la qualité réelle du produit final mais à « faire comme si », les consommateurs n’étant somme toute à ses yeux que des estomacs, suffisamment affamés pour gober n’importe quoi.
Ce qui fut dit fut fait : une première tranche de pain fut cuite, dont le cuisinier débutant parvint, à force d’artifices et de boniments, à persuader ses consommateurs potentiels qu’elle était « t(r)op », une merveille de « coussin » pour hamburger !
Un faux travail de maître.
Un vrai tour de passe-passe…
L’accueil fut tel que notre cuisinier en chef s’imagina pouvoir préparer sa viande aussitôt. A partir d’un bas morceau qu’il sut assaisonner avec ce semblant de « talent » que donne parfois ce qu’on appelle la « bouteille », il parvint à convaincre la plupart de ceux qui suivaient attentivement sa prestation qu’il avait visé juste, même si ses aficionados attitrés furent nombreux à douter de son tour de main.
Restait à préparer la deuxième tranche de pain. Gros problème en vérité, car, la délicate opération visant à doter le hamburger de son « chapeau » ayant été différée de façon excessive, la pâte était devenue impossible à travailler et finit par échapper à son manipulateur jusqu’à tomber par terre et terminer à la poubelle, sous le regard désolé de plusieurs consommateurs pourtant acquis à sa cause.
Du coup, la vie du hamburger devenait hypothétique. Avec une seule tranche de pain, ce n’en était d’ailleurs plus un. Et ce, d’autant moins qu’elle s’était complètement ramollie, ce qui lui donnait une bien triste mine et coupait, même aux amateurs les plus tenaillés par la faim, toute envie de la goûter. Quant au reste, d’apparence trop aguicheuse pour être réellement savoureux, il ne pouvait suffire à conférer à l’ensemble le glorieux statut auquel son créateur le destinait.
La première tranche de pain acheva donc sa courte existence à la poubelle, y rejoignant celle qui aurait dû être sa jumelle, demeurée à l’état de projet gluant et couvert de poussière, ainsi que, pour finir, la viande elle-même (et tout ce qui l’accompagnait), d’origine incertaine et manifestement gonflée aux hormones. Il faut dire qu’elle avait beaucoup perdu de sa superbe devant des gourmets médusés, de toute évidence consternés par un tel manque de professionnalisme mais ravis à l’idée de déguster bientôt, non le minable « top » hamburger qu’on avait voulu leur faire ingurgiter de force mais le merveilleux sandwich qu’ils allaient enfin pouvoir confectionner eux-mêmes…
Bien sûr, ce n’est qu’une histoire, et, comme dans toutes les histoires, il importe de préciser qu’elle est pure fiction et que les situations, les faits, les personnages évoqués sont sans relation avec la réalité.
C’est évidemment le cas, vous le savez.
Quoique…
Il faut toujours rêver.
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 30 juillet 2015
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[1] Mon propos est naturellement excessif, pour les besoins de l’histoire. Je sais apprécier à l’occasion les qualités gustatives d’un bon « hamburger-frites », avec ou sans mes petits-enfants, surtout quand il est « fait maison » par des cuisiniers dignes de ce nom…
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