Réforme de la Santé au travail : analyse et commentaires (seconde partie-1)

Dans l’état actuel de sa rédaction, la proposition de loi adoptée par le Sénat souffre de multiples imperfections : d’une part, les dispositions de certains des articles votés sont inappropriées (gouvernance par exemple) ou porteuses de difficultés susceptibles d’être censurées par le Conseil Constitutionnel (différences de suivi des salariés selon leur activité et/ou la région où ils l’exercent entre autres), d’autre part, certains sujets essentiels comme l’aptitude ou le financement des Services sont totalement passés sous silence.

Au-delà de ces défauts, théoriquement amendables, le plus grave est qu’elle ne tienne pas suffisamment compte de l’évolution du travail, des risques professionnels qui en résultent, et, par voie de conséquence, des exigences d’une politique de Prévention adaptée. Tout se passe apparemment comme si on pouvait, en se contentant de corriger certains défauts criants du système actuel, obtenir que le futur système réponde aux besoins de Santé au travail des entreprises et des salariés.

Une telle vision est tout simplement l’expression d’un défaut d’appréciation de la nature et de l’ampleur des transformations de notre Société, voire d’un véritable autisme en la matière : la réforme de la Santé au travail ne peut pas, ne doit pas être un simple aménagement. Le système français de Prévention a besoin, non d’une énième réforme, d’une « réforme de la réforme », mais d’une transformation en profondeur, d’une véritable « refondation », à partir d’un changement radical d’angle d’attaque des questions de Santé au travail et de Prévention des risques professionnels.

Sur la base de ce constat, je persiste à penser, comme je l’ai déjà écrit dans un récent éditorial (dont le présent préambule reprend très largement les termes), qu’il vaudrait mieux différer tout débat sur le texte actuel, et, « sur le métier, remettre l’ouvrage ».

Comme il est apparemment prévu que les discussions s’ouvrent malgré tout sur la base de ce texte (même si une surprise de dernière minute n’est pas à exclure, avec, pourquoi pas, un report des débats à l’Assemblée Nationale) , il importe d’éliminer les scories qu’il contient et de ne pas s’accommoder de ses lacunes : c’est la raison d’être des développements qui suivent, visant à corriger et compléter un texte imparfait, sans perdre de vue que, même débarrassé de ses défauts, il demeurerait inadapté, et qu’on n’éviterait probablement pas de devoir, à brève échéance, envisager une nouvelle adaptation du système, en espérant que, dans l’intervalle, la Santé au travail « à la française » n’ait pas été définitivement remise en cause.

Gabriel PAILLEREAU

 

Seconde partie (1)

Article L. 4622-2

Commentaires

Les modifications à apporter à cet article ont un double objet :

  • Eviter toute confusion entre les missions et responsabilités du Service d’une part, et celles des médecins du travail et autres membres de l’équipe pluridisciplinaire d’autre part.

Le texte adopté par le Sénat, qui exprime cette mission dans les mêmes termes pour le Service et pour les professionnels chargés de la remplir, est ambigu et potentiellement porteur de conflits.

Il convient donc de distinguer nettement la responsabilité du Service, qui est de garantir le respect de la mission visant à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, de celle des professionnels composant les équipes pluridisciplinaires, qui est de la mettre en œuvre, et de fixer le cadre général qui s’impose à tous, cadre à l’intérieur duquel doivent obligatoirement s’exercer l’indépendance, les devoirs et les droits de chacun, à l’abri de toute suspicion de pression extérieure et de corporatisme.

  • Ne pas mettre à la charge des médecins du travail des responsabilités qui sont celles des employeurs, en stigmatisant certaines pratiques addictives, ce qui n’exclut bien évidemment pas le rôle essentiel qu’ils ont à jouer pour les prévenir.

Article L. 4622-4

Commentaires

Cet article n’a pas lieu d’être si l’on veut, comme cela semble normal de le faire, mettre en place des règles générales s’appliquant à tous les Services de Santé au travail, d’entreprise et  interentreprises.

Article L. 4622-10

Commentaires

Même si je suis conscient de l’intérêt que représente la rédaction proposée dans le contexte de pénurie de médecins du travail, j’estime que des modifications sont à apporter à cet article pour répondre à un double objet :

  • Supprimer la référence aux « réalités locales », qui ont toutes les chances d’être synonymes de multiples dérogations et, par voie de conséquence, d’inégalités de traitement entre salariés que le Conseil Constitutionnel ne manquerait pas de considérer comme discriminatoires et devant être censurées.
  • Sans nier la nécessité d’une approche globale de la Santé rendant utile une information des Agences régionales de santé, faire en sorte de ne pas leur donner une place et un rôle qui empiètent sur ceux dévolus aux partenaires sociaux dans le cadre d’un contrôle exercé aujourd’hui encore par le Ministère du Travail (à travers l’agrément des Services en particulier), et non par le Ministère de la Santé, alors même que leur légitimité, leur utilité et leur efficacité ne sont nullement prouvées et que la subordination de la Santé au travail aux exigences de la Santé publique n’a fait l’objet d’aucun débat véritable et encore moins d’un accord entre les partenaires sociaux.

Gabriel PAILLEREAU

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