Réforme de la Santé au travail : Myriam El Khomri en panne de réponses devant la Commission des Affaires sociales du Sénat

Points d'interrogation 2Auditionnée le mardi 17 mai par la Commission des Affaires sociales du Sénat sur son projet de loi, Myriam El Khomri s’est montrée fort peu loquace sur la Santé au travail. On peut même dire qu’elle a été expéditive, comme le montrent ses interventions, regroupées ci-dessous en caractères italiques :

Dans son exposé liminaire

Le texte consacre le droit à la déconnexion, dont le rapport Mettling a dit toute l’importance pour lutter contre le burn out ; le numérique est un formidable potentiel pour le travail mais ne doit pas être une source de souffrance au travail. Ce sera un point obligatoire des négociations consacrées à la qualité de vie au travail. Une charte devra être rédigée dans les entreprises de plus de 300 salariés ; à défaut, une décision unilatérale de l’employeur devra y pourvoir.

Enfin, le texte comporte une modernisation de la médecine du travail.

Dans ses échanges avec les Rapporteurs du texte

Nous ouvrons des postes de médecins de travail mais il n’y a pas suffisamment de candidats. Un amendement du député Touraine a prévu un rapport du Gouvernement sur les moyens de rendre cette filière plus attractive. Un décret pris après concertation des partenaires sociaux précisera les modalités du suivi particulier. Pourquoi supprimer la notion d’aptitude ? C’est que, floue, ne figurant pas dans la directive santé de 1989, et non définie par le code du travail, elle a donné lieu à de nombreux contentieux. L’aptitude est ainsi définie à 25 % avec des restrictions : un chauffeur de camion a ainsi été déclaré apte à conduire mais à condition de rester assis. Nous avons préféré le terme de capacité à celui d’aptitude.

Dans ses réponses aux Sénateurs

Le plan santé au travail III a été décidé également par les partenaires sociaux. La médecine au travail est effectivement un champ à développer. Attention aux travailleurs intérimaires, que les entreprises utilisatrices ont tendance à placer sur les postes à risque sans cotiser pour les accidents du travail. D’ici quatre ans, nous n’aurons plus que 2 500 médecins du travail : c’est donc une question centrale. Un amendement du député Michel Issindou prévoit un rapport sur le sujet, mais je ne peux pas vous livrer ses conclusions avant qu’il soit rédigé…

Une vingtaine de lignes au total. Ce qu’on appelle le « service minimum ». Tellement « minimum » que certaines des questions qui lui ont été posées, pourtant très précises, n’ont reçu aucune réponse.

Désir d’en finir au plus vite avec l’audition ? Volonté délibérée de ne pas répondre ? Simple oubli ?

Quelles étaient donc ces questions ?

Celles des Rapporteurs

Jean-Baptiste Lemoyne
Concernant le travail de nuit, vous avez supprimé la visite médicale tous les six mois. N’est-ce pas paradoxal alors que la réforme de la médecine du travail vise à la recentrer sur les publics les plus exposés ?

Jean-Marc Gabouty
Des certificats médicaux sont de plus en plus demandés, notamment pour la pratique sportive, avec une fréquence annuelle. Est-il pertinent de supprimer le certificat d’aptitude avant l’embauche ? Cela marque-t-il une résignation devant la baisse des effectifs de la médecine du travail ? Qui portera la responsabilité en cas d’une affectation inappropriée d’un salarié sur un poste inadapté au vu de son état de santé ? Qui sera concerné par le suivi individuel renforcé ?

Celles de Sénateurs et Sénatrices

Jean-Marie Morisset
Enfin, les travailleurs handicapés sont de plus en plus exposés au chômage. Ils sont souvent licenciés pour inaptitude. Avez-vous prévu des mesures les concernant ?

Mme Pascale Gruny
Pourriez-vous être plus précise sur la responsabilité du dirigeant en matière de santé, sécurité et hygiène du salarié, ainsi que sur le document unique d’évaluation des risques et la faute inexcusable de l’employeur ? Celui-ci semble toujours responsable. Si l’on fait moins de visites médicales en raison d’un manque de médecins, la responsabilité de la médecine du travail devrait être mise en cause.

Le licenciement pour inaptitude à tout emploi décidée par le médecin du travail en une seule visite, créera une insécurité juridique. Pourquoi est-ce toujours l’entreprise qui porte le financement de tels licenciements ? Après un accident du travail ou pour des personnes souffrant d’une maladie professionnelle, cela peut se comprendre. Mais pour les autres maladies ? Les indemnités constituent souvent une charge très lourde, surtout pour les petites entreprises et cette charge n’est pas partagée avec la caisse d’assurance maladie.

Michel Amiel
La loi n’a pas à gérer la pénurie de médecins du travail mais il faut bien qu’elle en tienne compte. Nombre de postes sont délaissés par les internes à l’issue de l’examen national classant. Ne faudrait-il pas une loi sur ce problème, préparée en concertation avec le ministère de la santé ? La prévention, le dépistage, l’éducation à la santé semblent oubliés. La rémunération devrait être forfaitaire, peut-être indexée sur la masse salariale, et plafonnée.

Mme Catherine Deroche
L’article 44, sur la médecine du travail, prévoit désormais une présidence alternée pour les services de santé au travail inter-entreprises. Cette disposition, introduite contre l’avis de la commission, a-t-elle vocation à subsister dans le texte ?

Toutes ces questions ne manquaient pourtant pas d’intérêt et auraient mérité une réponse, à commencer par la toute dernière, particulièrement actuelle…

Sans doute Myriam El Khomri réserve-t-elle sa réponse pour les débats…

A moins qu’elle n’ait été dans l’incapacité de donner une réponse précise tout simplement parce que la doctrine du Gouvernement en la matière n’est pas encore définitivement arrêtée.

Ce qui autoriserait à penser qu’un nouveau revirement pour revenir au texte initial n’est pas impossible… Incroyable a priori, mais, à y regarder de plus près, pas tout à fait inenvisageable comme je le montrerai dans un prochain article, en m’appuyant notamment sur l’audition des Partenaires sociaux par la même Commission des Affaires sociales du Sénat, le 18 mai pour les Organisations syndicales et le 25 mai pour les Organisations patronales .

De cette audition pour rien, du moins en ce qui concerne la Santé au travail, on retiendra quand même une information :

D’ici quatre ans, nous n’aurons plus que 2 500 médecins du travail : c’est donc une question centrale. Un amendement du député Michel Issindou prévoit un rapport sur le sujet, mais je ne peux pas vous livrer ses conclusions avant qu’il soit rédigé…

Un nouveau Rapport sur la pénurie serait donc en vue. Confié une fois encore à Michel Issindou, décidément incontournable.

Espérons que pour le rédiger, il disposera d’informations plus récentes que celles contenues dans le dernier Bilan des Conditions de travail, car, je tiens à le rappeler, celles-ci n’étaient rien d’autre qu’un simple « copier-coller » des données du Bilan précédent, exception faite de quelques corrections mineures, comme je l’avais montré dans deux articles publiés en début d’année :

Bilan des Conditions de travail 2014 : analyse (très) critique des « données chiffrées de la Médecine du travail »

Comparaison des données chiffrées de la Médecine du travail contenues dans les Bilans 2013 et 2014 des Conditions de travail

Il reste à attendre en croisant les doigts mais, soit dit en passant, il y a belle lurette que d’excellents Rapports ont déjà fait le tour de la question. Je ne peux qu’en recommander la lecture à tous ceux qui auront bientôt des décisions à prendre en la matière.

Espérons qu’ils comprennent que la Santé au travail (presque) sans Médecins du travail qui nous est promise, même « enrichie » grâce au développement (indispensable) de la pluridisciplinarité, est à la fois une régression et une supercherie, et que continuer à miser sur l’apport de Médecins du travail étrangers pour compenser nos lacunes hexagonales ne serait pas une simple erreur d’appréciation mais une faute politique majeure.

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 24 mai 2016
Photo GP
Tous droits réservés

2 Comments

Michel Blaizot

Où diable Madame El Khomri va-t-elle chercher ses données statistiques ?
– 2500 médecins du travail dans 4 ans ? C’est la prévision de la DREES (Ministère de la Santé) pour 2030. Rien ne permet de conforter cette affirmation ni dans les rapports annuels du Ministère du Travail (il est vrai incohérents!) ni dans les données fournies chaque année par l’Ordre des médecins.
– 25 % de restrictions d’aptitude ? La réalité bien connue des professionnels est de moins de 5 % dont les trois quarts en reprise du travail, ce que souligne le rapport Issindou lui-même.
Madame El Khomri parle peu de la « modernisation de la médecine du travail » devant la Commission des Affaires sociales du Sénat.
C’est encore trop !

Reply
Gabriel Paillereau

Une fois encore, Michel a entièrement raison. Ce qui me permet de rappeler une définition de la statistique à laquelle je suis très attaché : l’art de mentir avec précision…
Tout est dit !
GP

Reply

Répondre à Michel Blaizot Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *