Réforme de la Santé au travail : quelques retouches (et bien plus encore !) avant le bilan annoncé pour 2014

La Santé au travail occupe une place de choix au menu de la réunion de la Commission générale du COCT qui se tiendra le mercredi 18 décembre, avec trois projets de décrets, les deux premiers portant diverses dispositions relatives à la Médecine du travail, et le troisième visant l’application de la Santé au travail aux travailleurs éloignés.

1. Projet de décret en Conseil d’Etat portant diverses dispositions relatives à la médecine du travail

On se souvient que, faute d’avoir été soumises pour avis au Conseil d’Etat, certaines dispositions du décret n°2012-137 du 30 janvier 2012 relatif à l’organisation et au fonctionnement des Services de Santé au travail avaient été annulées (lire à ce sujet l’article que nous avions publié à ce sujet sur notre site : Santé au travail : coup de Trafalgar pour la réforme avec l’annulation par le Conseil d’Etat de certaines dispositions du décret du 30 janvier 2012 relatif à l’organisation et au fonctionnement des Services de Santé au travail).

Le projet soumis à la Commission générale après avoir été examiné par la Commission n° 5 est en tout premier lieu un texte de « rattrapage », puisqu’il reprend les dispositions « annulées sans l’être tout en l’étant », le Conseil d’Etat ayant pris le soin de « border sa décision » en ne remettant pas en cause la validité juridique des documents établis sur la base des textes annulés ! La remise en ordre des textes n’était de ce fait qu’une simple formalité, comme on avait pu le lire sitôt l’annulation connue, sur le site du Ministère.

L’article 1 du projet de décret, simple conséquence de l’annulation du décret simple par le Conseil d’Etat, a pour objet de rendre à nouveau applicables les dispositions annulées, qui concernaient la fiche d’entreprise, le rapport annuel d’activité, le dossier médical en santé au travail, et les recherches, études et enquêtes conduites dans le cadre des Services de Santé au travail.

Compte tenu de la connaissance que nous avions déjà de ces dispositions, que le décret ne fait que rétablir, l’importance de ce dernier réside dans les articles 2 et 3, qui visent respectivement les Collaborateurs médecins et les Médecins du travail titulaires de diplômes étrangers, reproduits in extenso ci-dessous en caractères italiques :

Article 2 : Collaborateur Médecin

A la section II du chapitre III du titre deuxième du livre sixième de la quatrième partie du code du travail (partie règlementaire) est créée une sous-section nommée « collaborateur médecin » composée de l’actuel article R. 4623-25 et complétée par un nouvel article ainsi rédigé :

Art. R. 4623-25-1.- Le collaborateur médecin peut remplir les missions que lui confie le médecin qualifié en médecine du travail qui l’encadre, dans le cadre d’un protocole écrit validé par ce dernier, en fonction des compétences et de l’expérience acquises par le collaborateur.
Ce protocole peut notamment porter sur la réalisation des examens définis à la section II du chapitre IV de ce même titre, trois mois après le début de sa formation, sauf pour les avis d’inaptitude pour lesquels le délai est porté à six mois.
Dans le cadre de ce protocole, le collaborateur médecin prend ses décisions sous la responsabilité du médecin qualifié en médecine du travail qui l’encadre.

Article 3 : MT diplômes étrangers

A la section II du chapitre III du titre deuxième du livre sixième de la quatrième partie du code du travail (partie réglementaire) qui est renommée « Collaborateur médecin et candidat à l’autorisation à l’exercice de la profession de médecin du travail en France » est créée une sous-section 2 ainsi rédigée :

Sous-section 2

Praticien en attente d’autorisation d’exercer

Art. R. 4623-25-3 Le candidat à l’autorisation à l’exercice de la profession de médecin du travail est lié par un contrat de travail conclu avec l’employeur ou le président du service de santé au travail interentreprises.
La durée du contrat de travail est conforme aux dispositions du 2ème alinéa de l’article R. 4623-25-2.
Le non-renouvellement du contrat à l’issue d’une période d’engagement est notifié avec un préavis de deux mois. Les démissions sont présentées avec le même préavis.

Art. R. 4623-25-4 – Le médecin recruté en application des dispositions de l’article R. 4623-24-2 exerce, sous la responsabilité d’un médecin qualifié en médecine du travail et dans le cadre d’un protocole écrit et validé par lui, ses fonctions de médecin du travail et participe aux mission du service de santé au travail telles que définies à l’article L. 4622-2 du présent code. »

Les Articles 4 et 5 ont respectivement pour objet la correction de diverses « coquilles » et les travaux hyperbares.

2. Projet de décret portant diverses dispositions relatives à la médecine du travail

Le deuxième projet de décret qu’examinera le COCT, portant diverses dispositions relatives à l’organisation de la médecine du travail, qui vient compléter le projet de décret en Conseil d’Etat portant lui aussi diverses dispositions relatives à la médecine du travail, « pris pour l’application des articles L. 4622-17 et L. 4644-1 du code du travail », ayant pour objet l’organisation et le fonctionnement des Services de santé au travail, dont l’entrée en vigueur est prévue le lendemain de sa publication (c’est-à-dire probablement dans des délais très rapides), vise à permettre, selon la notice jointe au projet, non seulement « de rectifier certaines erreurs ou imprécisions rédactionnelles, repérées depuis la parution du décret n° 2012-137 du 30 janvier 2012 relatif à l’organisation et au fonctionnement des services de santé au travail » mais encore « de faire évoluer certaines dispositions pour répondre à des difficultés d’interprétation. »

Une étude approfondie des modifications proposées ne révèle rien de véritablement révolutionnaire, ce projet de décret donnant pour l’essentiel des précisions sur l’agrément des Services.

3. Projet de décret relatif à l’application de la santé au travail aux travailleurs éloignés

Le suivi des travailleurs éloignés pose des problèmes de taille depuis des années. Ce sont ces problèmes qui ont conduit les Services interentreprises, professionnels et interprofessionnels, à mettre en place un système mutualisé fondé sur un protocole d’accord d’abord toléré puis contesté par l’Administration. Le dernier système en place, au fonctionnement médiocre, reposait sur des règles discutables. Sa modification était donc attendue depuis longtemps, eu égard à la difficulté croissante de suivre les populations concernées.

La notice (reproduite ci-après en caractères italiques) explicitant la raison d’être du décret est très claire, ouvrant la voie à un type de suivi demandé depuis toujours par les Professionnels et refusé avec constance par l’Administration !

« Le présent décret, pris en application de l’article L. 4625-1 du code du travail, permet d’adapter les dispositions de droit commun relatives à la surveillance médicale des salariés aux particularités des travailleurs éloignés qui exercent habituellement leur contrat de travail en dehors de l’établissement qui les emploie, qu’ils soient itinérants ou non.

Dans toutes les situations d’éloignement, l’employeur peut remplir ses obligations en santé au travail avec un seul service de santé au travail en organisant le déplacement des salariés ou du médecin du travail, en vue de la réalisation de la surveillance médicale individuelle et de l’action sur le milieu de travail.

Cependant, le grand éloignement entre le lieu de travail et le service de santé au travail fait que les obligations en santé au travail ne sont pas toujours réalisées, particulièrement l’action sur le milieu de travail. C’est pourquoi, le présent décret donne la possibilité à l’employeur d’opter pour une autre organisation de la médecine du travail, en faisant appel à un service de santé au travail interentreprises dans le département où travaillent ses salariés éloignés. »

Sous réserve d’un examen détaillé du texte définitif, ce projet de décret (que nous mettrons en ligne prochainement) propose enfin une vraie amélioration du suivi des salariés éloignés fondée sur la réalité de leurs conditions de travail.

Bien d’autres questions figurent à l’ordre du jour de la réunion du COCT. Nous y reviendrons ultérieurement.

Et d’autres encore, concernant le suivi de certaines catégories de salariés « atypiques », n’y figurent pas car elles font l’objet de négociations entre partenaires sociaux ; c’est le cas du projet d’Accord Interbranches Santé au Travail concernant la branche professionnelle des salariés du particulier employeur et la branche professionnelle des assistants maternels du particulier employeur, qui prévoit la création de « Centres paritaires agréés de gestion de la santé au travail » destinés à servir d’interface entre le particulier employeur et le Service de Santé au Travail Interentreprises, ainsi que d’une « Caisse nationale paritaire interbranches ».

Nous reviendrons longuement dans les prochains jours sur ce futur (?) système, comme sur celui, également en cours de négociation, visant les VRP, dans la mesure où, d’une part, ils semblent remettre en cause l’organisation et le fonctionnement des Services de Santé au Travail Interentreprises (avec, pour les VRP, si nos informations sont exactes, intervention possible du monde de l’Assurance), et où, d’autre part, ils pourraient annoncer (amorcer ?) une évolution du Système de Santé au travail lui-même fondée sur l’article L. 4625-2 du Code du travail, reproduit plus bas…

On pourra utilement se reporter à l’analyse détaillée de cet article (et de l’article L. 4625-1), telle que je l’avais publiée sur notre site en juin 2011 (Réforme de la Santé au travail, suite et fin du feuilleton : analyse et commentaires (seconde partie-3), c’est-à-dire avant le vote de la loi, à partir de ce qui n’était encore qu’une proposition de loi :

Article L. 4625-1

Commentaires

La réalité de terrain, pour de très nombreux travailleurs, est de ne pas pouvoir bénéficier d’une surveillance de leur état de santé conforme aux dispositions générales du Code du travail, pour des raisons qui tiennent à la fois aux caractéristiques de leur travail et à la pénurie de médecins du travail spécialistes.

Leur permettre d’accéder à un niveau de protection de leur santé qui ne soit pas inférieur à celui dont bénéficient les autres travailleurs est une nécessité. Encore faut-il le faire dans des conditions qui ne puissent être considérées, pour toutes les catégories de salariés concernées, comme contraires au principe d’égalité.

C’est sur cette nécessité que devraient reposer les deux modifications qui m’apparaissent devoir être apportées à cet article :

  • la suppression du dernier alinéa, qui, en s’appuyant sur des « spécificités locales » au contour pour le moins incertain, risque d’être source de discriminations pour les travailleurs saisonniers, qui sont parmi les salariés les plus fragiles ;
  • l’intégration, dans ce qui deviendrait l’avant-dernier alinéa de l’article, de garanties de suivi identiques pour tous les travailleurs considérés comme « atypiques ».

Article L. 4625-2

Commentaires

La réalité de terrain, pour les nombreux travailleurs visés par cet article, est exactement la même que pour ceux visés par l’article précédent, à savoir qu’ils ne peuvent bénéficier d’une surveillance de leur état de santé conforme aux dispositions générales du Code du travail, pour des raisons qui tiennent à la fois aux caractéristiques de leur travail et à la pénurie de médecins du travail spécialistes. On peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence du choix consistant à traiter le suivi de tous ces travailleurs dans deux articles distincts alors que, d’une façon générale, les lacunes dont ils sont victimes sont exactement les mêmes.

Considérée sous le seul angle des « progrès » que le texte adopté par les Sénateurs permet d’accomplir par rapport à la situation actuelle, la rédaction de la proposition de loi semble indiscutable. Elle est pourtant critiquable à plusieurs niveaux :

  • elle donne l’impression de légitimer de façon quasi automatique des dérogations qui devraient être considérées comme éventuelles ;
  • elle introduit le recours possible à des médecins non spécialisés en Médecine du travail sous la forme de protocoles passés avec les Services interentreprises de Santé au travail, allant même jusqu’à ce que ces protocoles prévoient les garanties en termes de formation et les conditions d’exercice de ces médecins ;
  • l’appel à « des médecins non spécialisés en médecine du travail » (la confusion des termes « non spécialisés » et « non spécialistes », apparemment considérés comme synonymes, et, par voie de conséquence, comme interchangeables, n’est pas anodine) est contestable en soi mais ce n’est rien à côté de l’octroi aux Services de Santé au travail eux-mêmes du droit de prévoir, pour ces médecins, les garanties en termes de formation. Même s’il convient de ne pas confondre ces garanties et la formation elle-même, la rédaction actuelle semble conférer aux Services de Santé au travail un pouvoir démesuré dans un domaine qui relève exclusivement de la responsabilité de l’Etat, ouvrant la voie à une déréglementation qui ne peut qu’être préjudiciable aux intérêts des Salariés et des Employeurs.

C’est pour corriger toutes ces erreurs que l’article devrait être largement amendé :

  • en insistant sur le caractère exceptionnel des dérogations proposées ;
  • en réduisant le pouvoir exorbitant donné aux Services à travers les protocoles qu’ils sont autorisés à signer ;
  • en préférant les termes « médecins non spécialistes » à ceux de « médecins non spécialisés », pour marquer le fait que la Médecine du travail est une spécialité et les médecins du travail, des médecins spécialistes ;
  • en fixant par la voie réglementaire les conditions de formation et d’habilitation de ces médecins, ce qui revient à reconnaître à l’Etat et au Conseil national de l’Ordre des médecins les prérogatives qui sont les leurs.

Avec le recul, il apparaît que les commentaires que j’avais faits alors, peut-être jugés excessifs ou pessimistes par certains, étaient malheureusement justifiés.

La possible « révolution » annoncée par les négociations en cours est telle qu’une étude complète s’impose…

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 17 décembre 2013
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PS : les textes présentés dans cet article devant être examinés dans le cadre du COCT, ils sont susceptibles de subir encore des modifications mais on peut raisonnablement estimer que leur rédaction est très proche de la rédaction définitive.

Article L. 4625-2 du Code du travail, créé par la LOI n°2011-867 du 20 juillet 2011 – art. 10 (V)

« Un accord collectif de branche étendu peut prévoir des dérogations aux règles relatives à l’organisation et au choix du service de santé au travail ainsi qu’aux modalités de surveillance de l’état de santé des travailleurs dès lors que ces dérogations n’ont pas pour effet de modifier la périodicité des examens médicaux définie par le présent code.

Ces dérogations concernent les catégories de travailleurs suivantes :

1° Artistes et techniciens intermittents du spectacle ;

2° Mannequins ;

3° Salariés du particulier employeur ;

4° Voyageurs, représentants et placiers.

L’accord collectif de branche étendu après avis du Conseil national de l’ordre des médecins peut prévoir que le suivi médical des salariés du particulier employeur et des mannequins soit effectué par des médecins non spécialisés en médecine du travail qui signent un protocole avec un service de santé au travail interentreprises. Ces protocoles prévoient les garanties en termes de formation des médecins non spécialistes, les modalités de leur exercice au sein du service de santé au travail ainsi que l’incompatibilité entre la fonction de médecin de soin du travailleur ou de l’employeur et le suivi médical du travailleur prévu par le protocole. Ces dispositions ne font pas obstacle à l’application de l’article L. 1133-3.

En cas de difficulté ou de désaccord avec les avis délivrés par les médecins mentionnés au septième alinéa du présent article, l’employeur ou le travailleur peut solliciter un examen médical auprès d’un médecin du travail appartenant au service de santé au travail interentreprises ayant signé le protocole. »

Pour accéder à l’analyse complète des dispositions de la loi de juillet 2011 (ou, plus exactement, de la proposition de loi examinée par les Députés et les Sénateurs, fort peu différente du texte définitivement voté), publiée sur notre site en juin 2011, cliquer sur les liens suivants :

 

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