Comme annoncé précédemment, nous rendons compte, dans un article en deux parties, du contenu des deuxièmes Rencontres parlementaires sur la Santé au travail, « De la Santé au Bien-être au travail : quelle vigilance pour quel plan d’action ? », qui se sont tenues le 16 février dernier à la Maison de la Chimie.
Nous nous en tiendrons, dans la première partie, aux interventions des trois Personnalités, Guy Lefrand, Député UMP de l’Eure, Régis Juanico, Député PS de la Haute-Loire, et Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail, qui, en introduisant les travaux, ont donné le ton de la Journée. La deuxième partie, que nous mettrons en ligne dans quelques jours, rendra compte du contenu des deux tables rondes qui ont suivi.
Les appréciations portées sont nécessairement subjectives et j’admets que la « lecture » de la Journée puisse conduire à des commentaires en contradiction avec les miens. Il me semble néanmoins, après avoir échangé avec un certain nombre de participants venant d’horizons différents, que, d’une façon générale, les débats n’ont pas été considérés comme particulièrement féconds. Mais pouvaient-ils l’être… ?
Gabriel Paillereau
NB : les termes en caractères italiques gras sont des citations et correspondent donc exactement (sauf erreur ou omission de ma part) aux propos tenus par les intervenants. Les commentaires, entre parenthèses, sont précédés ou suivis de la mention NDLR.COMPTE RENDU : PREMIERE PARTIE
Ambiance feutrée d’une classe d’enfants sages, lors des 2èmes Rencontres parlementaires sur la Santé au travail, contraste saisissant avec la « fureur » qui règne à l’extérieur, expression d’un début de campagne où tous les coups semblent permis.
Les premières Rencontres s’étaient déroulées à fleurets mouchetés. Celles-ci se feront avec des épées en carton, on le pressent, on le sait avant même que ne débutent les travaux… Curieux paradoxe.
Guy Lefrand, Député UMP de l’Eure, Rapporteur pugnace de la loi du 20 juillet réformant la Médecine du travail, qui, avec Régis Juanico, Député PS de la Loire, co-préside la Journée, ouvre les (non) hostilités sur un ton étonnamment modéré, apparemment prêt à envisager, voire à accepter pour l’avenir des remises en cause inimaginables jusqu’alors, et tout particulièrement pendant les débats à l’Assemblée Nationale et au Sénat… Curieux revirement.
La loi est passée. Va débuter la phase d’évaluation (NDLR : on est en droit de se demander ce que cela signifie exactement puisque les décrets ne pourront produire leurs effets qu’à partir de leur date d’application, c’est-à-dire pas avant le 1er juillet 2012 ; aucune évaluation ne sera donc possible avant le début de l’année 2013 au mieux ! A moins bien sûr que, par « évaluation », on entende les « retours » sur le nouveau cadre réglementaire, déjà connus, qui ne sont pas particulièrement brillants. A noter que c’est effectivement le 7 mars à 10h, c’est-à-dire demain, que la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée Nationale examinera le Rapport de Michèle Delaunay et Guy Lefrand sur la mise en œuvre de la loi du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la Médecine du travail).
Ayant fait le constat que l’évolution du système était nécessaire et que les négociations entre partenaires sociaux avaient échoué, Guy Lefrand s’interroge publiquement : est-ce que ce sera suffisant ?
Après avoir rappelé que l’Entreprise demeure responsable de la Santé de ses salariés, il poursuit en distinguant Santé publique et Santé au travail, mission « médico-sociale » et maintien dans l’Emploi, ce qui impose à ses yeux de redéfinir les rôles de chacun des protagonistes au sein des Entreprises, qui, selon lui, sont de trois ordres :
• le savoir, qui appartient au Médecin,
• le pouvoir, qui appartient au Manager,
• l’avoir, qui appartient à l’Actionnaire.
Ces rôles imposent une mise en œuvre de la pluridisciplinarité répondant à plusieurs conditions, sous la forme d’une percolation interdisciplinaire… La contractualisation, présentée comme essentielle, doit se traduire sous la forme de projets reposant sur une triple base :
• besoins ressentis au niveau local,
• objectifs recensés aux niveaux national et régional,
• moyens disponibles ou à mettre en œuvre… (n’est-ce pas un renvoi aux « réalités locales » de la loi du 20 juillet 2011 : NDLR ?)
C’est sur la base du travail en commun effectué au niveau local que des projets pourront voir le jour, projets qui devront être évalués à l’aide d’indicateurs de Santé au travail et de Bien-être au travail (aujourd’hui quasi inexistants : NDLR).
L’essentiel, pour Guy Lefrand, est que le schéma de la loi de 1946 ait été conservé. Pour autant, comme la Santé est un but, ce vers quoi on tend en permanence, la loi (du 20 juillet 2011) n’est (ne serait ?) qu’une étape…
La conclusion de son propos, d’une « modestie » inattendue, aux antipodes des accents triomphalistes des débats parlementaires, a de quoi surprendre : l’avenir dira si le schéma choisi est le bon ou s’il faudra changer totalement de paradigme : privatisation ou reprise en main par l’Etat ?
Que penser de cette l’idée, avancée par Guy Lefrand lui-même, d’un débat éventuel autour de la Mission régalienne de l’Etat à partir de la problématique « Santé au travail » : volonté d’ouverture, constat d’échec, aveu d’impuissance, calcul politique, anticipation… ?
On ne le saura pas, du moins pas lors de ces Rencontres parlementaires.
Guy Lefrand en restera effectivement là, laissant sur leur faim tous les participants réellement au fait des arcanes de la transformation du système, de ses enjeux, de ses pièges et de ses faux-semblants…
Curieuse conclusion d’une bien curieuse introduction…
L’intervention de Régis Juanico ne nous éclairera guère plus. Après s’être félicité du thème de la Journée, particulièrement bien choisi selon lui, il s’interroge sur les moyens de redonner du sens au travail.
La notion de qualité de vie au travail est essentielle. Elle recouvre non seulement l’environnement physique mais encore tout ce qui est d’ordre social, relationnel : reconnaissance, possibilités de développement personnel, conciliation vie professionnelle/vie privée… Il insiste également sur l’importance de la qualité de l’organisation du travail, le caractère déshumanisé de la gestion et la perte de sens qu’il engendre.
Bien qu’il affirme à juste titre qu’il n’y a pas que France Télécom, et que la nécessité existe de (re)créer des espaces d’écoute dans les Entreprises, son discours, malheureusement trop rapide et superficiel faute de temps, ne permet pas d’y voir plus clair…
Reste encore une chance d’entrer dans le vif du sujet avant la première table ronde, avec l’intervention de Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail. Faisant état de la convergence des points de vue des différents acteurs sur la place de la Santé au travail, exprimée la veille dans le cadre d’une réunion du COCT, il souligne le passage, en très peu de temps, de la Médecine du travail à la Santé au travail, puis de la Santé au travail au Bien-être au travail.
Il faut toujours, selon lui, avoir une vision plus large et ne pas s’arrêter aux risques psychosociaux. Les actions doivent avoir du sens. La réforme place le Médecin du travail et les Services au centre de la Santé au travail ; leur rôle est donc en augmentation, même si le Médecin du travail ne travaille pas seul.
Abordant l’agrément et la contractualisation, il précise la position de l’Administration en la matière : pour l’agrément, c’est l’Etat qui prend ses responsabilités. Ce n’est pas le cas pour la contractualisation, qui correspond, elle, à un objectif de qualité. L’objectif poursuivi n’est pas de faire une usine à gaz ; il faut de la cohérence.
Il considère qu’il n’existe pas d’Entreprise compétitive sans de bonnes conditions de travail. Pour lui, le bien-être au travail dépend avant tout du Chef d’entreprise (et de son implication), des Cadres, des Instances Représentatives du Personnel (lRP), du dialogue social et de la négociation collective.
Tous les « leviers » doivent être utilisés et notamment ceux qui tournent autour de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) car c’est là que se situe le chantier des années à venir. Une des réponses aux problèmes dus aux restructurations et aux licenciements se trouve dans le bien-être au travail, comme le révèle l’Enquête nationale de France Inter (voir ci-dessous pour accéder aux résultats de l’Enquête : NDLR).
Parmi ses résultats, rendus publics récemment, l’un retient particulièrement l’attention de Monsieur Combrexelle pour une conclusion en forme de pirouette : pour améliorer les choses, les salariés, à la majorité écrasante de 80 %, font confiance à… eux-mêmes !
Trois intervenants de haute volée pour lancer les débats, et, au final, des propos sibyllins pour le premier, superficiels pour le deuxième et très généraux pour le troisième. La première table ronde ne pouvait guère débuter sous des auspices plus incertains !
Curieux, vous avez dit curieux ?
Gabriel Paillereau
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