Santé au travail : contenu (et suites ?) de la rencontre entre Annie-Thébaud-Mony et Cécile Duflot

Chacun de nous se rappelle le geste hautement symbolique d’Annie Thébaud-Mony, refusant la légion d’honneur que lui avait décernée Cécile Duflot. Nous nous en sommes fait l’écho  dans deux articles, Santé au au travail : Annie Thébaud-Mony adresse un message fort aux Pouvoirs Publics en refusant la Légion d’Honneur, et Santé au travail : Cécile Duflot répond à Annie Thébaud-Mony, mis en ligne sur notre site le 5 et le 29 août.

Comme annoncé, Cécile Duflot a bien reçu Annie-Thébaud-Mony, le 8 octobre dernier. Le contenu de leurs échanges a fait l’objet d’un Communiqué publié simultanément sur les sites de l’Association Henri Pézerat, de Ban Asbestos France, de l’Association des familles victimes du saturnisme, de l’Association des malades de la chimie et du Comité amiante Prévenir et Réparer Auvergne. En plus du Communiqué, on peut également prendre connaissance de « fiches d’état des lieux et de propositions » concernant divers risques professionnels (expositions à l’amiante et au plomb en particulier).

La douzième et dernière de ces fiches, dont l’objet est de proposer une modification du droit pénal pour permettre la condamnation des crimes industriels, risque de faire un certain bruit en ce qu’elle vise à y introduire, en s’appuyant sur l’exemple italien, des sanctions qui en sont aujourd’hui absentes :

Fiche n°12 : pour une modification du droit pénal pour la condamnation des crimes industriels

Etat des lieux

Les catastrophes industrielles et technologiques qui jalonnent les dernières décennies : Minamata, Bhopal, Tchernobyl, Fukushima, l’affaire du sang contaminé ou celle de l’amiante ne sont saisies qu’au travers de qualifications inadaptées qui ne rendent pas compte du caractère collectif et organisé des crimes et délits et du consentement de leurs auteurs à l’accumulation des risques mortels et des victimes.

Ce désastre récurrent ne correspond pourtant à aucune fatalité. Non seulement ces catastrophes sont prévisibles, mais elles sont désormais évaluées et quantifiées comme autant de paramètres intégrés dans le choix des décideurs. Pourtant la faiblesse des textes répressifs dispersés dans des codifications à vocation catégorielle permet aux responsables de penser qu’ils n’enfreignent aucun interdit majeur.

Ce « permis de tuer » est d’autant plus toléré que cette forme moderne de criminalité démultipliée par la puissance de l’industrie ne suppose chez ses auteurs au sens propre du terme aucune intention de nuire à l’égard d’aucune victime en particulier. L’élément intentionnel dans sa forme classique y disparaît au profit du simple consentement. Ignoré des lois pénales, ce « consentement meurtrier » doit enfin être énoncé comme un interdit majeur.

Dans l’affaire de l’amiante, l’exception éclairante des condamnations à 16 ans d’emprisonnement prononcées le 13 Février 2012 par le Tribunal Correctionnel de Turin, saisi par le Parquet de l’interprétation d’un texte conçu principalement pour juger des conséquences des ruines d’immeubles et retenant la notion de « désastre environnemental », nous montre la voie.

La prise en compte des effets différés des risques modernes impose de privilégier les situations de mise en danger et non leurs
conséquences pathologiques et mortelles comme situation permettant la qualification des crimes et des délits, les conséquences en termes d’atteinte à la vie ou à la santé étant considérées comme des circonstances aggravantes.

Proposition

La norme essentielle en la matière pourrait être énoncée de la façon suivante :

« Article 1er :

Toute action organisée quel qu’en soit l’objet, dont les conséquences délibérément consenties par les auteurs conduisent à mettre en danger la vie ou la santé des personnes par la violation d’une obligation de sécurité prévue par la Loi ou les règlements, est punie d’une peine de trois
ans d’emprisonnement.

Lorsque l’atteinte à la santé publique a entraîné une incapacité temporaire totale de plus de 24 trois mois ou une incapacité permanente partielle sur une ou plusieurs personnes, la peine est portée à cinqans d’emprisonnement.

Lorsque l’atteinte à la santé publique a entraîné le décès d’une ou plusieurs personnes, la peine est portée à quinze ans d’emprisonnement.

Article 2 :

Toute action organisée quel qu’en soit l’objet dont les conséquences délibérément consenties par les auteurs conduisent à mettre en danger l’existence même locale d’espèces animales ou végétales protégées, par la violation d’une obligation de sécurité prévue par la Loi ou les règlements, est punie d’une peine d’un an d’emprisonnement.

Lorsque l’atteinte à l’environnement a entraîné une atteinte avérée à la biodiversité par la destruction totale ou partielle d’espèces animales ou végétales protégées, la peine est portée à trois ans d’emprisonnement. »

Dans le Code Pénal français, la réforme consisterait à rédiger un nouveau livre V qui au lieu de s’intituler « Les autres crimes et
délits », deviendrait « Les crimes et délits mettant en cause l’éthique biomédicale, la santé publique et l’environnement ».

Dans ce nouveau Livre V, le titre I consacré à l’éthique biomédicale resterait inchangé.

Un nouveau titre II s’intitulerait : « Crimes et délits portant atteinte à la santé publique et à l’environnement ».

L’ancien titre II consacré aux « sévices sur les animaux » deviendrait le titre III.

Nous avions évoqué cette question en tout début d’année dans un article consacré à deux procès, dont celui de Turin précisément, cité dans la fiche ci-dessus : Amiante à Turin et pesticides à Lyon : deux procès exemplaires.

En conclusion, je précisais alors :

[…] Les questions de Santé en général, et de Santé au travail et de Santé environnementale en particulier, apparaissent aujourd’hui de plus en plus médiatisées. Elles le seront probablement davantage encore demain.

Il faut l’espérer en tout cas, car, si nous ne montrons pas l’exemple en la matière, en mettant en place, via la réglementation et la jurisprudence, des standards de haut niveau en matière de protection de la Santé et de réparation des dommages, on risque fort, sous l’effet de la mondialisation, d’assister à brève échéance à un abaissement général des règles de protection. Il ne faut pas perdre de vue que, malgré sa nocivité, que plus personne n’ose contester aujourd’hui, l’amiante fait encore l’objet d’une utilisation massive, et, plus particulièrement dans les principaux pays émergents, les nouveaux « maîtres du monde », dont la Chine, l’Inde, la Russie et le Brésil, qui, en 2007, en ont utilisé plus de 2 millions de tonnes…

Quand on sait que, pour ne pas perdre la guerre commerciale qui se livre au niveau de la planète, l’une des solutions avancées par certains est la déréglementation, avec la Santé et la Sécurité comme variables d’ajustement, on comprend qu’il va falloir redoubler de vigilance, non pour préserver des avantages acquis, mais pour défendre la Santé, tout simplement.

Encore un dossier à suivre de très près, d’autant que Maître Jean-Paul Teissonnière, ardent défenseur des victimes de l’amiante avec Michel Ledoux, vient de faire l’objet d’un non-lieu alors qu’il avait été mis en examen le 6 septembre dernier pour diffamation, à la suite d’une plainte déposée par Eternit. Le 1er octobre, cette Société avait retiré sa plainte pour « apaiser » les tensions mais, pour Jean-Paul Teissonnière, ce non-lieu aurait une autre explication : « un certain nombre d’éléments accablants pour Eternit faisait que les choses s’annonçaient difficiles pour eux. Ils ont préféré limiter les dégâts ».

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE octobre 2012

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