Semaine chargée avec, mercredi matin, les troisièmes Rencontres parlementaires sur la Santé au travail, « Le bien-être au travail, un défi dans la crise », et, l’après-midi, le Colloque organisé par la revue « Santé et travail », « Avec la crise, peut-on encore sauver les conditions de travail ? ».
Des thèmes dans le prolongement exact de notre deuxième Colloque, « Manager la Santé au travail par temps de crise », tenu le 17 septembre 2012.
Il nous était évidemment impossible de rater l’un ou l’autre de ces rendez-vous, même si nous savions à l’avance que leur teneur serait probablement assez différente compte tenu notamment des personnalités invitées, parmi lesquelles le Ministre du travail en personne.
Du moins était-ce ce qui était annoncé…
De quoi nourrir l’information de nos fidèles visiteurs en ces temps de négociations sur la Qualité de Vie au Travail.
Du moins était-ce ce que j’avais imaginé…
La journée s’est en fait déroulée tout autrement, et la deuxième moitié de l’après-midi a été telle que je commencerai par la fin, tant celle-ci a été inattendue.
Ce qui ne m’empêchera évidemment pas de revenir dans quelques jours sur les Rencontres parlementaires, dont le ton et le contenu, excessivement consensuels et feutrés, de par la volonté de leurs organisateurs, Régis Juanico et Jean-Frédéric Poisson, respectivement Député socialiste de la Loire et Député UMP des Yvelines, ont malgré eux et malgré tout, laissé échapper des propos dissonants. C’est la preuve que certaines personnes, ne craignant pas le discrédit social, financier et professionnel promis aux rebelles (« nous aurons votre mort professionnelle »), ont encore, fort heureusement, le courage de s’exprimer en toute liberté.
Arrivé avec un peu de retard aux « 5èmes Rencontres Santé et Travail », j’ai pris en cours de route la Conférence introductive de Bernard Dugué, enseignant chercheur en Ergonomie à Bordeaux, et assisté à la table-ronde animée par François Desriaux, « Quel avenir pour les CHSCT ? ». Des propos tenus par les participants, on retiendra :
- la question relative à la légitimité de la présence de salariés intérimaires dans le CHSCT des Entreprises de travail temporaire ;
- l’affirmation selon laquelle il faut former les élus et… les employeurs ;
- la présentation des membres des CHSCT, « généralistes de la prévention » et non « experts », qui sont les « représentants du travail du personnel », ce qui les distingue des autres salariés membres des IRP ;
- le fait que le CHSCT se trouve au point de convergence de la Santé, des Conditions de travail et de l’Obligation de prévention, de plus en plus « juridisée » à travers l’Obligation de Sécurité de résultat issue des arrêts amiante de février 2002. En fait, selon Pierre-Yves Verkindt, Professeur de Droit social à la Sorbonne, avec l’arrêt SNECMA, c’est l’Obligation de Santé qui se situe aujourd’hui tout en haut de l’édifice, au-dessus même du pouvoir de direction des employeurs.
Petite pause avant d’attaquer la seconde table-ronde, intitulée « Compétitivité : et si on misait sur la qualité du travail », dans la droite ligne de l’éditorial de François Desriaux, Fausse route, en page 5 du dernier numéro de Santé et Travail.
Question intéressante, positionnant le travail d’une façon plus judicieuse à mes yeux que la négociation sur la « Qualité de Vie au Travail ».
Question passionnante même dans la mesure où devaient être réunis pour la circonstance quatre personnalités de tout premier plan, Alain Alphon-Layre, responsable national Travail-Santé de la CGT, Laurent Berger, Secrétaire général de la CFDT, Benoît Roger-Vasselin, Président de la Commission des Relations du travail du MEDEF, et, last but not least, Michel Sapin, Ministre du Travail.
Du moins était-ce ce dont j’avais rêvé…
Et je n’étais pas le seul !
Avant même que les participants aient pu quitter la salle pour « s’aérer » quelques minutes, plusieurs dizaines de manifestants l’avaient envahie avec l’espoir de rencontrer le Ministre et de lui exprimer leur colère.
Le Comité de grève qui se bat depuis plusieurs mois pour éviter la fermeture du site PSA d’Aulnay-sous-Bois avait choisi ce mode d’expression pour se faire entendre. A défaut du Ministre, qui s’était décommandé au dernier moment, il y avait son représentant, Jean-Denis Combrexelle, Directeur Général du Travail, demeuré extrêmement calme dans la « tempête », pressé sans succès de téléphoner à Michel Sapin pour obtenir de sa part un rendez-vous, au milieu de huées et de slogans visant en termes extrêmement durs tous nos Dirigeants, passés, actuels et futurs, Président de la République compris.
Comme l’invasion de la salle de conférences, suivie d’un exposé sur la situation de PSA fait par le responsable CGT de l’usine, Jean-Pierre Mercier, interdisait de tenir la table ronde prévue, celle-ci fut remplacée, avec l’accord de François Desriaux (photographie ci-contre), par un débat improvisé avec les participants au Colloque, accompagné de témoignages des ouvriers en lutte, débat filmé par la CGT, accessible à partir du lien suivant, Débat improvisé avec les grévistes.
Nous n’allions parler ni du « bien-être au travail », ni de la « qualité de vie au travail », concepts théorisés au point de ne plus rendre compte du « travail réel », mais bel et bien de ce dernier et de ce que représente, pour un salarié licencié, la perte de son emploi après parfois plusieurs dizaines d’années passées au sein de « son » Entreprise.
Pas de discours théorique sur les bienfaits ou les méfaits du travail sur la santé mais des échanges pratiques sur une réalité dont on ne peut comprendre le caractère brutal et injuste que quand on la vit ou qu’on l’a vécue soi-même. Alors que le chômage touche aujourd’hui plus de 3 millions de personnes, combien de Français sont capables de comprendre les exclus et les laissés pour compte ? Combien en ont simplement l’envie ? Il est tellement plus facile et confortable, tellement plus lâche aussi, de fermer les yeux en faisant comme si c’était une situation banale, « normale » même…
Attaché aux principes de la démocratie, croyant aux vertus du dialogue, j’ai toujours détesté la violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste. Cela n’interdit pas de chercher à la comprendre car elle n’explose pas sans raison.
Le coup d’éclat des ouvriers de PSA au beau milieu de Rencontres consacrées aux conditions de travail dans la crise est le révélateur d’un mal beaucoup plus profond que ne l’imaginent la plupart de nos dirigeants et beaucoup de nos concitoyens : il marque de fait la rupture entre la base et ses élites supposées (ou prétendues telles), accusées d’être indifférentes, vénales, corrompues, pourries…
Il faut dire que l’actualité, avec l’affaire Cahuzac, illustration caricaturale de la Société actuelle, rend difficile un discours mesuré en la matière.
Nous avons, ici-même, à de nombreuses reprises, abordé les relations entre Management, Organisation du travail et Santé, dénoncé les atteintes à la dignité de l’Homme au travail, insisté sur la nécessité de développer des relations de Confiance au sein de l’Entreprise… Encore faut-il que le lien, très ténu, entre la France d’en-haut et la France d’en-bas, pour reprendre une expression connue, ne soit pas rompu. Que la majorité de la population n’ait pas le sentiment d’être abandonnée, sacrifiée sur l’autel des intérêts d’une minorité.
Jusqu’à quand faudra-t-il que, sous couvert du « politiquement correct », les victimes subissent leur souffrance en silence, contraintes à remiser tout affect pour ne pas porter atteinte à l’ordre « établi » (c’est-à-dire imposé par l’establishment) ?
Le désespoir, la désespérance, la détresse sont bel et bien là : le happening politico-syndical auquel je considère avoir eu la chance de participer en est la preuve.
Prenons garde à ne pas sous-estimer l’importance de manifestations de ce type car leurs effets pourraient être redoutables.
Quand des agneaux sont condamnés à se transformer en loups pour défendre leur travail et leur dignité, on doit redouter le pire.
Gabriel Paillereau
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Parmi les nombreux articles que nous avons consacrés au thème de la dignité de l’Homme au travail, on pourra relire notamment :
- Management de la Santé au travail : la cuisinière et le mangeur d’hommes
- Harcèlement au travail : Xavier, Yvette ou Zoë, tous menacés
- Relations Humaines et Santé au travail : le « syndrome du grille-pain »
- Risques psychosociaux : ceux qui en souffrent, ceux qui en parlent, ceux qui en vivent et ceux qui en meurent…
- Manager la Santé au travail par temps de crise : l’intervention de Davor Komplita (source : actuEL-HSE)
- Le burn out est un chagrin d’honneur
PS : je n’ai malheureusement pas réussi à mettre en ligne les vidéos que j’ai réalisées sur place avec mon téléphone portable mais je le ferai dès que j’aurai résolu le problème technique qui m’en empêche pour l’instant.
PPS : au moment même où j’apportais la dernière retouche à cet article, le Comité de grève s’invitait dans les mêmes conditions à la réunion du Comité national du Parti Socialiste, diffusée en direct sur LCP, dont viennent de rendre compte plusieurs médias, dont Libération, avec Des ouvriers de PSA Aulnay s’invitent au conseil national du PS, et la CGT Aulnay elle-même sur son propre site.
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