Santé au travail : Eva Joly répond à epHYGIE

La Santé au travail n’a pas fait la une des journaux pendant la Campagne électorale, c’est le moins qu’on puisse dire. Le courrier que je viens de recevoir d’Eva Joly, daté du 15 avril, en réponse aux questions que je lui avais posées au nom d’epHYGIE, n’en a que plus de valeur, d’autant que son contenu prouve une parfaite connaissance du dossier…

Contenu qui ne pourra qu’intéresser les Employeurs et les Salariés, directement concernés par les questions de Santé au travail, ainsi que tous les Professionnels, Médecins du travail en particulier, malmenés depuis des mois, et les encourager à ne pas désespérer de la Santé au travail.

GP

On trouvera ci-dessous les questions d’epHYGIE et les réponses d’Eva Joly :

epHYGIE : le système actuel de Santé au travail et de Prévention des risques professionnels est-il en accord avec ce que l’on sait des entreprises, de leur organisation et des risques qu’elles engendrent ?

Eva Joly : à l’évidence, non, si l’on prend comme critère de jugement l’évolution défavorable pour la santé des salariés des facteurs de risques les plus marquants ! Ainsi, le système de santé au travail n’a pas été capable d’empêcher la survenue de la catastrophe sanitaire de l’amiante et, finalement, la prise de conscience de l’ampleur du risque et de la nécessité de son interdiction se sont faites à l’initiative des victimes, parfois contre le système de prévention des risques professionnels. Plus près de nous et toujours d’actualité, l’épidémie de troubles musculo-squelettiques (TMS), entraînée par l’intensification du travail et l’émergence de modes d’organisation provoquant des gestes répétitifs sous forte contraintes de temps, progresse depuis plus de vingt ans. Et rien ne semble indiquer que cette situation est en voie d’amélioration. Ce constat vaut également pour la montée en puissance des risques psychosociaux et de la souffrance au travail.

Enfin, le système ne paraît pas du tout adapté aux salariés précaires, dont toutes les études ont montré qu’ils étaient les plus exposés à de multiples risques d’atteinte à leur santé. Et la réforme de juillet dernier des services de santé au travail n’améliore pas le suivi médical de ces populations.

epHYGIE : les modes d’organisation juridique et de gouvernance actuels sont-ils adaptés ? Quels devraient être la place et le rôle de chacun dans le système pour qu’il ait une efficacité maximale ? Ainsi, par exemple, l’Etat doit-il être acteur à part entière ou simple régulateur du système ? Quid également du paritarisme ?

Eva Joly : je crois que, d’une manière générale, il faut accorder une place plus importante qu’aujourd’hui à la négociation collective et revaloriser l’action et le rôle des corps intermédiaires, en particulier des organisations syndicales. Pour autant, on ne peut pas à la fois estimer que la santé au travail fait partie de la santé publique et considérer dans le même temps que l’Etat n’aurait pas son mot à dire. Les pouvoirs publics doivent veiller à ce que la santé au travail ne sorte pas des limites de l’ordre public social. Dans cette perspective, je suis favorable à la création d’un service public de santé au travail, comme le recommandait la mission d’information sur l’amiante, menée par l’Assemblée nationale. Cela permettrait également d’éviter une inévitable dérive commerciale des services de santé au travail dont on commence à voir les effets néfastes, la santé au travail devenant davantage un marché qu’une question d’intérêt général. Bien évidemment, la gestion de ce service public pourrait être tripartite – Etat, organisations de salariés, organisations d’employeurs.

epHYGIE : l’approche élargie vers la Santé publique et la Santé environnementale est-elle de nature à favoriser le développement de la Prévention ou risque-t-elle au contraire de provoquer des déperditions en raison de la diversité des enjeux, ainsi que de la multiplicité et de la dispersion des acteurs concernés (et parfois même de leur opposition) ? Quid également du Bien être au travail ?

Eva Joly : sur certains aspects, il peut y avoir une complémentarité entre l’approche santé environnementale et l’approche santé au travail, les polluants, par exemple, se retrouvant dans les deux univers. Cela a été le cas avec l’amiante. De même, l’application de certains principes de la santé publique à la santé au travail, comme la séparation entre les responsabilités de recherche sur les risques, d’évaluation des risques et de gestion de ces derniers a constitué une amélioration notoire lorsqu’elle s’est appliquée à travers la création de l’Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, devenue depuis l’Anses). Mais l’activité de cette agence est limitée aux questions d’expositions physico-chimiques et le thème des facteurs de risques organisationnels (donc, entre autres, de la santé mentale et du bien être au travail) en est exclu.

Si votre question concerne l’activité des services de santé au travail, il me semblerait dangereux d’élargir leur champ d’activité à la santé environnementale et à la santé publique. Le risque serait grand – surtout avec la mise en œuvre de la réforme actuelle et le rôle prépondérant donné aux directions des services contrôlées par les employeurs – d’orienter l’activité des médecins du travail
et des IPRP vers la prévention des risques liés au comportement comme les addictions au tabac ou à l’alcool et de laisser de coté les risques professionnels.

epHYGIE : la logique de la « marchandisation » des échanges de produits et de services, qui s’étend aujourd’hui aux services dits « publics », à travers le développement de la concurrence, aux plan national et international, peut-elle s’étendre sans dommage au domaine de la Santé en général et de la Santé au travail en particulier ? Quid en particulier dans le domaine des risques psychosociaux?

Eva Joly : non, bien sûr ! Il suffit de constater la souffrance au travail qui gagne les services publics qui ont vu leur mission se transformer en activité plus ou moins commerciale, ou qui, sous l’effet de la RGPP, ont vu le sens du travail des agents se transformer. Regardez ce qui se passe à France-Télécom, à La Poste, aux Eaux et Forêts, dans les hôpitaux publics même, où, dans certains établissements de l’AP-HP a été introduit le lean management. Dans ces services, les méthodes managériales sont sans doute discutables, mais je crois que la souffrance éthique vécue par les salariés ou les fonctionnaires, qui ne peuvent plus se reconnaître dans le travail qu’on leur demande de fournir, est l’une des principales raisons des atteintes à leur santé mentale. Pour ma part, je souhaite que la notion de service public retrouve du sens. C’est le meilleur garant du plaisir au travail des agents.

epHYGIE : les progrès de la Santé au travail dans les prochaines années dans le sens de la mise en place d’une véritable stratégie prospective en la matière passent-ils nécessairement par l’intégration de la Responsabilité Sociale des Entreprises et du Développement dit « durable » ?

Eva Joly : cela peut jouer un rôle protecteur si la RSE et le développement durable ne sont pas simplement des éléments marketing ou de communication masquant une réalité bien différente.

De façon générale, sur la question de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels, sachez que cela constitue l’une de mes priorités d’action. On ne peut pas avoir l’ambition de défendre un programme qui s’intitule « Vivre mieux » et laisser de coté la question des conditions de travail, et de ses conséquences sur la santé et le bien être des salariés. Ces vingt dernières années, le travail n’a jamais été autant attaqué, rationalisé, pressurisé, sous l’effet de la financiarisation de l’économie, de la réduction des coûts de production, de la persistance d’un chômage de masse et de la disparition des collectifs de travail. « La France qui se lève tôt » ne se reconnaît plus dans son travail. Déjà, il est impératif de revenir sur la réforme des retraites et de mettre en place un vrai dispositif de réparation et de prévention de la pénibilité, qui compense la perte d’espérance de vie des salariés exposés à certaines contraintes. Dans le même ordre d’idées de la compensation, je compte bien revenir sur la vieille loi de 1898 concernant la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles et la faire évoluer vers la réparation intégrale des préjudices des victimes du travail. Ensuite, il faut se donner les moyens d’une meilleure effectivité du droit. Et, troisième axe, il faut davantage de démocratie dans l’entreprise, donner davantage de pouvoir au CHSCT et faire revivre le droit d’expression des salariés sur leurs conditions de travail.

Gabriel Paillereau

Copyright epHYGIE avril 2012

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