Cette offre de services est-elle disponible en France ?
Pas à ma connaissance. En tout cas pas pour l’instant. Mais cela ne signifie pas qu’il n’existe pas d’offres analogues sur notre marché : il n’est d’ailleurs nul besoin de chercher très loin sur internet pour en trouver.
En tapant « Santé au travail » ou « réforme de la Santé au travail », apparaissent immédiatement, en haut et en bas de page, les annonces de certaines Mutuelles et Compagnies d’assurances qui investissent des moyens considérables dans la Santé au travail, leurs actions de promotion étant aujourd’hui boostées par la mise en place obligatoire de la complémentaire santé au bénéfice de tous les salariés à compter du 1er janvier 2016.
C’est notamment le cas de l’une des principales Mutuelles françaises, Malakoff Médéric (dont, ironie du sort, l’annonce apparaît juste au-dessus de l’adresse du site d’epHYGIE, tout en haut de la première page Google consacrée à la réforme de la Santé au travail !), la première à avoir investi massivement le champ de la Santé au travail, pour l’essentiel à partir de 2007, démarche devenue beaucoup plus visible au début de l’année 2009, comme l’atteste un article de Christophe Bys publié le 14 janvier 2009 par l’Usine Nouvelle (NDLR : cet article, que j’avais pris le soin d’enregistrer alors sous format PDF, Sarkozy veut améliorer la santé au travail, est toujours accessible, près de 7 ans après (!), sur le site du journal, dans sa version numérique originale, Sarkozy veut améliorer la Santé au travail), qui, après sa diffusion immédiate par mes soins à qui de droit, avait provoqué de très sérieux remous dans le petit monde des Services interentreprises de Santé au travail, alors que commençait la négociation entre les Partenaires sociaux visant à réformer le système…
La place qu’occupe aujourd’hui Malakoff Médéric dans le champ de la Santé au travail est le fruit d’une stratégie à long terme entamée en fait dès 2006 avec l’arrivée de Guillaume Sarkozy à la tête du Groupe Médéric, immédiatement suivie, à son initiative, des Entretiens Médéric, organisés à Deauville les 16 et 17 novembre 2006, ayant pour thème « Le travail, c’est la santé ! ». Je m’en souviens d’autant mieux que j’y étais intervenu en compagnie d’invités prestigieux, Mireille Jarry, alors adjointe de Jean-Denis Combrexelle à la DGT, Philippe Askénazy, Eric Albert, Marc Loriol… Ce dernier y avait d’ailleurs fait une intervention remarquée, intitulée « Je stresse donc je suis »…
J’ai eu l’occasion de faire référence à ces Entretiens dans l’article Le Bien-être au travail, un défi dans la crise : analyse et commentaires des 3èmes Rencontres parlementaires sur la Santé au travail (GP-3/3), publié le 24 avril 2013 sur notre site, dont la relecture ne manque pas d’intérêt dans le contexte actuel. Y évoquant justement l’intervention d’Eric Albert, j’avais alors écrit : « Même chose pour Eric Albert, Psychiatre, Dirigeant de l’Institut Français d’Action sur le Stress (IFAS), qu’on a connu moins discret et plus original dans d’autres occasions, comme les « Entretiens Médéric » organisés à Deauville par le Groupe Médéric les 16 et 17 novembre 2006, intitulés « Le Travail, c’est la Santé », où nous avions partagé l’honneur d’intervenir en compagnie notamment de Marc Loriol et de Mireille Jarry. Une première pour la Mutuelle, dont Guillaume Sarkozy venait de prendre la tête, qui marquait ainsi un intérêt très fort pour la Santé au travail qui ne s’est pas démenti depuis… Anne-Sophie Godon, Directrice prévention et nouveaux services de Malakoff-Médéric, citée plus haut, figurait d’ailleurs parmi les participants des Rencontres parlementaires. »
Après la fusion avec le Groupe Malakoff, suivie d’une courte pause, toute relative, il y a quelques années, la place du Groupe Malakoff Médéric en Santé au travail s’est considérablement renforcée, grâce à une campagne médiatique tous azimuts valorisant de très nombreuses actions ciblant les Entreprises, actions regroupées aujourd’hui sous le titre général Des programmes pour répondre aux enjeux des Entreprises, qui apparaissent proches de celles proposées par la Société canadienne HomeWood.
La participation, toute récente, de Malakoff Médéric à la création de la nouvelle chaire du CNAM, Entreprises et Santé, explicitée dans un Communiqué de presse daté du 15 octobre 2015, Malakoff Médéric et le Cnam créent la Chaire Entreprises et santé, symbolise pleinement cette montée en puissance que rien ne semble pouvoir arrêter.
On peut lire notamment, sous la plume de William Dab, Directeur de la chaire, que « L’objectif de la chaire que nous inaugurons aujourd’hui est de créer des liens de confiance et une intelligence collective afin que la santé devienne un atout stratégique pour le monde du travail. », et, sous la plume, cette fois, de Guillaume Sarkozy, Délégué général de Malakoff Médéric, que « Tous les acteurs internes et externes à l’entreprise doivent pouvoir s’approprier cet enjeu, identifier leurs champs d’action et les bénéfices qu’ils peuvent en retirer. C’est à cette condition que nous pourrons intégrer durablement les services de prévention à notre modèle économique. »
La conclusion du Communiqué est parfaitement claire :
« Depuis plusieurs années, Malakoff Médéric poursuit la transformation de son métier et développe une démarche stratégique innovante autour de la santé, du bien-être et de la performance en entreprise. 2015 marque la concrétisation de cette stratégie avec le lancement d’Entreprise territoire de santé, une démarche visant à promouvoir des solutions efficaces en matière de prévention et de gestion du risque.
Avec cette démarche, Malakoff Médéric associe des services innovants aux garanties d’assurance en santé et prévoyance de tous ses contrats pour répondre aux grands enjeux des entreprises et permettre aux salariés de préserver leur capital santé et de gérer au mieux leurs dépenses.
Concrètement, la démarche est articulée autour de quatre grands programmes – Maîtriser le coût du contrat, Réduire l’absentéisme, Accompagner les salariés en difficulté et Faire des obligations réglementaires un levier de performance – composés de services personnalisés en fonction de la taille de l’entreprise, de son secteur d’activité, du profil de ses salariés et de sa situation géographique.
Innovation majeure dans la relation entre l’assureur, les entreprises et les salariés, Entreprise territoire de santé conçoit la protection sociale comme un investissement pour en faire un levier de performance. ».
Avant même la création de la nouvelle chaire, depuis le mois d’avril précisément, le CNAM avait commencé à former 400 collaborateurs commerciaux de Malakoff Médéric aux enjeux de Santé au travail, pour qu’ils aillent porter la « bonne parole », celle de la Prévention, sur le terrain, au contact direct avec les Entreprises.
Devra-t-on, à l’issue de leur formation, considérer ces « évangélistes » d’un nouveau genre comme des Professionnels de la Santé au travail ? Ou seront-ils simplement des VRP chargés avant tout de développer un marché ?
De son côté, la CGPME a signé récemment une convention de partenariat avec l’autre mastodonte mutualiste, Harmonie Mutuelle, comme on peut le lire sur le site de la deuxième Organisation représentative des Employeurs, La CGPME, via APRIL Entreprise et Harmonie Mutuelle, lance Santé PME, à travers un Communiqué de presse daté du 4 novembre 2015, Complémentaire santé obligatoire : la CGPME, via APRIL Entreprise et Harmonie Mutuelle, lance « Santé PME® », un dispositif simple et clair qui accompagne les PME/TPE.
Ces deux exemples montrent bien l’intérêt des Mutuelles pour la Santé au travail et attestent d’une évolution historique de cette dernière, dans des conditions qui ne manquent pas de poser une question de fond, exprimée clairement dans un commentaire reçu à la suite de la publication de la première partie de cet article, reproduit ci-dessous :
« La démarche canadienne à dû faire des émules ! Il suffit de consulter le site du « 5ème groupe de protection sociale en France » (https://www.apicil.com) et la présentation du projet « Ambition santé », qui, selon la vidéo de présentation, « est un programme de santé au travail qui vise à améliorer la santé physique et psychologique des salariés et répond aux obligations légales des entreprises. Il est personnalisé et adapté à tous les types d’entreprises, quel que soit le nombre de salariés ».
On peut légitimement se demander de quelles « obligations légales » fait état cet assureur, qui ne répond pas à l’obligation d’être une structure sans but lucratif (c’est une société par actions) et n’a pas pour objet exclusif d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, et n’est donc pas un service de santé au travail tel que le définit le Code du travail.
Le discours est ambigu, tant dans la présentation que dans les objectifs. A lire le détail sur le site, l’impression générale est que l’approche assurantielle individualisée est privilégiée et que les actions collectives de prévention des risques professionnels sont quasi-absentes de la prestation proposée. »
Il est vrai qu’en proposant des rabais substantiels sur leurs tarifs aux Entreprises qui acceptent de « signer » des contrats incluant des actions de prévention, les Assureurs, dont les moyens sont colossaux, sont évidemment beaucoup plus attractifs que les Associations de Santé au travail, dont le service est souvent considéré comme une charge supplémentaire ; peuvent-ils prétendre lutter à armes égales quand la prévention est synonyme de remise, voire de cadeau, d’un côté, et de dépense supplémentaire (quand elle n’est pas jugée inutile) de l’autre…
La réalité est évidemment beaucoup plus complexe : les arguments des Assureurs ne sont probablement pas toujours aussi « purs » et désintéressés qu’ils cherchent à les faire apparaître et les prétendues « insuffisances » des Services de Santé au travail interentreprises que certains se plaisent à dénoncer pour justifier une nouvelle réforme du système de Santé au travail sont loin d’être aussi criantes qu’on cherche à le faire croire.
Raison de plus pour que les questions posées reçoivent des réponses précises, des Pouvoirs publics en particulier, ce qui, pour l’instant, est loin d’être le cas. On peine en effet à cerner leur position réelle, tant elle semble marquée par un attentisme flou qui n’a rien d’artistique, à moins qu’ils ne soient déjà, sans le dire, acquis tant à la transposition législative et réglementaire des conclusions de la Mission Issindou et à la simplification chère à Emmanuel Macron (ce que l’on sait déjà), qu’à l’entrée massive des Assureurs dans le champ de la Santé au travail (ce qu’on ignore), laquelle serait une révolution et même un séisme pour le système issu de la loi du 11 octobre 1946.
Fin de la deuxième partie (2/3)
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 26 novembre 2015
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PS ( jeudi 3 décembre à 15 heures 15) : même si l’information doit être assortie de sérieuses réserves, il semble que des changements importants se préparent au sein du Groupe Malakoff Médéric, dont le rapprochement avec la Mutuelle Générale ne se ferait pas en toute sérénité. Ces changements pourraient se traduire par la mise à l’écart de Guillaume Sarkozy, comme le rapportaient différents médias depuis la fin de la semaine dernière (voir notamment l’article du Monde, Guillaume Sarkozy débarqué de Malakoff Médéric), et comme l’affirme aujourd’hui le site Planet.fr, citant le Canard Enchaîné, dans un article intitulé Nicolas Sarkozy : son grand frère viré « sèchement » de son emploi.
Dossier à suivre de très près, naturellement, même s’il est peu probable, en cas de confirmation du départ de Guillaume Sarkozy, que la stratégie du Groupe Malakoff Médéric soit remise en cause.
GP
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