Le (mauvais) sort en est jeté : comme on pouvait s’y attendre, le Gouvernement a été globalement incapable de rééquilibrer un projet de loi mal ficelé, présenté comme venant du Ministère du travail alors qu’il venait tout droit des Services du Premier Ministre.
Son contenu initial était tel qu’on en avait attribué la paternité au MEDEF : le texte était alors considéré comme le projet de loi Gattaz…
Première réécriture notable, celle du Secrétaire Général de la CFDT : le texte devient le projet de loi Berger…
Et depuis ? Tout est allé de mal en pis, les rafistolages successifs ayant eu pour seul effet notable de grossir les rangs des opposants… Et de provoquer des désordres inconnus depuis des lustres.
Heureusement, tout va bien. Tout va même de mieux en mieux… Et le texte est équilibré, parfait même. La preuve de cet « équilibre » est lumineuse : il a provoqué l’hostilité à gauche comme à droite, dans les Organisations syndicales comme dans les Organisations patronales. Que demander de mieux ? CQFD…
C’est sans doute pour cela qu’on a préféré ne pas perdre de temps en vaines discussions.
Nous voilà donc avec un texte adopté en bloc, sans débat ni vote, grâce à l’article 49-3, puisque la motion de censure présentée par l’opposition n’a pas réuni le nombre de voix nécessaire à son adoption.
Sans surprise donc ?
Quoique…
En effet, une « hénaurme » surprise a été glissée in extremis dans le corps du texte du Titre V relatif à la modernisation de la Médecine du travail. On peut y lire en effet :
1° bis (nouveau) Les quatrième et avant-dernier alinéas de l’article L. 4622-11 sont ainsi rédigés :
« Le président et le trésorier sont élus en alternance parmi les représentants mentionnés aux 1° et 2°.
« En cas de partage des voix lors de la première élection, le président est élu au bénéfice de l’âge. Le président dispose d’une voix prépondérante. Il doit être en activité. » ;
1° ter (nouveau) Après le mot : « parmi », la fin de la seconde phrase du 2° de l’article L. 4622-12 est ainsi rédigée : « ses membres. » ;
Plus qu’une surprise, c’est une véritable révolution qui vient d’être introduite dans la Code du travail : désormais, la Présidence des Services interentreprises de Santé au travail sera assurée alternativement par un représentant du Collège « Employeurs » et par un représentant du Collège « Salariés », avec, dans l’un et l’autre cas, une voix prépondérante accordée au Président en cas d’égalité de voix…
A côté de ce changement en forme de séisme, l’alternance au poste de Trésorier ou le fait que le Président de la Commission de Contrôle puisse être désormais élu parmi ses membres apparaissent bien dérisoires.
J’ai parlé de « révolution ». Mieux vaudrait sans doute parler de « bombe » car rien ne laissait prévoir une telle modification, c’est le moins que l’on puisse dire, étant donné les propos tenus à ce sujet par Christophe Sirugue et Michel Issindou lors de la discussion de l’amendement présenté par Gérard Sébaoun en Commission des Affaires sociales.
J’en avais rappelé le contenu dans un précédent article, Réforme de la Santé au travail : habillage et babillage sont les deux mamelles de la désinformation : « M. Michel Issindou. J’ignore si je faisais partie des cosignataires en 2011, mais on ne peut pas imposer ce changement par un amendement, aussi intelligent soit-il. Au cours des auditions que j’ai menées ces derniers temps, cette demande n’est jamais venue dans la bouche des organisations syndicales les plus représentatives. Je sais bien qu’elle est exprimée par un syndicat en particulier, que vous connaissez mieux que moi, monsieur Sebaoun. Mais, pour les autres, ce n’est pas le sujet du jour.
Nous n’avons pas intérêt à rouvrir un débat sur la gouvernance, alors que nous avons déjà des difficultés à imposer une modernisation de la médecine du travail. J’ai d’ailleurs toujours dit que la réforme de 2011, qui a introduit la pluridisciplinarité, allait dans le bon sens, monsieur Accoyer, même si nous nous sommes parfois opposés sur d’autres points. Si nous adoptons cet amendement, nous allons déclencher une révolution au Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) et ailleurs. Cette question doit être discutée entre les partenaires sociaux. Il ne nous appartient certainement pas de la trancher. Nous sommes pour le dialogue et le partenariat.
M. le rapporteur. J’assume ma position. Je plaide pour que cette question soit traitée dans le cadre de la négociation. L’amendement étant maintenu, je lui donne un avis défavorable ».
Le Gouvernement a donc opéré un virage à 180 degrés en adoptant une position qui ressemble à s’y méprendre à celle exprimée par Gérard Sébaoun dans l’amendement AS 335, hier inacceptable, aujourd’hui bienvenu…, dont la rédaction est reproduite ci-dessous :
« Les quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 4622‑11 du code du travail sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le président et le trésorier sont élus pour un mandat de trois ans, l’un parmi les représentants des organisations professionnelles d’employeurs et l’autre parmi ceux des organisations syndicales de salariés, en alternance. En cas de partage des voix lors de la première élection, le président est élu au bénéfice de l’âge.
« En cas de partage des voix, le président dispose d’une voix prépondérante.
« Il doit être en activité. ».
Qu’en penser ? Remords ? Prise de conscience d’une erreur ou d’un oubli ? Volonté de faire plaisir à un opposant résolu mais non frondeur ? Désir de s’attirer les bonnes grâces de certaines Organisations syndicales ?
On n’a sûrement pas fini d’en entendre parler car s’il y a une mesure et une seule que les Services de Santé au travail ne sont absolument pas disposés à accepter, c’est celle-là !
J’y reviendrai plus longuement (comme je reviendrai naturellement sur la totalité du Titre V dans la mesure où je n’ai pas eu le temps de l’analyser de façon détaillée pour y découvrir éventuellement d’autres « surprises), mon seul souci étant, avec cet article, de donner le plus vite l’information aux personnes intéressées.
Du coup, le discours de Michel Issindou et de Christophe Sirugue devant la Commission des Affaires sociales, reproduit plus haut, tout à la fois contradictoire, surréaliste et… prémonitoire, a une saveur particulière, car, comme l’a estimé « finement » Michel Issindou, qui ne pensait probablement pas si bien dire, « si nous adoptons cet amendement, nous allons déclencher une révolution au Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) et ailleurs… »
La « révolution » au COCT et ailleurs est bien pour demain…
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 13 mai 2016
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Texte intégral de la loi El Khomri après adoption avec l’article 49-3
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