J’ai eu l’occasion de développer à de nombreuses reprises le thème de la simplification des formalités administratives appliquée à la Santé au travail.
Pour m’en tenir à l’article le plus récent, « L’allègement des charges vu par la Commission européenne », j’avais présenté, à titre d’illustration, l’article 46 de la « Proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives » concernant l’évaluation et la prévention des risques et leur traduction dans le document unique.
Rappelons que ce texte avait été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 18 octobre 2011 puis rejeté en première lecture par le Sénat dans sa séance du 10 janvier 2012. Comme il n’avait pu faire l’objet d’un texte commun dans le cadre de la Commission mixte paritaire, réunie le 18 janvier 2012, il était revenu en discussion devant l’Assemblée Nationale, qui l’avait adopté en nouvelle lecture le 31 janvier 2012, avant un deuxième rejet par le Sénat lors de sa présentation en nouvelle lecture le 20 février 2012.
L’Assemblée Nationale l’a finalement adopté en lecture définitive le 29 février 2012, et, si le Conseil Constitutionnel a bien annulé certaines de ses dispositions, l’article relatif à l’évaluation des risques professionnels a, lui, été définitivement validé.
De quoi retourne-t-il exactement ?
Jusqu’alors, l’évaluation des risques professionnels reposait sur l’article L 4121-3 du Code du travail, dont la rédaction était la suivante :
Article L. 4121-3
L’employeur, compte tenu de la nature des activités de l’établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris dans le choix des procédés de fabrication, des équipements de travail, des substances ou préparations chimiques, dans l’aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations et dans la définition des postes de travail.
A la suite de cette évaluation, l’employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Il intègre ces actions et ces méthodes dans l’ensemble des activités de l’établissement et à tous les niveaux de l’encadrement.
A travers son article 53, la loi lui a ajouté l’alinéa suivant :
Lorsque les documents prévus par les dispositions réglementaires prises pour l’application du présent article doivent faire l’objet d’une mise à jour, celle-ci peut être moins fréquente dans les entreprises de moins de onze salariés, sous réserve que soit garanti un niveau équivalent de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat après avis des organisations professionnelles concernées.
La modification apportée est de taille puisqu’elle allège une obligation, celle d’évaluer les risques professionnels dans le « Document unique », pour toutes les Entreprises de moins de 11 salariés. Elle répond donc très exactement aux nouvelles orientations européennes, en totale contradiction, soit dit en passant, avec le Directive cadre du 12 juin 1989.
Vu sous le seul angle de la simplification des formalités administratives, ce changement peut apparaître une bonne chose, mais, comme je l’avais écrit, « la simplification envisagée revient à considérer de facto la Santé/Sécurité au travail comme une variable d’ajustement parmi d’autres, ce qui, dans un pays comme la France, doté depuis plus de 60 ans d’un système de Santé au travail développé, et, quoi qu’on dise, performant, ne peut qu’apparaître choquant car synonyme de régression sociale ».
L’Europe l’a voulu ; la France l’a fait…
Les Entreprises les plus petites, c’est-à-dire celles où, si l’on en croit les statistiques officielles, le degré de maîtrise des risques professionnels est le plus faible, vont se trouver dégagées d’obligations jugées superflues, au détriment de la Santé/Sécurité des Salariés bien sûr, mais aussi, contrairement à ce que beaucoup pensent, au détriment des Entreprises elles-mêmes, en raison de l’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur elles.
La loi a certes été confirmée par le Conseil Constitutionnel mais est-on bien certain qu’à terme, la Jurisprudence ne viendra pas se mettre en travers, en se fondant sur le fait qu’une « simplification des formalités administratives » ne saurait constituer un argument suffisant pour mettre en danger la santé d’autrui…
Un bel exemple en tout cas de la déréglementation en cours, dont on peut redouter, sans jouer les oiseaux de mauvais augure, qu’elle ne conduise à la pose d’une multitude de bombes (à eau) à retardement…
Pour reprendre l’image que j’avais utilisée dans l’article précédent, les Gremlins passent à l’attaque…
Gabriel Paillereau
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