Réforme de la Médecine du travail : avec le 49-3, nouveau changement des modalités de calcul des cotisations !

euros 2Décidément, le mode de calcul des cotisations pose de sacrés problèmes et se trouve à l’origine d’un feuilleton rocambolesque !

Sans doute certains se sont-ils réjouis trop tôt à la lecture du projet de loi issu de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.

J’avais d’ailleurs souligné dans un précédent article, Du Congrès à l’Assemblée nationale en passant par le Sénat, le feuilleton de la réforme se poursuit : Amour, mensonges et vidéo (deuxième épisode), les conditions pour le moins surprenantes dans lesquelles Christophe Sirugue avait fait adopter l’article 44 bis A, article additionnel voté par le Sénat malgré l’avis défavorable de Myriam El Khomri :

« Mme Myriam El Khomri, ministre. – Avis défavorable. Le Gouvernement s’efforce de promouvoir le principe de cotisation per capita. En outre, il n’y a pas eu concertation des partenaires sociaux. »

J’ajoutais :

« Il apparaissait pratiquement impossible, dans ces conditions, pour les raisons présentées plus haut, que cette disposition survive à son passage à la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. C’était sous-estimer la capacité du Gouvernement à se contredire.

Quitte à désavouer sa Ministre… Et désaveu il y a bien eu, comme le révèle le Rapport de Christophe Sirugue, dont j’ai extrait les lignes qui suivent :

« Article 44 bis A (Art. L 4622-6 du code du travail

Modalités de calcul des dépenses des services de santé au travail

Adopté par le Sénat en séance publique à l’initiative de M. Michel Amiel (RDSE), cet article vise à modifier les modalités de calcul des dépenses relatives aux services de santé au travail.

L’article L. 4622-6 fixe les conditions de répartition des frais lorsqu’est institué un service commun à plusieurs entreprises. Il dispose que « ces frais sont répartis proportionnellement au nombre des salariés ».

Prenant acte du fait que nombre d’entreprises ne respectent pas ce principe de calcul, le Sénat entend modifier l’état du droit en vigueur pour l’adapter à la pratique. Il autorise ainsi une répartition des frais selon la masse salariale ou une répartition combinant masse salariale et nombre de salariés, faisant prévaloir ainsi une liberté de choix aux entreprises.

La Commission adopte l’article 44 bis A sans modification. »

Vous avez bien lu. Ce qui était réputé inacceptable par la Ministre, justifiant un avis défavorable de sa part devant le Sénat, il y a quelques jours seulement, a été accepté sans coup férir par la Commission des Affaires sociales.

A toute vitesse et sans aucun débat, dans la précipitation et même avec une hâte suspecte, comme le prouve la vidéo visible sur le site du Sénat. »

Dans l’article publié hier, je précisais ma pensée :

« (La messe est dite), comme elle l’est probablement aussi sur la question des cotisations, qui ont déjà fait l’objet, sur notre site, de plusieurs articles.

[…]

C’est donc une double satisfaction que peuvent éprouver aujourd’hui les responsables des Services de Santé au travail interentreprises ; les voilà en effet libérés d’un poids dont la justification était douteuse à leurs yeux.

Sont-ils dégagés de tout souci pour autant ? Ce n’est pas sûr car, rappelons-le, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question des cotisations, par l’arrêt n° 365071 du 30 juin 2014, dans un sens contraire à la position adoptée par le Sénat et l’Assemblée nationale.

[…]

Très curieusement, sauf erreur de ma part, cet Arrêt n’a été cité à aucun moment, que ce soit par Myriam El Khomri, par les Rapporteurs du projet de loi à l’Assemblée nationale et au Sénat, ou par les Députés et les Sénateurs. Il serait très étonnant qu’il ne ressurgisse pas, une disposition adoptée dans les conditions abracadabrantesques que nous avons connues (c’est-à-dire malgré l’avis défavorable de la Ministre en personne, il est utile de le rappeler) ne pouvant selon moi remettre en cause, sans qu’il en soit débattu, une Décision de la plus haute juridiction administrative de notre pays. »

Et ce qui devait arriver arriva : ce qui pouvait être considéré comme un désaveu public de Madame la Ministre ou une entreprise suspecte de compromission avec les Sénateurs d’en face n’était semble-t-il qu’une « erreur », une vraie celle-là, l’amendement 1304 du Gouvernement ayant opportunément rétabli la règle de « droit » rappelée par la Circulaire de Jean-Denis Combrexelle, alors Directeur général du travail, confirmée par la Conseil d’Etat, évitant ainsi d’avoir à expliquer un surprenant virage à 180 degrés devant la Chambre sociale du Conseil d’Etat présidée par… Jean-Denis Combrexelle.

Exit en conséquence, et probablement de façon définitive cette fois, une « ouverture » pourtant pertinente et moderne, sur la base d’une argumentation pour le moins discutable, la présentation des « vertus » du système fondé sur les cotisations « per capita » relevant davantage d’une approche idéologique et… de la méthode Coué que d’une comparaison objective des deux systèmes (per capita et en pourcentage de la masse salariale) :

« Cet amendement a pour objet de supprimer la possibilité, introduite par amendement lors de la séance du Sénat, de mettre en place un financement des services de santé au travail interentreprises (SSTI) assis, au choix, sur le nombre de salariés (« per capita »), la masse salariale ou une combinaison des deux.

La mise en place d’une modalité de financement portant sur une assiette uniforme, « per capita » des SSTI, a permis de réduire les disparités dans la tarification pratiquée par les SSTI. Elle rend ainsi les cotisations par salarié comparables entre services, ce qui contribue à leur transparence et leur lisibilité pour les entreprises.

Il s’agit d’un travail d’unification de la forte diversité des tarifications engagé par le ministère chargé du travail et qu’il convient de mener à son terme, comme l’a pointé la Cour des comptes dans son rapport de 2012, intitulé « Les services de santé au travail interentreprises : une réforme en devenir ».

Le système actuel dit du « per capita », fondé sur le nombre de salariés, est par ailleurs neutre et équitable. En outre, ce système n’interdit pas des marges de souplesse en permettant aux SSTI de mettre en place des taux de cotisations différenciés, selon la nature des expositions des salariés ou de la surveillance.

Enfin, cette question n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les partenaires sociaux. »

On notera, sans aucune malice évidemment (!), que si cet argumentaire précise bien que « la possibilité de mettre en place un financement des services de santé au travail interentreprises (SSTI) assis, au choix, sur le nombre de salariés (« per capita »), la masse salariale ou une combinaison des deux » a été introduite par amendement lors de la séance du Sénat, il s’accompagne d’un gros mensonge par omission en « oubliant » de rappeler que cette « possibilité » a bel et bien été validée par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale !

Les responsables des SSTI qui s’étaient réjouis à la lecture du texte élaboré par Christophe Sirugue se sont trompés. C’était une erreur…

Pour le reste, les amendements du Gouvernement et du Rapporteur ne changent pas grand-chose au texte issu des travaux de la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, comme le montre le document présentant la rédaction de l’article 44 après le deuxième recours au 49-3.

Si on y ajoute le tableau comparatif des versions successives de l’article 44 (AN 1er 49-3, Sénat et AN avant 2ème 49-3), extrait du comparatif général du projet de loi établi par le Rapporteur, on dispose désormais d’une vision assez claire de ce que devrait être le futur texte, le nouveau passage devant le Sénat puis l’adoption définitive par l’Assemblée nationale ne devant être (normalement) que des formalités.

Mais sait-on jamais ?

Ce texte ayant été à l’origine de surprises à répétition, pourquoi ne pas en imaginer d’autres ?

Gabriel Paillereau
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Pour accéder aux toutes dernières versions des textes après le 49-3, cliquer sur les liens suivants :

Projet de loi El Khomri adopté par l’Assemblée nationale après le deuxième 49-3 
(Le titre V consacré à la modernisation de la Médecine du travail se trouve aux pages 172 à 180)

Contenu de l’article 44 du Projet de loi après le deuxième 49-3
(Les amendements du Gouvernement et du Rapporteur ajoutés avant le deuxième 49-3 sont accessibles à partir du titre encadré de ce document)

Tableau comparatif des trois versions antérieures au deuxième 49-3
(Voir en particulier le bas de la page 27 et le haut de la page 28, qui attestent de l’adoption, par la Commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, des dispositions relatives aux cotisations votées par le Sénat, finalement retirées par l’amendement 1304 du Gouvernement avant le deuxième recours au 49-3)

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