Il est indispensable de fouiller, de fouiner, pour espérer trouver des « pépites », en l’occurrence des textes qui dessinent l’évolution de notre système de Santé au travail, qui souffre depuis de nombreuses années du peu d’intérêt que lui portent nos responsables. J’ai donc fouillé, fouiné, ce qui m’a permis de découvrir le texte ci-dessous :
« Les agences régionales de santé au travail (ARST) sont chargées de mettre en œuvre, au niveau régional, la politique de Santé au travail définie par le Gouvernement, d’analyser et de coordonner l’activité des Services de Santé au travail, d’entreprise et interentreprises, de conclure avec eux des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens et de déterminer leurs ressources.
Elles s’appuient sur les travaux des CSPRP régionaux qui définissent annuellement les priorités régionales de santé au travail et sur les avis des observatoires régionaux de santé au travail (ORST).
Elles élaborent, en partenariat avec tous les professionnels de la santé au travail, les schémas régionaux de l’organisation de la santé au travail qui tracent, tous les cinq ans, le cadre de l’évolution de l’offre de prévention des Services de Santé au travail en adéquation avec l’ensemble du système de prévention et, plus généralement, du système de santé dans son ensemble. »
On y retrouve à peu près tout ce qui caractérise le système actuel, avec les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (les fameux CPOM), les Agences régionales, les Comités régionaux, les schémas régionaux d’organisation…
Mais quel peut bien être ce texte qui colle si bien à notre réalité ? Scoop ou pas scoop ? Est-il extrait d’un document de travail du Ministère ? Ou du COCT ? Préfigure-t-il, en précisant le cadre actuel de la Santé au travail, celui de la réforme à venir ?
Autant de « bonnes questions » qui appellent une réponse très simple : pas du tout…
Vous n’y êtes pas du tout !
Vieux de près de 12 ans, puisqu’il date de juillet 2004, il est le fruit d’un exercice de « politique de santé au travail-fiction » auquel je m’étais livré. Je n’avais fait alors que transposer, en l’appliquant à la Santé au travail, un extrait de la page d’accueil de www.parhtage.sante.fr, site aujourd’hui disparu, qui était celui des Agences Régionales de !’Hospitalisation (ARH), auxquelles ont succédé les Agences Régionales de Santé (ARS).
Quelques mots échangés et le tour était joué : je disposais un texte « institutionnel » plus vrai que nature…
On trouvera ci-dessous la page d’accueil originale, dans laquelle j’avais simplement supprimé certains termes propres au jargon du Ministère de la Santé pour les remplacer par d’autres, propres à la Santé au travail :
[…] « Les agences régionales de l’hospitalisation (ARH) sont des groupements d’intérêt public associant l’Etat et l’assurance maladie.
Elles ont été créées par l’ordonnance du 24 avril 1996 et sont devenues opérationnelles au cours du premier trimestre 1997.
Les ARH sont chargées de mettre en œuvre, au niveau régional, fa politique hospitalière définie par le Gouvernement, d’analyser et de coordonner l’activité des établissements de santé publics et privés, de conclure avec eux des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens et de déterminer leurs ressources.
Elles s’appuient sur les travaux des conférences régionales de santé qui définissent annuellement les priorités régionales de santé et sur les avis des comités régionaux de l’organisation sanitaire (CROS).
Elles élaborent, en partenariat avec tous les professionnels de santé, les schémas régionaux de l’organisation sanitaire qui tracent, tous les cinq ans, le cadre de l’évolution de l’offre de soins hospitalière en adéquation avec l’ensemble du système de santé.
Instances de coordination, les agences font appel aux services de l’Etat (DRASS, DDASS, médecin inspecteur régional) ainsi qu’à ceux de l’assurance maladie (CRAM et échelon régional du contrôle médical). »
Il faut reconnaître que le résultat obtenu était particulièrement troublant, et, en le relisant aujourd’hui, je suis aussi mal à l’aise que je l’avais été après m’être livré à cette « contrefaçon ».
Pour bien comprendre pourquoi je l’avais fait, il convient de rappeler le contexte de l’époque, marqué par la présentation de la première mouture du Plan Santé au travail 2005-2009 (PST 1), voulu par le Ministre délégué aux Affaires sociales de l’époque, Gérard Larcher, aujourd’hui Président du Sénat. Ce pré-projet contenait de nombreuses propositions, certaines intéressantes, d’autres inacceptables à mes yeux (on trouvera en pièces jointes le texte intégral de ce Plan ainsi qu’un diaporama qui en présente le sommaire).
Parmi ces propositions, la possibilité de confier la Santé au travail à un « organisme centralisateur » aux contours particulièrement flous. D’où mon questionnement et ma recherche d’alors sur l’existence de références en dehors du champ de la Santé au travail, ce qui m’avait conduit à fouiller, à fouiner (déjà) du côté des ARH, terrain de fouille d’autant plus propice à d’éventuelles découvertes que le PST 1 avait pour ambition d’ouvrir la Santé au travail à la Santé publique (domaine de prédilection de Gérard Larcher) et à la Santé environnementale (domaine de prédilection de Jean-Louis Borloo, Ministre de l’Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, qui deviendra par la suite Ministre de l’Ecologie).
Comme je le précisais dans ma note, jamais diffusée, d’où sont extraits tous les textes en caractères italiques :
« Il est on ne peut plus clair que cette organisation, parfaitement connue du Ministre, M. Gérard LARCHER, et de M. William DAB, Directeur Général de la Santé, peut avoir servi de modèle à « l’organisme centralisateur » annoncé. Il suffit en effet de remplacer quelques mots au texte de présentation des ARH pour obtenir une proposition donnant l’illusion d’une transposition « évidente » à la Santé au travail.
Pas de doute à avoir : une telle proposition apparaît tellement « séduisante » qu’elle ne pourrait qu’avoir le soutien unanime des Organisations syndicales. On en arriverait même à se demander pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt… »
Il n’est ni inutile ni anodin de préciser qu’avant d’occuper ses fonctions ministérielles, Gérard Larcher avait été, de 1997 à 2004, Président de la Fédération hospitalière de France, ce qui lui conférait une parfaite connaissance du monde de la Santé. Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que son « référentiel » (qui était naturellement aussi celui de ses collaborateurs) pût être celui du Ministère de la Santé.
Même observation pour William Dab, alors alter ego de Jean-Denis Combrexelle, Directeur des Relations du travail (devenu ensuite Directeur Général du Travail), à la Direction Générale de la Santé, aujourd’hui Professeur titulaire de la chaire d’Hygiène et Sécurité du CNAM.
Les plus anciens d’entre nous se rappellent sans doute qu’en 2004 précisément, il était intervenu à ses côtés en clôture du Congrès national de Santé au travail, tenu à Bordeaux, marqué par l’annonce de la publication du décret complétant la loi de Modernisation sociale de janvier 2002. Son intervention, insistant sur l’intérêt majeur d’un rapprochement de la Santé au travail et de la Santé publique, avait « fait un tabac » auprès des participants, Médecins du travail pour la plupart, déboussolés, pour ne pas dire traumatisés, par l’évolution du système, après la promulgation de la loi de modernisation sociale de janvier 2002 et avec la perspective de la publication toute proche d’un décret d’application au contenu très contesté, annoncée précisément par Jean-Denis Combrexelle dans un long discours, prononcé à l’issue du Congrès, qu’il est très instructif de relire aujourd’hui.
On retiendra que dans son Bulletin n° 334 de septembre-octobre 2004, la Société de Médecine du travail et d’ergonomie de Lyon, chargée d’organiser le Congrès suivant, avait rendu compte des interventions de William Dab et de Jean-Denis Combrexelle dans les termes suivants :
« Le vendredi 11 juin au matin, ont eu lieu deux interventions remarquées : tout d’abord celle du Dr William Dab, Directeur Général de la Santé au Ministère de la Santé, très appréciée et celle un peu plus chahutée de Jean-Denis Combrexelle, Directeur des Relations du Travail au Ministère du Travail, qui nous annonçait la parution imminente du décret réformant la médecine du travail (ce qui explique le chahut…). »
Cette parution était finalement intervenue quelques semaines plus tard, mettant un terme à de longs mois d’attente marqués par une véritable guérilla mettant aux prises les syndicats de Médecins du travail, les partenaires sociaux et l’Administration… Une guérilla aux contours « improbables », comme on dit maintenant, qui avait ainsi vu s’affronter, au sein même de la « famille » patronale, d’un côté le MEDEF, de l’autre la CGPME, appuyée par l’UIMM et la FFB, et dont certains effets se sont encore fait sentir des années plus tard…
Si le début de la « note » publiée ici (NDLR : qui n’est en fait qu’une toute petite partie d’un commentaire beaucoup plus long, d’une douzaine de pages au total) apparaît effectivement troublant de « vérité », eu égard à ce qui s’est passé dans les années qui ont suivi, sa conclusion ne l’est pas moins :
« La suite est tout aussi éloquente et… tout aussi « aisément » transposable, en ne changeant que quelques mots (sont en caractères gras soulignés et, le cas échéant, entre parenthèses, les passages qui pourraient viser les Services de Santé au travail, dans la logique de la proposition) :
Extrait de la page d’accueil de www.parhtage.sante.fr (suite) :
[ …] Allocation de ressources
La tarification à l’activité (T2AJ) a pour but de fonder l’allocation des ressources aux établissements de santé publics et privés sur le volume et la nature de leur activité mesurée, pour l’essentiel, par le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI).
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 (articles 23 à 34) modifie plusieurs articles (du Code du travail) du code de la sécurité sociale et du code de la santé publique afin d’introduire la réforme de la tarification dans le droit positif ainsi que des mesures transitoires spécifiques pour l’exercice 2004 notamment.
Le champ de la réforme
La réforme concerne tous les (Services de Santé au travail) établissements publics et privés titulaires d’autorisation de médecine, chirurgie ou obstétrique (MCO) et odontologie. Si ces établissements disposent également d’autorisations pour des lits ou places de soins de suite et de réadaptation (SSR) ou de psychiatrie, seule la partie MCO de leur activité est concernée.
[…] La tarification à l’activité s’applique à toutes les activités de (prévention) soins en (Santé au travail) MCO quelles que soient leurs modalités : hospitalisation avec ou sans hébergement, hospitalisation à domicile à partir de 2005 pour les établissements sous dotation globale, consultations et soins externes.
Les nouvelles modalités de financement des établissements
Le système de financement de l’activité en (Santé au travail) MCO est un système mixte reposant à la fois sur :
– une facturation à l’activité sur la base d’un tarif de prestation d’hospitalisation par séjour ;
– une dotation pour les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC). »
La conclusion qui suivait n’a rien perdu de son actualité :
« Si le « modèle » d’organisation et le fonctionnement des ARH, qui appartient de toute évidence à un tout autre monde que celui de la Santé au travail, devait être la « référence » retenue, nous ne pourrions évidemment que nous y opposer farouchement.
Rien à voir avec la Santé au travail, où la responsabilité de la santé des salariés en relation avec leur travail appartient exclusivement aux chefs d’entreprise, lesquels en assurent seuls le financement : la Santé au travail est incontestablement un service d’intérêt général (avec des conditions et conséquences juridiques propres) et non un Service public.
Cette différence, venant s’ajouter aux dispositions légales qui fondent les Services interentreprises de Santé au travail, suffit pour justifier que l’Etat ne puisse imposer aux employeurs une organisation et un fonctionnement leur retirant les moyens d’assumer pleinement leur responsabilité (sur ce point, voir page 9 la « métaphore » sur le conducteur responsable en cas d’accident alors qu’on l’empêche de conduire son véhicule). »
Si mes fonctions, et, par conséquent, mes responsabilités, ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui, je ne renie rien de ces commentaires personnels d’un texte « institutionnel », certes en partie imaginaire mais qui se révèle être, un peu plus de dix ans après sa rédaction, d’un réalisme confondant, au point de pouvoir être considéré comme un véritable « révélateur », au sens photographique du terme, en rendant visible le cheminement, lent mais implacable et irréversible, d’une Médecine du travail et d’une Santé au travail existant en tant que telles, sous le contrôle effectif des partenaires sociaux, dans le giron du Ministère du travail, vers une autre forme d’organisation, propre au Ministère de la Santé, dans laquelle le dialogue social n’est souvent qu’illusion, comme le prouvent, aujourd’hui encore, la préparation et la mise en œuvre de la très controversée Loi Touraine.
A la lumière de l’évolution du système depuis le début des années 2000, tout particulièrement à compter de 2004 et plus encore de 2011, avec le recul dont nous disposons désormais, suffisant pour porter un jugement raisonnablement étayé, il est possible d’affirmer qu’on nous a tous pris et qu’on nous prend encore pour des « oies » (constat que je ne considère pas vraiment comme une marque de respect…), ce qui, dans le contexte actuel d’abattage systématique des palmipèdes dans les élevages du sud-ouest pour prévenir la progression de la grippe aviaire, me rappelle une autre épidémie de grippe aviaire de sinistre mémoire (fin 2009), un « certain » canard (Le Canard est toujours vivant !, avril 2013), et me fait irrésistiblement penser au titre d’un film délirant de Michel Audiard, sorti en 1968, Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages…
On comprend parfaitement en effet que la stratégie de l’Etat, marquée notamment, à partir de 2004, par la volonté de rapprocher Santé au travail et Santé publique, n’a, en dépit des apparences, pas varié d’un iota. Ainsi, certains modes de fonctionnement actuels des Services de Santé au travail, mis en place à la suite de la réforme issue de la loi du 11 juillet 2011, sont directement inspirés du monde de l’hospitalisation (comme dans ma note), et, plus généralement, des structures placées sous la tutelle du Ministère de la Santé.
J’ai eu l’occasion de le souligner et de le contester à maintes reprises sur notre site (on pourra (re)lire plusieurs des articles que j’ai consacrés à cette question à partir des liens rappelés en bas de page).
Il est facile de vérifier que mon « vrai faux document », tiré d’une manipulation simplissime, expose avec une étonnante fidélité l’évolution que l’Administration, sans l’avoir annoncée officiellement, a progressivement imposée à la Santé au travail.
Pour bien prendre la mesure de ce qui s’est passé, il faut se rappeler qu’à la suite de la réforme de la Santé au travail née de la loi de Modernisation sociale de janvier 2002, qu’on pourrait appeler la « loi Guigou », c’est d’abord à François Fillon puis à Gérard Larcher qu’a échu la responsabilité de la mettre en œuvre, juste avant que ce dernier ne propose et fasse adopter le premier Plan Santé au Travail. Ce Plan à peine lancé, une nouvelle réforme (dont on trouvera les axes stratégiques en annexe) fut initiée, en juin 2008, à travers la Conférence tripartite confiée à… Gérard Larcher, par Xavier Bertrand, devenu en mai 2007 Ministre du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité, après avoir été Ministre de la Santé et des Solidarités à la suite de Philippe Douste-Blazy (dont le Directeur Général de la Santé fut un temps… William Dab, comme on l’a vu précédemment).
Devenu Secrétaire général par intérim puis Secrétaire général de l’UMP en décembre 2008, Xavier Bertrand laissera sa place, pour un passage éclair au Ministère du travail, à Brice Hortefeux, auquel succéderont Xavier Darcos et Eric Woerth, qui ne parviendront pas à boucler cette nouvelle réforme, avant de revenir au Gouvernement en novembre 2010 en y cumulant, ce n’est pas anodin, les fonctions de Ministre du Travail et de l’Emploi et… de Ministre de la Santé, qu’il exercera de novembre 2010 à mai 2012, période au cours de laquelle sera enfin adoptée sa « réforme de la réforme ».
C’est donc dans une position inédite que Xavier Bertrand, à la fois en charge du Travail et de la Santé, a pu préparer et mener à son terme, au forceps et dans l’urgence, une réforme qu’il avait engagée lui-même quatre ans plus tôt sur des bases sensiblement différentes !
S’il peut apparaître anecdotique aux yeux de certains, ce rappel historique est essentiel en réalité car il montre que, de 2004, avec la présentation du projet de Plan Santé au Travail par Gérard Larcher, jusqu’au vote de la loi du 11 juillet 2011 sous la responsabilité de Xavier Bertrand, la porosité entre le Ministère du travail et le Ministère de la Santé n’a cessé de croître, le point culminant ayant été atteint lorsque, fait unique dans l’histoire de la Vème République, la même personne s’est trouvée à la tête des deux Ministères.
Peut-on vraiment croire que cette situation ait été sans effet ?
Mon document de travail « oublié » met en évidence une réalité qui a, semble-t-il, curieusement échappé à l’attention de la plupart des observateurs : la réforme de la Santé au travail obéit de fait, depuis une douzaine d’années, à une « vision » qui est celle du monde de la Santé, bien plus que celle de la Santé au travail à proprement parler.
Ne peut-on ajouter à cette évidence, que l’Etat, via son Administration, poursuit une stratégie au long cours, certes « rassurante » à certains égards en ce qu’elle garantit la continuité de l’action publique, mais également assez « inquiétante » en ce qu’elle se joue finalement de la démocratie et de l’alternance au pouvoir de responsables appartenant à des familles politiques « différentes ». Mais le sont-elles tant que cela ? Et le « pouvoir » réel est-il vraiment entre leurs mains ? Il est permis d’en douter de plus en plus sérieusement (on pourra relire MO, M-E, M-A… narchie ?, publié en octobre 2013 sur notre site, dont le lien est rappelé en bas de cet article).
N’est-il pas probable, dans ces conditions, que l’on assiste prochainement, même si cette stratégie n’est pas annoncée publiquement, à la poursuite d’une forme de mainmise du Ministère de la Santé (et du Ministère de l’Economie) sur la Santé au travail, aux dépens du Ministère du Travail, mainmise déjà illustrée, au nom de la simplification, par deux tentatives d’OPA (heureusement) avortées, en 2014 et 2015 ?
Mais depuis, il y a eu les lois Rebsamen et Touraine…
Il va de soi que l’analyse qui précède ne remet nullement en cause l’appréciation positive que je porte sur le contenu du Plan Santé au Travail 2005-2009, pas plus que sur les deux suivants (même si le dernier en date pèche précisément par son recours systématique à un jargon technocratique parfois insupportable). L’ouverture à la Santé publique et à la Santé environnementale constituait une avancée remarquable. Je me souviens de mes échanges avec des Universitaires étrangers, scandinaves en particulier, au milieu des années 2000 et jusqu’en 2009, très impressionnés par le caractère « révolutionnaire » de l’évolution de notre système.
On remarquera que, sensible aux critiques, Gérard Larcher avait su faire évoluer son Plan Santé au travail 1, en intégrant la prise en compte de la Santé publique (et de la Santé environnementale) sans tomber dans l’ornière d’une réforme de la Santé au travail « singeant » les outils de la Santé, version ARH ou ARS…
On ne peut en dire autant de la réforme de 2011, qui, à côté de dispositions utiles (comme par exemple l’attribution de missions aux Services de Santé au travail ou la contractualisation), en a imposé d’autres, directement tirées de la « boîte à outils » propre au Ministère de la Santé, naturellement présentées comme porteuses de progrès remarquables, à l’instar des Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, version « petit bras » de la contractualisation, dont la pertinence et l’efficacité en Santé au travail sont à ce jour pour le moins sujettes à caution…
Je suis d’ailleurs stupéfait que, chaque mois, on puisse encore trouver dans la presse, relayée notamment par les « alertes Google », cette information édifiante, visant à prouver l’évolution du système : un CPOM vient d’être signé entre un SSTI, une DIRECCTE et une CARSAT… Comme s’il s’agissait d’un véritable exploit ! C’est oublier que la loi date de juillet 2011, que le début de son application remonte à juillet 2012 et que nous sommes en… 2016 ! Pas vraiment de quoi pavoiser…
Comme le bilan de l’application de ces nouveaux outils est, de surcroît, des plus mitigés dans leur « écosystème » originel, comment a-t-on pu et peut-on encore considérer leur utilisation comme une réelle source de progrès ?
Et pourtant, des marges de progrès considérables existent, qu’il n’est nul besoin d’aller chercher dans d’autres mondes, mais dans la « boîte à outils » propre à la Santé au travail : politique d’agrément, politique de promotion de la spécialité Médecine du travail, embauche de Médecins inspecteurs en nombre suffisant, données chiffrées mises à jour, définition claire de la pluridisciplinarité (voir à ce sujet l’article publié récemment sur notre site, De la médecine du travail à la santé au travail : les groupes professionnels à l’épreuve de la « pluridisciplinarité », une thèse brillante de Blandine Barlet à lire sans délai), révision du modèle de Rapport des Médecins du travail (RAM), mise à jour du Rapport administratif et financier (RAF), etc.
Et ce ne sont là que quelques exemples…
Ne faut-il pas voir dans l’insistance des Pouvoirs publics à ne pas traiter les « bonnes questions » l’expression du pouvoir d’une technostructure coupée de la réalité ? Si tel est le cas, la future loi El Khomri réformant la Santé au travail, officiellement orientée par les Partenaires sociaux siégeant au COCT, ne risque-t-elle pas une nouvelle fois d’être détournée des objectifs fixés par ses initiateurs, tout en étant évidemment présentée comme le fruit d’un dialogue social renouvelé et fécond, alors qu’elle suivra en réalité une voie définie par d’autres, ailleurs et bien avant le début de leurs travaux, très éloignée des besoins réels des entreprises et des salariés ?
Non, décidément non, faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages !
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 28 janvier 2016
Photo GP
Tous droits réservés
Il est possible d’accéder aux trois PST successifs et au sommaire du PST 1 à partir des liens suivants :
Plan Santé au travail 2005-2009 (PST 1)
Plan Santé au travail 2005-2009 : Sommaire (diaporama)
Plan Santé au travail 2010-2014 (PST 2)
Plan Santé au travail 2016-2020 (PST 3)
Pour compléter la lecture, sont regroupés ci-dessous certains des articles publiés sur notre site qui ont abordé la réforme sous l’angle des CPOM :
Santé au travail : la négociation des CPOM vue par FO
Santé au travail : Projet de Service et CPOM (Source : AtouSanté)
La Santé au travail mode QVT, COG et CPOM : un progrès, vraiment ?
Réforme de la Santé au travail : gare au grand méchant (f)lou… (première partie)
Réforme de la Santé au travail : gare au grand méchant (f)lou… (deuxième partie)
Et, pour ceux qui ont beaucoup de courage et de temps :
La Santé au travail, grande absente de la négociation sur la Qualité de Vie au Travail ?
Santé au travail, Conditions de travail, Qualité de vie au travail : le point de vue de Michel Sapin
Santé au travail : quelle place dans la négociation en cours sur la Qualité de Vie au Travail ?
Réforme de la Santé au travail : position de la CGT (Note au CCN du 2 mai 2012)
Rapport « Mission Hôpital Public » : des « enseignements » pour la Santé au travail ?
Laisser un commentaire