L’examen des quatre articles ci-dessous (L. 4622-14, L. 4625-1, L. 4625-2 et L. 4644-1) clôt la rapide revue des dispositions de la proposition de loi du Sénat qui nécessitent selon moi des modifications parfois substantielles. Il appartient désormais aux responsables politiques de débattre et de décider des orientations qu’ils entendent donner à la Santé au travail. Même en admettant que le texte soit amendé de façon constructive, ce qui reste à démontrer, il ne règlera, je le répète, aucun des problèmes de fond auxquels est confronté le système et il faudra très vite penser à de nouvelles adaptations.
La perspective même (totalement prévisible) de devoir procéder à ces adaptations a de fortes chances d’être alors considérée comme la « preuve » de la nécessité de tourner la page de la Santé au travail « à la française », décidément impossible à réformer (diront ses détracteurs), et de passer à un tout autre système, inspiré de certains « modèles » étrangers qui font la part belle à de nouveaux acteurs, Compagnies d’Assurances et Mutuelles, et, ce qui semble propre à la France, à de nouveaux partenariats, institutionnels parfois, dont la visite attentive de certains sites et la lecture de divers documents et rapports rendent d’ores et déjà parfaitement compte.
Leur place et leur rôle, alors qu’ils ne sont pas officiellement reconnus par les textes, apparaissent de plus en plus envahissants, voire tentaculaires, allant jusqu’à investir (ou prétendre le faire) la recherche et la formation en Santé/Sécurité au travail, particulièrement dans le domaine très délicat des risques psychosociaux, sous le prétexte (réel mais présenté de façon simpliste, sous la forme de considérations qui ont tout de slogans commerciaux) que la réussite de l’Entreprise repose sur le Bien-être au travail de ses Salariés…
Puisse cette question, fondamentale au demeurant, être discutée avant que la Santé au travail ne soit irrémédiablement transformée en simple objet de marketing. Puisse également se mettre en place très rapidement un système réellement novateur, adapté aux besoins des Entreprises et des Salariés à moyen et long terme, système dont les bases auront fait l’objet d’un large consensus et ne reposeront pas, comme cela semble se dessiner aujourd’hui, sur les vertus affichées, à grand renfort de « pub » (« business is business »), d’une couverture assurantielle qui a toutes les chances, en dépit du vernis de paritarisme dont elle se couvre parfois, d’être profondément inégalitaire…
Le Colloque « Regards croisés sur la Santé au travail », que nous organiserons le 29 novembre prochain à la Maison de la Chimie a justement pour ambition de réfléchir différemment à l’avenir.
La présence à ce Colloque des personnalités qui nous ont fait l’honneur et l’amitié d’accepter notre invitation, Philippe Askénazy, William Dab, Michel Ledoux, Hervé Sérieyx et Yves Schwartz, auxquels se joindra probablement Hugues de Jouvenel, responsable de Futuribles, spécialiste reconnu de la Prospective au plan international, contribuera, je l’espère, avec l’aide de tous les participants, à cet indispensable et passionnant exercice du « penser demain autrement ».
Gabriel Paillereau
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Article L. 4622-11
Commentaires
En consacrant un article au rôle de Directeur d’un Service de Santé au travail interentreprises, la proposition de loi adoptée par le Sénat marque un progrès par rapport à la situation actuelle.
Elle souffre néanmoins de trois défauts ou lacunes, dont on peut mesurer les conséquences à travers certaines pratiques actuelles :
- le Directeur est souvent considéré comme un exécutant alors qu’il devrait être à la fois force de proposition et d’animation au sein du Service ;
- son statut n’est pas précisé et aucune garantie n’est donnée quant à son indépendance, alors même que l’on sait qu’un nombre non négligeable de responsables de Service exercent simultanément des responsabilités de Direction au sein de structures placées sous l’autorité directe de certaines Organisations d’Employeurs, ce qui contribue depuis toujours à semer le doute, d’une part, sur la contrepartie réelle de leur rémunération et leur travail effectif au service de la Santé au travail, d’autre part, sur leur capacité à se démarquer si nécessaire de ce qu’il convient d’appeler la « doctrine patronale » ;
- alors que la Santé au travail est appelée à se professionnaliser de plus en plus, le texte adopté par le Sénat demeure totalement muet sur la formation dont les Directeurs devraient bénéficier.
C’est pour éviter tout risque de suspicion dans un domaine d’activité où, plus que dans beaucoup d’autres, transparence, professionnalisme, éthique et déontologie doivent prévaloir, que l’article L. 4622-14 devrait être modifié et complété, en matière de formation, de statut et de conditions d’exercice en particulier, ce qui ne pourrait que renforcer la crédibilité de l’institution, la confiance des Entreprises et des Salariés, ainsi que l’efficacité des actions conduites par les médecins du travail et autres professionnels de la Santé au travail.
Article L. 4625-1
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La réalité de terrain, pour de très nombreux travailleurs, est de ne pas pouvoir bénéficier d’une surveillance de leur état de santé conforme aux dispositions générales du Code du travail, pour des raisons qui tiennent à la fois aux caractéristiques de leur travail et à la pénurie de médecins du travail spécialistes.
Leur permettre d’accéder à un niveau de protection de leur santé qui ne soit pas inférieur à celui dont bénéficient les autres travailleurs est une nécessité. Encore faut-il le faire dans des conditions qui ne puissent être considérées, pour toutes les catégories de salariés concernées, comme contraires au principe d’égalité.
C’est sur cette nécessité que devraient reposer les deux modifications qui m’apparaissent devoir être apportées à cet article :
- la suppression du dernier alinéa, qui, en s’appuyant sur des « spécificités locales » au contour pour le moins incertain, risque d’être source de discriminations pour les travailleurs saisonniers, qui sont parmi les salariés les plus fragiles ;
- l’intégration, dans ce qui deviendrait l’avant-dernier alinéa de l’article, de garanties de suivi identiques pour tous les travailleurs considérés comme « atypiques ».
Article L. 4625-2
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La réalité de terrain, pour les nombreux travailleurs visés par cet article, est exactement la même que pour ceux visés par l’article précédent, à savoir qu’ils ne peuvent bénéficier d’une surveillance de leur état de santé conforme aux dispositions générales du Code du travail, pour des raisons qui tiennent à la fois aux caractéristiques de leur travail et à la pénurie de médecins du travail spécialistes. On peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence du choix consistant à traiter le suivi de tous ces travailleurs dans deux articles distincts alors que, d’une façon générale, les lacunes dont ils sont victimes sont exactement les mêmes.
Considérée sous le seul angle des « progrès » que le texte adopté par les Sénateurs permet d’accomplir par rapport à la situation actuelle, la rédaction de la proposition de loi semble indiscutable. Elle est pourtant critiquable à plusieurs niveaux :
- elle donne l’impression de légitimer de façon quasi automatique des dérogations qui devraient être considérées comme éventuelles ;
- elle introduit le recours possible à des médecins non spécialisés en Médecine du travail sous la forme de protocoles passés avec les Services interentreprises de Santé au travail, allant même jusqu’à ce que ces protocoles prévoient les garanties en termes de formation et les conditions d’exercice de ces médecins ;
- l’appel à « des médecins non spécialisés en médecine du travail » (la confusion des termes « non spécialisés » et « non spécialistes », apparemment considérés comme synonymes, et, par voie de conséquence, comme interchangeables, n’est pas anodine) est contestable en soi mais ce n’est rien à côté de l’octroi aux Services de Santé au travail eux-mêmes du droit de prévoir, pour ces médecins, les garanties en termes de formation. Même s’il convient de ne pas confondre ces garanties et la formation elle-même, la rédaction actuelle semble conférer aux Services de Santé au travail un pouvoir démesuré dans un domaine qui relève exclusivement de la responsabilité de l’Etat, ouvrant la voie à une déréglementation qui ne peut qu’être préjudiciable aux intérêts des Salariés et des Employeurs.
C’est pour corriger toutes ces erreurs que l’article devrait être largement amendé :
- en insistant sur le caractère exceptionnel des dérogations proposées ;
- en réduisant le pouvoir exorbitant donné aux Services à travers les protocoles qu’ils sont autorisés à signer ;
- en préférant les termes « médecins non spécialistes » à ceux de « médecins non spécialisés », pour marquer le fait que la Médecine du travail est une spécialité et les médecins du travail, des médecins spécialistes ;
- en fixant par la voie réglementaire les conditions de formation et d’habilitation de ces médecins, ce qui revient à reconnaître à l’Etat et au Conseil national de l’Ordre des médecins les prérogatives qui sont les leurs.
Article L. 4644-1
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Le bénéfice de la formation des salariés compétents pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise, subordonné « à leur demande », devrait être automatique, d’où la nécessité de supprimer ces termes, qui semblent en contradiction avec les exigences de la Directive de juin 1989.
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