Son rejet était prévisible en raison de la position de Catherine Procaccia, Rapporteur du texte au nom du Groupe « Les Républicains », qui, faisant fi des critiques en provenance du CNOM et des Partenaires sociaux notamment, a émis un avis défavorable en précisant : « nous en avons déjà parlé. Certes, nous aurions aimé que tout ce volet soit discuté dans le cadre de la loi Santé… », ce qui prouve sa totale méconnaissance du fond du dossier.
En raison également de la position de François Rebsamen, qui, en guise d’intervention, s’est contenté, à la suite de Madame Procaccia, d’un laconique « Même avis », qui prouve son désintérêt, pour ne pas dire son profond mépris pour la question, à laquelle il n’a pas fait la moindre allusion dans son discours introductif, ce qui, soit dit en passant, prouve une nouvelle fois le caractère artificiel, voire incongru, de la présence de dispositions relatives à la Médecine du travail dans ce projet de loi.
Du très court débat autour de l’amendement présenté par Monsieur Watrin au nom du « Groupe communiste républicain et citoyen », on retiendra l’intervention, au nom du « Groupe écologiste », de Monsieur Desessard, seul Sénateur à s’être exprimé et à l’avoir soutenu publiquement dans son explication de vote. Un soutien évidemment trop modeste pour permettre son adoption par la poignée de Sénateurs égarés dans l’hémicycle.
Difficile dans ces conditions de croire que le texte en discussion puisse être un texte majeur engageant notre Pays pour de nombreuses années ! Au nom de l’Emploi, oublié, et du Dialogue social, absent !
Le « Groupe communiste républicain et citoyen » ayant demandé que l’article 19 soit mis aux voix par scrutin public, on a néanmoins eu droit à ce que je considère personnellement comme une énorme surprise.
Le résultat obtenu, 155 voix contre l’adoption de l’article 19, 188 voix pour, apparaît très surprenant en soi car il signifie que les Sénateurs partageant de facto le point de vue de Monsieur Watrin sont beaucoup plus nombreux que le nombre total de membres de son Groupe et de celui auquel appartient Monsieur Desessard ; le score aurait pu se limiter au cumul des voix de ces deux Groupes, soit 29 au total.
Or, avec 155 voix, ce score potentiel a été dépassé de 126 voix ! Cherchez l’erreur !
D’où l’intérêt de connaître le détail du scrutin, Groupe par Groupe, ce qui est à l’origine d’une nouvelle surprise : ont en effet voté pour l’article 19 le Groupe « Les Républicains » (143 voix), le Groupe « Union des Démocrates et Indépendants – UC » (41 voix), un membre (sur 16) du « Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen » et trois Sénateurs (sur 6) ne figurant sur la liste d’aucun Groupe. Ce sont donc les élus de la droite et du centre qui ont massivement voté en faveur de ce fameux article 19.
A l’inverse, les Sénateurs appartenant aux autres Groupes ont massivement voté contre, et, parmi eux, les 110 membres du « Groupe socialiste et républicain » !
En clair, tous les Sénateurs socialistes ont voté, à quelques minutes d’intervalle seulement, contre l’amendement de suppression de l’article 19 présenté par Monsieur Watrin, puis contre l’article 19 lui-même, pourtant constitué pour l’essentiel de dispositions issues des amendements Issindou, « imposés » aux Députés dès la première lecture du projet de loi à l’Assemblée Nationale puis validés par les Sénateurs, avec le soutien de François Rebsamen…
Des Républicains plus royalistes que le Roi et des Courtisans plus sans-culottes que les sans-culottes…
Comprenne qui pourra ! Sans doute y a-t-il une subtilité qui m’échappe mais, de ce combat à front renversé, on retiendra que les opposants à l’évolution de la Médecine du travail selon les modalités voulues par les Pouvoirs Publics sont parvenus, au moins en apparence, à « ratisser très large », en mobilisant in fine tous les Sénateurs du « Groupe socialiste et républicain », ce qui résonne comme un désaveu cinglant pour le Ministre. A moins qu’il ne s’agisse d’un vote tactique, deux jours avant le vote final à l’Assemblée Nationale. Mais, je le répète, je n’ai manifestement pas tout compris… Et, pour avoir échangé avec plusieurs personnes directement concernées par ce texte, je ne suis pas le seul !
Peut-être s’agit-il simplement d’une bévue de la représentante du Groupe, chargée de voter au nom de tous ses Collègues, Madame Schillinger si je ne m’abuse, qui croyait peut-être qu’on en était encore à voter l’amendement de suppression de l’article 19. J’avoue m’être trompé moi-même sur le moment, tant le passage d’un scrutin à l’autre a été rapide, et avoir cru que c’était bien l’amendement qui faisait l’objet d’une demande de scrutin public. Les débats ayant été clos très peu de temps après, je n’ai pu vérifier sur la vidéo ce qu’il en était exactement.
En tout état de cause, une chose est sûre : les « défenseurs potentiels » de la Santé au travail sont peut-être beaucoup plus nombreux que prévu.
On peut en déduire selon moi qu’il est devenu possible d’ « enfoncer le clou » : la réunion d’un nombre suffisant de soutiens parmi les Députés et les Sénateurs pour saisir le Conseil Constitutionnel apparaît désormais crédible et l’éventualité d’une reconnaissance de l’article 19 comme étant un cavalier législatif n’est plus une chimère.
Dessin ci-dessus : « Rapport Issindou, le séisme… en attendant la réplique », reproduit avec l’autorisation de la CFE-CGC
Même si le niveau élevé du score atteint par les opposants à l’article 19 n’est évidemment pas un argument en soi pour les Sages du Conseil Constitutionnel, il représente malgré tout un signal fort et extrêmement encourageant pour tous ceux (dont je suis) qui estiment que les amendements introduits par Monsieur Issindou en première lecture, dans des conditions très contestables, constituent aujourd’hui un obstacle majeur à une négociation en profondeur, entre les Partenaires sociaux siégeant au COCT, de l’évolution souhaitable de notre système de Santé au travail.
Sans doute sera-t-il plus facile, grâce à ce résultat inattendu, de convaincre suffisamment de Députés qu’ils ont été mal orientés, et, par conséquent, d’obtenir de leur part qu’ils revoient leur copie…
Prochain épisode, devant l’Assemblée Nationale, le jeudi 23 juillet à partir de 15 heures, pour une ultime lecture du Projet de loi et son adoption.
Rien n’est définitivement acquis, cela va de soi, mais grâce au vote du Sénat, l’espoir peut renaître. C’est déjà un bien beau résultat !
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 20 juillet 2015
Illustration : « Dans mon miroir »
Tableau d’Alain Vaissière reproduit avec son aimable autorisation
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