Santé au travail : la nouvelle fiche d’aptitude, pour le meilleur et/ou pour le pire ?

La publication de l’arrêté relatif au nouveau modèle de fiche d’aptitude ne devrait pas surprendre puisque, en raison de la réforme de la Médecine du travail intervenue en 2011-2012, il fallait le modifier pour « coller » aux exigences des nouveaux textes.

C’est pourtant une réelle « surprise », car, comme me l’a confié un membre de la Commission n° 5 du Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail (COCT), si le texte a bien été examiné en Commission, il n’a apparemment fait l’objet d’aucune « validation » par les Partenaires sociaux qui y siègent.

Rien à redire pour autant puisque les Partenaires sociaux ne disposent d’aucun pouvoir de décision en la matière. S’il est exact qu’on doit les consulter, ce n’est que pour avis. Ce qui signifie que, même en l’absence d’« accord » de leur part, l’Administration continue à avancer pour permettre aux textes de loi adoptés par l’Assemblée et le Sénat de s’appliquer.

Petit bémol : on sait que certaines lois ne sont pas appliquées, parce que l’absence de textes d’application les rend… inapplicables. Une absence qui tient parfois – c’est un Ministre qui me l’a confié, il y a une quinzaine d’années – au peu d’empressement de l’Administration elle-même…

Pour en revenir à la fiche d’aptitude « new look », elle appelle divers commentaires et remarques d’ordre « politique », au sens large du terme :

  • La première phrase de la « notice », « la modification de ce modèle est consécutive à la réforme de la médecine du travail qui a renforcé le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs », sonne comme une « mauvaise » plaisanterie quand on sait que, depuis fort longtemps, on assiste à la diminution du nombre d’examens médicaux pratiqués par les Médecins du travail. Leur périodicité (s’agissant des examens systématiques), encore annuelle jusqu’en 2002 pour tous les salariés, a été portée à 2 ans en 2002-2004 et atteint désormais 3 ou 4 ans, en fonction des « réalités locales », du bon vouloir des DIRECCTE, et, probablement aussi de l’âge du Capitaine, si l’on se fie aux décisions prises dans certaines Régions, parfois incompréhensibles, contradictoires, voire véritablement aberrantes…
  • Comme la baisse du nombre de Médecins du travail va se poursuivre dans les prochaines années, on se demande vraiment ce qu’il faut entendre par « renforcement du suivi individuel de l’état de santé des travailleurs ».
  • Que la pénurie conduise à mieux cibler les examens médicaux, en les réservant aux salariés les plus fragiles et/ou les plus exposés est une certitude, en plus d’une nécessité que nous n’avons cessé de faire valoir depuis longtemps. De là à parler de « renforcement du suivi individuel », il y a un pas que je n’aurais osé franchir. Je ne suis pas convaincu que les Professionnels de la Santé au travail apprécieront vraiment cette « audace », eu égard aux difficultés extrêmes auxquelles ils sont confrontés, obligés qu’ils sont de pratiquer les examens médicaux selon des « priorités » dont ils n’ont parfois pas du tout la maîtrise !
  • C’est d’ailleurs exactement le message qu’a fait passer le Docteur Michel Blaizot dans le commentaire qu’il nous a adressé à la suite de la mise en ligne de l’arrêté sur notre site.
  • On notera également que la fiche d’aptitude « permet de préciser les conclusions relatives à l’aptitude ou l’inaptitude du salarié au poste de travail que seul le médecin du travail peut constater ».
  • Autrement dit, c’est au Médecin du travail et à lui seul de se prononcer sur l’aptitude d’un salarié à son poste de travail. Les Collaborateurs médecins et les Infirmiers en Santé au travail, dont la place et le rôle ont été précisés (tout en laissant de très larges zones d’ombre…) par les divers textes publiés en 2011 et 2012 (Loi, Décrets et Circulaire) sont des compléments à l’action du Médecin du travail, non des substituts, contrairement à ce dont certains rêvaient et… rêvent encore. Ce qui n’enlève évidemment rien à la qualité des examens et des entretiens qu’ils peuvent conduire, mais qui relativise une nouvelle fois le fameux « renforcement du suivi médical individuel » présenté par l’Administration comme étant à tout le moins une conséquence de la réforme, et même – pourquoi mégoter sur le choix des termes ? -, un de ses objectifs majeurs…

A ces observations générales, qu’inspire d’emblée la présentation du nouveau modèle de fiche d’aptitude dans la « notice » introductive, s’en ajoutent diverses autres, importantes elles aussi mais de nature plus « technique » :

  • La Fiche d’aptitude concerne le régime général et le régime agricole, ou, pour être plus clair, la Santé au travail telle qu’elle est dispensée dans les Services de Santé au travail, autonomes et Interentreprises, ainsi que la Médecine du travail du Secteur agricole, mise en œuvre dans les Services qui dépendent de la Mutualité Sociale Agricole (MSA). On notera en revanche qu’elle ne concerne pas les différentes formes de Médecine de Prévention de la Fonction publique (d’Etat, Territoriale et Hospitalière), où l’aptitude et l’inaptitude ne relèvent pas de la responsabilité du Médecin de Prévention.
  • Elle est utilisable pour tous les types d’examens médicaux (examens d’embauche, examens périodiques, examens de reprise, examens à la demande – ou occasionnels -).
  • On retiendra enfin, parmi les innovations annoncées, que « l’avis médical d’aptitude ou d’inaptitude définitif doit en outre mentionner les délais et voies de recours devant l’inspecteur du travail, en cas de contestation de cet avis médical par le salarié ou l’employeur ».
  • Et, « cerise sur le gâteau », si l’on peut dire, elle doit être utilisée depuis le 4 juillet, lendemain de la publication de l’arrêté au JO, ce qui ne manque pas de surprendre et… d’inquiéter.
  • Une inquiétude à relativiser très sérieusement quand on sait que la loi du 20 juillet 2011, applicable au 1er juillet 2012, demeure encore très largement inappliquée à ce jour, soit près de 2 ans après sa promulgation, comme le prouvent le nombre ridiculement faible de Services dont le CPOM a été validé (4 aux dernières nouvelles au plan national !) et même de ceux qui ont réalisé un Projet de Service digne de ce nom : ainsi, sur les 17 Services de la Région Midi-Pyrénées, 6 seulement ont, à ce jour, produit leur Projet, selon les informations communiquées le lundi 1er juillet par les représentants de la DIRECCTE devant les Présidents (fort peu nombreux) et les Directeurs des Services de la Région.

Quant au modèle de fiche lui-même, on retiendra qu’il est plus précis que le précédent, « encadrant » davantage l’avis du Médecin du travail, ce qui conduit à douter de sa mise en œuvre effective sur le terrain.

Ainsi, le choix binaire entre « apte » et « inapte », qui se comprend en raison de la difficulté – et parfois de l’impossibilité – d’interprétation de certaines conclusions, source fréquente de différends, voire de contentieux, entre Employeur, Salarié, Service de Santé au travail et Médecin du travail, fera probablement grincer quelques dents en ce qu’il remet en cause certaines pratiques actuelles et risque d’être considéré comme portant atteinte à l’indépendance professionnelle des Médecins du travail.

Même chose pour ce qui concerne la mention des heures de convocation, d’arrivée et de départ, mention déjà absente ou non renseignée sur de très nombreuses fiches d’aptitude « ancienne manière ».

Pour le reste, le nouveau modèle de fiche n’appelle pas de commentaires particuliers, si ce n’est qu’il occulte (ou se révèle particulièrement flou sur) un certain nombre de questions, comme la détermination des SMR ou le suivi des salariés exposés à des risques professionnels non cités expressément par le texte (c’est-à-dire la totalité sauf 3 : travail de nuit, agents chimiques dangereux et rayonnements ionisants, pour lesquels la mention des dates de la dernière mise à jour de la fiche d’entreprise et de l’étude du poste de travail est obligatoire en application des articles R 3122-19, R 4412-47 et R. 4451-82 du Code du travail).

Il pose en revanche une question fondamentale : le non-respect (probable) de certaines des nouvelles exigences auxquelles il est censé se conformer ne risque-t-il pas d’être à l’origine de nombreux contentieux ? Et, dans cette hypothèse, comment sera-t-il apprécié par le juge ? Problème de fond ou problème de forme mineur ?

Il y a fort à parier que les juristes se régalent dès les prochains mois, d’autant que, déjà, les avis des Médecins du travail sont à l’origine de débats animés, comme le montrent les affaires portées récemment devant le Conseil de l’Ordre des Médecins, occasion pour la Revue « Santé et Travail » de réaliser un dossier publié dans son dernier numéro (n° 83 de juillet 2013).

Affaire à suivre de très près (une de plus !), à propos de laquelle les témoignages, observations, analyses et commentaires d’Employeurs, de Salariés, de Médecins du travail, de Responsables de Service et de Juristes seront évidemment les bienvenus sur notre site.

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 5 juillet 2013
Tous droits réservés

Pour accéder au texte de l’arrêté, cliquer sur le lien suivant :

Pour accéder aux trois articles du Code du travail relatifs à l’obligation, rappelée par l’arrêté, de mentionner la date de mise à jour de la fiche d’entreprise et la date de l’étude de poste, cliquer sur les liens suivants :

 

2 Comments

MdT

Bonjour,

Je trouve que c’est un modèle qui oblige à l’application des exigences réglementaires, comme par exemple le respect de la périodicité des visites.

Il donne plus de visibilité à la fiche d’entreprise ou aux études de poste auprès du salarié concerné. Ceci est positif, même si le salarié ne peut pas avoir directement accès à ces documents, seulement à travers ses représentants (DP, CHSCT). En cas de contestation de l’avis d’aptitude, ces documents seront demandés par l’inspecteur du travail, qui, autrement, n’y aurait plus un accès direct. Par contre, il faut que la fiche d’entreprise soit bien faite, ainsi que l’étude de poste, ce qui n’est pas négatif : le médecin du travail ne peut pas faire un suivi correct de point de vue toxicologique d’un salarié avec des expositions inconnues ou mal connues. A l’heure où la biométrologie pour la traçabilité des expositions est de plus en plus utilisée, il faut bien connaître le poste de travail avant de prescrire.

A noter que l’obligation de l’étude de poste existe pour les ACD, qui n’imposent pas de surveillance « renforcée ». Comme quoi les SMR actuelles ne veulent rien dire, ne sont pas adaptées à la réalité.

Le modèle n’oblige pas le médecin du travail à se prononcer sur l’absence de contre-indication médicale à l’exposition au travail de nuit, aux CMR ou aux rayonnements, ce qui serait déontologiquement inacceptable, alors que ces mentions restent dans le Code du travail. Ceci est un point très positif.

Finalement, ma lecture est que ce nouveau modèle met plus de pression sur les Services de Santé au travail pour bien faire leur travail (fiches d’entreprise, études de poste, respect de la périodicité des visites), ce qui ne peut être que positif pour les salariés.

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Dr Z

Super !

Au milieu de ce fatras de données administratives et réglementaires, il nous reste 3 ou 4 lignes pour expliquer et communiquer à l’employeur ce qui est au coeur de notre métier (et que personne ne peut faire à notre place) :

– les restrictions, les aménagements et les reclassements…

Le « marche ou crève » est une sélection binaire naturelle, très efficace aussi, et déjà largement éprouvée…

Pas besoin d’explication ni de fiche…, on a étiqueté ça jadis « Arbeit macht frei  » !

Vive l’administration et les avocats !

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