Dans son intervention du 8 décembre dernier devant les membres du COCT, Myriam El Khomri, Ministre du travail, avait annoncé une loi visant à réformer la Santé au travail. J’avais à l’époque douté de la sincérité de l’annonce et du contenu de cette réforme, censée reposer sur les orientations stratégiques définies par les Partenaires sociaux, dans la mesure où notre Ministre semblait plutôt attachée à poursuivre la déclinaison législative du Rapport Issindou, engagée dans le cadre de la Loi Rebsamen.
La prise de position récente de plusieurs personnalités sur le site de Médiapart, La Santé au travail n’est pas négociable (article publié le 10 février sur le site de Médiapart), laissait entendre que, contrairement à l’annonce initiale ou du moins à mon interprétation, la réforme de la Santé au travail se ferait à travers une loi générale dans laquelle la Santé au travail ne serait qu’un thème parmi d’autres.
Confirmation vient d’être donnée de ce qu’on peut considérer comme des manquements manifestes aux engagements pris. L’avant-projet de loi dont le site du quotidien Le Parisien a, le premier, dévoilé le contenu, apparaît en effet très en-deçà des ambitions affichées : pas de loi spécifique, pas de référence au contenu du PST 3.
La réforme proposée, sobrement intitulée « Moderniser la Médecine du travail », se résume au Titre 5 d’un projet de loi qui en compte six et représente au total à peine plus de 4 pages d’un texte qui en compte 105.
Elle n’est en réalité qu’un simple prolongement (l’appendice ?) de la Mission Issindou…
Nulle trace dans son contenu d’un souffle nouveau, d’une quelconque ambition…
On peut donc avoir la quasi-certitude de voir se poursuivre la dégradation du système par la faute d’un texte fourre-tout, qui n’est certes pas définitif mais dont j’ai peine à croire qu’il donne satisfaction à celles et ceux qui attendent depuis des années une vraie réforme de la Santé au travail.
Serait-ce pour un autre texte en préparation ?
Cela semble exclu, le simple bon sens voulant en effet que toutes les dispositions législatives nouvelles en matière de Santé au travail soient regroupées dans un seul texte. De quoi donner du corps à la conclusion de l’article publié à la suite du discours de Myriam El Khomri, Le Plan Santé au Travail 2016-2020 et la réforme de la Médecine du travail vus à travers le discours de Myriam El Khomri devant le COCT :
« Au final, que penser de tout cela ? A en croire le texte de présentation sur le site du Ministère, préparé très en amont par les partenaires sociaux, ce plan a été unanimement salué par les membres du COCT, en particulier par les organisations syndicales et patronales qui se sont toutes exprimées pour en souligner le caractère novateur et prometteur. Il constitue une des réussites concrètes du dialogue social, par lequel de vrais terrains d’entente peuvent être trouvés et des avancées être faites en faveur des salariés comme des employeurs. »
Renseignement pris à la source, il semble que l’accueil des Partenaires sociaux ait effectivement été extrêmement favorable. Cela signifie-t-il de leur part une adhésion pleine et entière aux projets de réforme de la Ministre du travail ou simplement une volonté de ne pas nuire à l’indispensable rénovation du système ?
Disons plutôt qu’ils lui ont probablement accordé le bénéfice du doute en lui donnant acte de son engagement personnel, incontestable dans ce dossier.
Le mémorandum du Groupe Permanent d’Orientation (GPO) du COCT, « L’avenir des Services de Santé au travail et de la Médecine du travail », daté du 2 décembre, soutenu par l’ensemble des Organisations représentatives des Employeurs et des Salariés au plan national (à l’exception notable de la CGT-FO), n’est probablement pas étranger à un si large (et apparent) consensus.
Affaire à suivre très rapidement pour un décryptage complet, indispensable pour savoir qui, de la Ministre ou des Partenaires sociaux, tient le plus fort l’autre par la barbichette… »
Il semble qu’à ce jeu, notre Ministre ait gagné la première manche et que la Santé au travail ait perdu une nouvelle occasion d’être réformée intelligemment.
Comment réagiront les Partenaires sociaux face à ce qui ressemble fort à un passage en force assorti d’une parodie de dialogue social ?
Nous y reviendrons bientôt, cela va de soi. D’autant que dans le projet, il y a bien d’autres sujets qui fâchent ! Comme le montre l’article qui vient d’être mis en ligne à l’instant sur le site du Parisien, Les syndicats sont vent debout contre le projet de réforme du droit du travail, dans lequel Jean-Claude Mailly, Secrétaire général de FO va jusqu’à se demander « si c’est le projet El Khomri ou El Macron »…
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 19 février 2016
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Pour accéder au texte de l’avant-projet de loi présenté par la Ministre du travail, qui n’est officiellement qu’un simple « document de travail », cliquer sur le lien ci-dessous :
Avant-projet de la « loi El Khomri »
Pour approfondir la connaissance du sujet, il peut être utile de lire ou relire les articles suivants, publiés sur notre site depuis la diffusion du Rapport Issindou :
Rapport Combrexelle et réforme de la Santé au travail : des relations qui doivent être explicitées
Réforme de la Santé au travail : victoire à la Pyrrhus de François Rebsamen au Sénat
Réforme de la Santé au travail : au Conseil Constitutionnel et au COCT de jouer !
Réforme de la Santé au travail : arrêt sur image avant deuxième lecture devant l’Assemblée Nationale
La route pourrait être courte du Rapport Issindou sur la Médecine du travail à sa mise en bière…