Les spéculations vont déjà bon train en ce qui concerne le choix du remplaçant de François Rebsamen à la tête du Ministère du travail. Trois personnalités semblent se détacher selon certains médias : Jean-Marc Germain, Laurent Grandguillaume et Alain Vidalies, qui, tous les trois, à des époques, à des titres et à des degrés divers, ont été et/ou sont confrontés à la problématique de réforme de la Santé au travail (ou de la Médecine du travail). Mais il n’est pas exclu que d’autres surgissent, maintenant que la chasse est ouverte. Une surprise est d’ailleurs d’autant plus envisageable que chacun des candidats supposés dispose de qualités (et de défauts) suffisamment marqués pour le qualifier ou au contraire l’éliminer dans la guerre de succession qui commence.
Dans les lignes qui suivent, je m’efforcerai de m’en tenir au seul sujet qui nous rassemble sur le site d’epHYGIE : la Santé au travail. Même s’il est, on le verra, difficilement détachable du contexte politique général.
A tout seigneur tout honneur ! Alain Vidalies, Secrétaire d’État chargé des Transports, de la Mer et de la Pêche au sein du Gouvernement Valls II depuis le 26 août 2014, après avoir été Ministre délégué chargé des relations avec le Parlement dans le premier Gouvernement de Jean-Marc Ayrault, du 16 mai 2012 au 31 mars 2014, est probablement, parmi les trois, celui qui connaît le mieux le sujet. Il faut se rappeler que, lorsque la Loi n° 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la Médecine du travail a été votée, il était le chef de file de l’opposition socialiste, et avait, à ce titre, bataillé ferme contre le texte et assuré que, si le Parti socialiste arrivait au pouvoir, il ferait en sorte de l’abroger.
On pourra se reporter aux divers articles publiés sur notre site à ce propos (liens en bas de page). Il était pressenti à l’époque comme futur Ministre du Travail, et, lorsque je l’avais rencontré dans son bureau de l’Assemblée Nationale puis à l’occasion d’une réunion publique tenue à Bordeaux au début de l’année 2012, aucun doute n’était possible sur sa position.
Malheureusement pour lui (et probablement aussi pour nous), le Ministère du Travail revint finalement à Michel Sapin, qui rêvait, lui, de l’Economie et des Finances, envoyant Alain Vidalies à des fonctions très éloignées de son domaine de compétence.
Il n’est donc pas surprenant qu’on pense aujourd’hui à lui, tout comme il n’est probablement pas inconcevable qu’il envisage lui-même une reconversion/promotion au Ministère du Travail. Mais pour mener quelle politique ? Celle engagée par Michel Sapin et poursuivie par François Rebsamen ou celle correspondant aux convictions qu’il avait affichées dans les débats à l’Assemblée Nationale ? La question est d’importance quand on sait à quel point la politique conduite depuis le premier Gouvernement Ayrault a tout d’un reniement…
Alors, quel Vidalies à la tête du Ministère ? Vidalies I, au tempérament « révolté » (pour ne pas utiliser le terme « frondeur »), attaché à un système de Santé au travail respectueux des conditions de travail des salariés, ou Vidalies II, solidaire de la politique de simplification qui est devenue la marque de fabrique du Gouvernement auquel il appartient, soucieux avant tout de ne pas mettre d’obstacles à la bonne marche des Entreprises ?
Le cas de Laurent Grandguillaume est intéressant à plus d’un titre. Député depuis le 17 juin 2012, il a la particularité d’être élu de la première circonscription de la Côte-d’Or, Département de François Rebsamen, dont il a été adjoint à la Mairie de Dijon, en qualité de Délégué à la Jeunesse, à la Vie associative et à la Démocratie locale…
On notera que, contrairement à son mentor, il est fermement engagé contre le cumul des mandats.
Il serait pour le moins savoureux, alors que François Rebsamen se prépare à quitter ses fonctions pour cause de cumul, que ce soit lui qui lui succède, grâce à leur seule divergence majeure depuis qu’il a accédé à des responsabilités politiques… Tout comme il serait extrêmement curieux et même probablement jugé sévèrement que le successeur de François Rebsamen soit un élu du même département, de la même ville, et, qui plus est, un homme politique dont l’ascension est due en grande partie à celui qu’il remplacerait.
On voudrait donner à penser que notre République a des relents de Monarchie qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Un message « dynastique » difficile à faire admettre par les temps qui courent.
On notera également que, par son jeune âge, par son parcours aussi, Laurent Grandguillaume ressemble comme un frère jumeau à Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie. Pas sûr, une fois de plus, que cette référence plaide en sa faveur auprès de la gauche du parti socialiste et de « la gauche de la gauche », d’autant que, les observateurs les plus attentifs ne l’ont pas oublié, c’est lui qui a succédé à Thierry Mandon (aujourd’hui Secrétaire d’Etat à la Réforme de l’État et à la Simplification), à la tête du Conseil de la Simplification créé en janvier 2014, qu’il copréside aujourd’hui avec Guillaume Poitrinal (Chef d’Entreprise), à l’origine des mesures de simplification, celles-là même qui ont mis en révolution le petit monde de la Médecine du travail en raison des propositions relatives à la visite médicale et à l’aptitude…
Sa désignation au poste de Ministre du Travail serait assurément vécue comme une provocation inacceptable par beaucoup, même si, du côté de certaines Organisations d’Employeurs, on s’en féliciterait sans doute.
Reste Jean-Marc Germain, Député de la douzième circonscription des Hauts-de-Seine depuis le 17 juin 2012. Brillant sujet lui aussi, il se distingue à la fois par sa vie privée (qui ne nous regarde absolument pas, cela va de soi) et son parcours politique.
Sur le plan personnel, on notera simplement qu’il est le mari d’Anne Hidalgo, Maire de Paris, ce qui n’est pas tout à fait anodin…
Sur le plan politique, on retiendra qu’Il a occupé des fonctions importantes auprès de Lionel Jospin, et surtout de Martine Aubry, d’abord à son Cabinet, quand elle était Ministre de l’Emploi et de la Solidarité (du temps de la loi sur les 35 heures et… de la mise en demeure adressée à la France pour transposition insuffisante de la Directive cadre sur la Santé au travail !), ensuite à Lille, dont elle est toujours Maire, en qualité de Directeur général des Services, enfin au Parti socialiste, quand elle en était première Secrétaire, en qualité de Directeur de Cabinet.
Des « qualités » qui en font un candidat très sérieux à la succession de François Rebsamen, dans l’hypothèse d’un arrangement interne destiné à rééquilibrer les différents courants au sein du Parti socialiste, d’autant qu’il fait partie de ceux que l’on appelle les « frondeurs »…
Sacré casse-tête en perspective pour Manuel Valls dans les semaines qui viennent, avec, à la clé, la certitude de mécontenter soit une partie des partenaires sociaux, soit une partie de ses troupes, à moins que ce ne soit les deux !
Alors ? Un spécialiste du Droit du travail déjà membre du Gouvernement, pour une séance de rattrapage ? Un alter ego du Ministre de l’Economie, zélateur de la simplification administrative, pour un début de carrière prometteur ? Ou un ancien apparatchik du Parti socialiste, en décalage manifeste par rapport à un Gouvernement dont sa « patronne », ancienne Directrice des Relations du Travail, ancienne Ministre du Travail, est aujourd’hui proche sans l’être tout en l’étant, pour recoller les morceaux d’une majorité émiettée ?
Les paris sont ouverts. Certains évoquent aussi le nom de Jean-Vincent Placé, Sénateur EELV du Département de l’Essonne… Sans vouloir faire de mauvais jeu de mots, pour ce qui me concerne, je ne le vois pas autrement que comme Placé et… mal placé !
Il peut donc recueillir uniquement les suffrages des amateurs de très grosses cotes, surtout quand on sait que son principal projet serait aujourd’hui d’écrire un livre sur la diététique, si j’en crois un confidentiel de l’Obs repris dans un article publié sur le site « Le Lab POLITIQUE » d’Europe 1 : Le sénateur écolo Jean-Vincent Placé envisage d’écrire un livre pour « bien manger et perdre du poids »
On a pu découvrir également le nom de Gérard Filoche sur le site Agora Vox, qui relayait un article publié sur le blog d’Arnaud Mouillard, Secrétaire de la section PS de Pavilly, Et si Gérard Filoche remplaçait François Rebsamen comme Ministre du Travail ? Compte tenu du positionnement de ce dernier au sein du Parti socialiste, son choix permettrait à coup sûr à ceux qui parieraient sur lui de faire immédiatement fortune !
Qui saura lire entre les lignes de cette guerre de succession, dont la clé se trouve en fait dans les choix de François Hollande pour 2017 et les ambitions de Manuel Valls pour 2022 ?
La Santé au travail a donc encore quelques soucis à se faire avant d’être fixée sur son sort !
Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 3 août 2015
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Sélection d’articles publiés sur le site d’epHYGIE détaillant les positions des uns et des autres depuis l’adoption de la loi du 20 juillet 2011. On y retrouve notamment l’étonnante évolution du positionnement du Parti socialiste, d’abord farouchement opposé à la réforme (par la voix essentiellement d’Alain Vidalies, son porte-parole à l’Assemblée Nationale, avant l’élection présidentielle de 2012), puis s’en accommodant sans difficulté (depuis l’élection de François Hollande), et allant même, par la voix de Michel Sapin, jusqu’à se féliciter de son contenu : une « conversion » assumée par François Rebsamen, à travers la Loi sur le Dialogue social et l’Emploi, qui, en privilégiant de facto la « simplification » des formalités administratives, entérine la primauté de l’Economique sur le Social, et en « rajoute une couche » dans le processus de déconstruction du système français de Santé au travail…
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