Transformation numérique et vie (au travail) : approche (pas tout à fait pour rire) à travers saisie intuitive et langage SMS

Ti Punch 3Tout commence avec un message reçu de mon épouse, passablement irritée et déçue de ne pas réussir à maîtriser son contenu, imposé par son téléphone, apparemment plus au fait qu’elle de ce qu’elle voulait écrire !

Je dois reconnaître que la lecture des quelques lignes reçues (et que j’ai malheureusement effacées par la faute d’une mauvaise manipulation) pouvaient donner à penser qu’elle n’était pas à son meilleur niveau de cohérence et de français en les écrivant. La faute à cette fameuse saisie intuitive qu’on nous présente comme une aide inappréciable et qui se révèle être en réalité un véritable cauchemar.

Le hasard ayant voulu que ce SMS estropié me soit parvenu alors que je venais de prendre connaissance du Rapport Mettling, « Transformation numérique et vie au travail », l’idée m’est venue de faire un test pour apprécier de façon aussi rigoureuse que possible la qualité de mon propre « souffleur intuitif » à partir d’un message concis, simple, rédigé dans un français satisfaisant, approprié aux circonstances, à l’issue d’un long voyage en avion, en profitant du temps disponible que donne le décalage horaire :

Bonsoir, ma Chérie. Sois pleinement rassurée. Malgré quelques turbulences, je suis arrivé à bon port à l’heure prévue. Je t’appellerai dans la matinée de demain. Bisous.

« Un message concis, simple, rédigé dans un français satisfaisant », telle était bien mon intention avant de me heurter à la dure réalité du numérique.

Pour rendre le test le plus fiable possible, mon choix fut de taper mon projet de texte sur mon téléphone portable sans m’en écarter mais en « laissant passer » (c’est-à-dire en « acceptant », risque probable dans la vie « réelle », quand on est pressé par le temps) les « propositions » faites en première intention par mon « scribe au noir ».

Le résultat fut à la hauteur de mes craintes :

Bonsoir, ma chétif. Sois PME ta. Malgré quelques tir, je du à à bon PO à l’heur prévu. Je t’appelle Da la mâtiné de dém. NI.

« Chérie » devenu « chétif », « pleinement rassurée » devenu « PME ta », « turbulences » simplifié en « tir, « suis » devenu « du », « arrivé » réduit à « à », « port » transformé en « PO », « heure » en « heur », « dans » en « DA », « matinée » en « mâtiné », « demain » en « dém. », et, pour finir, clou de la démonstration, « Bisous » réduit à « NI ».

« NI » en guise de « Bisous », on peut imaginer meilleure conclusion pour un message qui se voulait affectueux et rassurant. Encore heureux qu’il ait été de deux lignes seulement !

Cela signifie en clair que, pour avoir une chance d’envoyer un message compréhensible, exprimé dans un français acceptable, tant au niveau de l’orthographe que de la syntaxe, il faut déployer des trésors d’attention, le « scribouillard masqué » qui prétend savoir mieux que nous, en l’anticipant, ce que nous avons l’intention d’écrire, semblant prendre un malin plaisir à saccager notre propos !

Compte tenu de la rigueur et du temps nécessaires pour que cette approche expérimentale soit complète et « scientifiquement » valide, j’ai choisi d’attendre encore un peu pour parachever ce premier test…

Mais je ne me suis pas arrêté pour autant, une nouvelle idée, plus saugrenue encore que la précédente, m’ayant alors traversé l’esprit : que deviendrait mon message, rédigé cette fois non dans la forme choisie par la saisie intuitive mais dans ce jargon bizarre que beaucoup d’adolescents, et probablement pas mal de jeunes adultes aussi, utilisent pour communiquer par téléphone, sur les réseaux sociaux, et, de plus en plus, dans les forums de toutes sortes qui pullulent sur internet, où la médiocrité de l’expression écrite est de plus en plus souvent au diapason de l’indigence des idées.

Pour le faire, puisque je ne suis pas un spécialiste du langage texto, un seul moyen : chercher un traducteur Français/SMS, comme j’aurais pu chercher un traducteur Français/Anglais ou Français/Zoulou, puisque, sur internet, on peut désormais « transporter » n’importe quel texte d’une langue vers une autre, souvent n’importe comment – mais on s’en contente généralement -, avec la satisfaction du devoir accompli, et, le plus souvent, l’illusion d’avoir correctement traduit le texte de départ, en omettant naturellement de rechercher toutes les horreurs que le « traducteur » aura écrites « à l’insu de notre plein gré »…

Enorme surprise pour moi de découvrir que de tels traducteurs sont légion, comme si le langage SMS était bien une langue à part entière !

Il ne restait plus qu’à passer mon charmant texte de départ à la moulinette de certains de ces traducteurs automatiques.

Avec des résultats divers que je vous livre avec délectation :

bsr, ma chérie. sois pleinement rassurée. malgré quelques turbulences, chuis arrivé à bon port à l’heure prévue. j t’appellerai ds la matinée 2 2m1. biz.

bsr, ma chéri. sois pl1emen rassuré. malgré kelqu turbulences, chui arivé à bn por à lheur prévu. jtapLrè ds la matiné 2 2m1. bisous.

bsr, ma Chérie. Sois pleinmt rassurée. Malgré qq turbulences, je suis arrivé à bn port à l’heure prévue. Je t’appellerai ds la matinée 2 dem1. Bisous.

Bonsoir, ma Chérie. Sois pleinement rassurée. Malgré qqk turbulences, j sui arrive a B:o)n port a l’heur prévue. J t’appelerai ds la matinée d 2min. Bizoux.

Bonsoir, ma Chérie. Sois pleinement rassurée. Malgré qq turbulences, chu arrive a bonnnnn port a l’heur prévue. Jeuh t’appelerai ds la matinée d demin. Bizous

Outre la diversité des traductions, qui semble prouver le caractère non stabilisé de cette nouvelle « langue », ce qui frappe est que, avec finalement assez peu d’efforts, on parvient néanmoins à comprendre la sens du message : grosso modo, et c’est bien là l’essentiel, « Chérie » demeure « Chérie », avec ou sans « C », avec ou sans « e », et « Bisous » demeure « Bisous », avec un pluriel en « x » qui aurait certainement fâché nos anciens instituteurs, attachés au dogme de la fameuse liste des mots se terminant par « oux » au pluriel, avec ses « bijoux », « cailloux », « choux », « genoux », « hiboux », « joujoux » et autres « poux », mais évidemment pas les « Bizoux », même agrémentés, pour être plus beaux « z’encore », d’un « z » en plein milieu !

Bien que déformée, handicapée, mais rendue presque conviviale, la « traduction » en langage SMS à partir du texte d’origine demeure compréhensible, contrairement à celle que nous assène la saisie intuitive.

Elle apparaît même plutôt sympathique par rapport à celle inventée par le « scribe invisible » niché dans mon téléphone !

Il me restait un peu de temps pour faire un nouvel essai, en espérant un miracle : prolonger le texte « inventé » par mon téléphone par une transposition texte intuitif/langage SMS.

Partant de :

Bonsoir, ma chétif. Sois PME ta. En dép. De quelques tir, je du à à bon PO à l’heur prévu. Je t’appelle Da la mâtiné de dém. NI.,

le texte est pratiquement resté sans changement, c’est-à-dire toujours aussi froid et abscons !

bonsoir , ma chétif . sois pme ta . en dép . de quelques tir , je du à à bon pas à l’heur prévu . je t’appelle da la mâtiné de dém . ni .

Restait à faire un tout dernier test, particulièrement osé : essayer de retraduire en français le texte traduit en langage SMS. Allais-je pouvoir retrouver ma « prose » d’origine ?

Pas de miracle là non plus, cela va de soi. La mission était impossible : le texte SMS demeure un texte SMS et si l’on va jusqu’à vouloir faire une nouvelle fois la traduction en sens inverse, le texte reste définitivement gravé dans le marbre, comme le prouvent les résultats de ces deux dernières tentatives :

SMS/Français : bonsoir , ma chéri . sois pl1emen rassuré . malgré kelqu turbulences , je suis arivé à bonne nuit por à lheur prévu . jtaplrè dans la matiné de demain . bisous .

Français /SMS : bonsoir , ma chéri . sois pl1emen rassuré . malgré kelqu turbulences , je suis arivé à bonne nuit por à lheur prévu . jtaplrè dans la matiné de demain . bisous .

Il faudrait aller beaucoup plus loin pour compléter la recherche dans cette direction mais je dois avouer n’en avoir eu ni le temps ni le courage.

Ainsi, toujours à partir de la même petite phrase simple d’origine, se tromper de touche (ce qui est très fréquent dans la réalité) sous contrôle pour vérifier quel pourrait en être le résultat. Dans le même ordre d’idées, faire le test à l’identique à partir de téléphones de différentes marques pour savoir quels en seraient les résultats.

On pourrait même imaginer un concours du message le plus stupide ou le plus incohérent.

Tous à vos « téléphones (dits) intelligents » (définition du « smartphone ») !

Reste à essayer de tirer une ou des conclusions de cet intermède de fin d’été : même si le langage SMS apparaît moins incompréhensible que le langage intuitif sans contrôle ni correction, il n’en demeure pas moins un langage extrêmement pauvre, privé de tout ce qui fait la beauté et le charme de notre langue.

Quant au langage intuitif, qui est l’une des transformations numériques les plus « remarquables » de ces dernières années, promis paraît-il à un avenir radieux, il est à l’image de toutes ces innovations qu’on nous présente comme des avancées éclatantes (géolocalisation, travail à distance (ou télétravail), serveurs vocaux, robotique, etc.) mais qui, dans la réalité, quand elles ne sont pas contrôlées ou qu’elles sont utilisées à mauvais escient, risquent de déstructurer davantage encore une Société déjà largement déshumanisée, en portant de surcroît des coups terribles à l’emploi.

On aura beau nous affirmer dans toutes les langues que c’est cela le progrès, j’avoue personnellement ne pas en être convaincu, même si, étant moi-même, ne serait-ce qu’à travers epHYGIE, un utilisateur quotidien des nouvelles technologies, je crois à leurs vertus, mais uniquement dans la mesure où on les considère et les utilise comme outils d’une véritable libération du travail et non comme modernes instruments d’un asservissement d’un nouveau genre.

On pourrait aller jusqu’à dire, avec le plus grand cynisme et la plus entière mauvaise foi (quoique…), que les nouvelles technologies, le rapport Mettling, la loi Macron, la loi Touraine, la loi Rebsamen, etc., ne sont que les différentes facettes d’une même volonté (affichée) de « simplification » et de recherche d’une (prétendue) « efficacité ».

Et comme j’appartiens à cette catégorie que l’on a baptisée « les Seniors », formée à l’ancienne école, qui savait encore parler, lire et écrire en Français, j’aurais une idée à soumettre à nos dirigeants : ne pourrait-on nous charger de corriger, pour le rendre intelligible, tout ce qui, « grâce » aux outils numériques, est écrit dans un jargon inacceptable, et, pour rendre cette tâche aussi agréable que possible, nous faire tous voyager dans les « bus Macron », ce qui aiderait à cette création d’emplois à laquelle aspirent désespérément nos Ministres du travail successifs, favoriserait les soins ambulatoires chers à Madame Touraine, libérerait des places dans les Maisons de retraite et dégagerait des logements pour tous les sans-abri…

Oui, je sais, ce n’est pas vraiment un rêve…

Aussi, pour finir sur une note positive, sans doute inspiré par l’air des Antilles où je me trouve, je conclurai cette note par une nouvelle traduction de ma phrase d’origine, en créole (haïtien) cette fois, qui, vous le constaterez, est autrement plus plaisante, même sans l’accent qui va normalement avec :

Bon aswè, Darling m ‘yo. Dwe konplètman reyasire. Malgre kèk tourbiyon, mwen te rive san danje sou tan. Mwen pral rele w nan maten an demen. Bo.

Je suis d’accord avec vous : ce n’est pas évident non plus mais reconnaissez que « Bon aswè, Darling m ‘yo » pour « Bonsoir, ma Chérie », « konplètman reyasire » pour « pleinement rassurée », « kèk tourbiyon » pour « quelques turbulences », « san danje sou tan » pour « à bon port à l’heure prévue » et surtout « Bo » pour « Bisous » (qui ne connaît pas les paroles de la chanson « Ba moin en ti bo » ou « Ban mwen on ti bo », « Ba moin en ti bo, deux ti bo, trois ti bo, Doudou » – « Donne-moi un bisou, deux bisous, trois bisous, chérie »- ?), ça a une tout autre allure, dansante comme la béguine et enivrante comme le Ti Punch…

Sur ce, justement, le devoir (qu’il se nomme Neisson, Clément ou Barbancourt, peu importe) m’appelle.

Aussi je vous dis :

« a + tar. tt ça ma fatigué é jgo m prendr 1 apéro. yolo. finalmen chui mor 2 rir. »

Gabriel Paillereau
Copyright epHYGIE 1er octobre 2015
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Parmi les très nombreux sites consacrés aux « nouveaux langages », intuitif et SMS, et, pour le plaisir, au « magistral » langage des Shadoks, aujourd’hui trop méconnu, nous avons sélectionné ceux dont les liens suivent :

Saisie intuitive (Wikipédia)

Langage SMS (Wikipedia)

Les Shadoks (pour une langue ultra-simplifiée avec 4 syllabes seulement : GA, BU, ZO et MEU)

dEncyclopédie

Petit lexique du nouveau langage des ados (Le Figaro)

Texto.exionnaire (Tour du web du langage SMS)

Gaelleana (Tout ce qu’il faut savoir sur le langage SMS)

Traducteur-SMS

Raphlight (Convertisseur de textes français en langage SMS)

Recherche Appliquée en Linguistique Informatique (RALI-Montréal)

Webjunior (Convertisseur de SMS en Français)

FrançaisFacile.com

Mobilou.info

Bonjour la France

2 Comments

G. Paillereau

Si j’étais optimiste, je dirais que vous avez peut-être raison. Comme je suis réaliste, je dirai que vous avez probablement tort, car, comme nous sommes tous les deux d’un naturel plutôt exigeant, nous nous sommes dotés des modèles phares de deux des principaux fabricants de « téléphones intelligents »… Et vous devez savoir qu’on ne me prend pas facilement pour une Pomme !

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